Au Bénin, le Président et son prédécesseur s’affrontent sur les arriérés des fonctionnaires

Les syndicats béninois mettent la pression sur le gouvernement pour solder les arriérés pharamineux dus aux travailleurs de l’administration publique. Face à eux, le Président Patrice Talon a tenu pour seul responsable de ces dettes le régime de son prédécesseur, Boni Yayi. Une affirmation qui a poussé celui-ci à contre-attaquer.
Sputnik

C’est un échange de piques présidentielles qui fait les choux gras de la presse béninoise. Tout a commencé le 16 octobre dernier, avec un communiqué de Nagnini Kassa Mampo. Le secrétaire général confédéral des centrales syndicales du Bénin y dévoile le contenu d’une rencontre entre lui, d’autres responsables syndicaux et le Président béninois, Patrice Talon, au sujet d’arriérés que réclament les fonctionnaires. Le communiqué révèle notamment que le chef de l’État s’est dédouané en imputant l’entière responsabilité de cette dette à l’ancien gouvernement conduit par le Président Yayi Boni (2006-2016).

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«De l’intervention du Président de la République parfois complétée par son ministre des Finances, il s’avère que le gouvernement a épongé 52 milliards de francs CFA (environ 80 millions d’euros) de dettes sur plus de 90 milliards de francs CFA (un peu plus de 137 millions d’euros) aux travailleurs, laissées par l’ancien régime, et qu’il remboursera entre octobre et fin novembre prochain 15 milliards de francs CFA (environ 23 millions d’euros) au titre des arriérés d’avant-2016», indique le communiqué servant de compte-rendu de la rencontre avec le Président Talon, établi par le secrétaire confédéral béninois aux travailleurs.

La réaction

Une précision qui n’a pas enchanté Boni Yayi. Visiblement égratigné par cette façon de présenter les choses, il a réagi sur sa page Facebook… en bottant en touche. Il affirme ne pas se reconnaître dans une quelconque dette ou des arriérées validés en Conseil des ministres à l’endroit des travailleurs.

«Si ceci se confirmait, les engagements pris de manière consensuelle avec les travailleurs sont soumis aux principes de la continuité de l’État. Ce qui a conduit, et le Président Talon le sait, mon régime à apurer les arriérés salariaux de 180 milliards (environ 275 millions d’euros) laissés par les régimes précédant celui de 2006 au nom de la continuité de l’État. Mieux, je rends grâce à Dieu, le Père céleste, d’avoir accompagné nos efforts pour améliorer sensiblement leurs conditions de travail et garantir leur sécurité pour un avenir radieux, les travailleurs le savent et les enseignants en particulier, de la maternelle jusqu’au supérieur», a écrit Yayi Boni.

L’ex-Président béninois s’est dit «surpris» par ailleurs d’apprendre que son gouvernement avait laissé une telle dette à l’endroit de ces travailleurs qu’il qualifie de «cheville ouvrière de la République» et qui, affirme-t-il, ont été «la cible majeure» de nombreuses actions qu’il a menées.

 

Le gouvernement Talon et l’ex-Président béninois sont coutumiers d’accusations mutuelles. Elles peuvent se compter par dizaines depuis la passation de pouvoir entre les deux hommes, en 2016. Rien que de septembre à octobre 2020, les deux camps se sont accrochés à trois reprises au moins. La dernière faisait suite à une interview du Président Talon parue le 9 septembre dernier dans le magazine Jeune Afrique dans laquelle il invitait ses deux prédécesseurs (Nicéphore Soglo et Boni Yayi) à cesser d’être dans la contestation et de respecter leur rang d’anciens Présidents.

«Mais quand, à l’instar de Thomas Boni Yayi, on se comporte en compétiteur alors qu’on n’est plus dans la compétition, il y a problème.»

Ses propos avaient été interprétés par le camp de Yayi comme une menace à l’encontre des deux anciens Présidents qui n’ont pas hésité à contester sur la place publique. Une vive polémique s’en est suivie.

Cette fois encore, la réaction du gouvernement de Talon ne s’est pas fait attendre. Elle est arrivée par la voix de Modeste Toboula, un proche du Président, qui était syndicaliste à l’époque où Yayi Boni était au pouvoir.

Dans une publication sur sa page Facebook, abondamment reprise par les médias locaux, Modeste Toboula s’en est pris à l’ancien chef d’État, coupable à ses yeux «d’injustices» à l’égard des ouvriers.

Entretemps, les syndicats toujours insatisfaits

Quoi qu’il en soit, le Président Talon a tenté, lors de la rencontre avec les syndicalistes, de les rassurer en affirmant que l’assainissement de la gestion des finances publiques avançait et que le pays, petit à petit, tournait le dos aux difficultés de trésorerie qu’il avait héritées du  régime de son prédécesseur. Un décaissement avec effet immédiat de 15 milliards de francs CFA (33 millions d’euros) a notamment été annoncé.

Mais cela n’a pas semblé calmer les fonctionnaires, dont les revendications sont loin de se limiter à cette affaire d’arriérés pour concerner la revalorisation du SMIC et du point d’indice servant à calculer le salaire brut.

Or, maugrée Nagnini Kassa Mampo, «le Président ne veut satisfaire aucune revendication essentielle des travailleurs de l’administration publique en dehors de cette affaire d’arriérés».

Nagnini Kassa Mampo a appelé les fonctionnaires du Bénin «à se lever et à se mobiliser» pour obtenir satisfaction de ces revendications si rien n’est fait dans un futur proche.

Calmer les tensions

Le Président Talon devrait probablement aplanir ces tensions dans la perspective de la prochaine élection présidentielle prévue en avril 2021. Un scrutin qu’il a de fortes chances de remporter s’il décide de briguer un deuxième mandat, avec le risque de se trouver «mal élu».

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En effet, les candidats de l’opposition risquent de ne pouvoir prendre part à ce scrutin majeur faute de pouvoir réunir le nombre de parrainages exigé (10% de l’ensemble des élus parlementaires et locaux) par la loi électorale, telle que modifiée en novembre 2019. D’autant que l’opposition, qui avait boycotté les législatives d’avril 2019, ne dispose pas d’élus au Parlement et qu’elle ne revendique que quelques communes.

En 2016, le Président Yayi Boni avait quitté la présidence après y avoir passé dix ans, alors que jusqu’au dernier moment l’opposition suspectait qu’il changerait la Constitution pour s’ouvrir la voie à un troisième mandat. Il s’est finalement retiré de la vie politique au profit de son dauphin, le Premier ministre franco-béninois Lionel Zinsou. Celui-ci est arrivé en tête du premier tour mais il a échoué à s’imposer au second face à Patrice Talon, une des plus grandes fortunes d’Afrique qui faisait alors son entrée en politique.

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