«Une nouvelle conception des relations internationales qui vise à privilégier non pas un apaisement, mais plutôt un changement de régime pour avoir des gouvernements amis autour de soi.»
Le diagnostic de Jean-Jacques Kourliandsky, spécialiste de l’Amérique latine à l’IRIS et à la Fondation Jean-Jaurès, est très clair. Les États-Unis, avec à leur tête Donald Trump, tentent explicitement d’opérer un changement de régime au Venezuela, c’est-à-dire de renverser Nicolas Maduro. Sanctions économiques, reconnaissance d’un opposant à la présidence de la république bolivarienne en janvier 2019: leurs ingérences ne sont guère passées inaperçues. Pourtant, le Président de la république bolivarienne est toujours bien en place au Palais de Miraflores et son principal opposant, pourtant reconnu par une cinquantaine de pays occidentaux, fait pâle figure au sein d’une opposition divisée.
Le Venezuela, «un territoire porte-avions» de la Chine?
Les relations orageuses entre Washington et Caracas ne sont pas récentes. Sous Barack Obama et Hugo Chavez, les rapports entre les deux pays étaient extrêmement tendus. Rappelons qu’une majorité de gouvernements dans l’espace latino-américain, qualifiés de progressistes, ont contesté «l’hégémonie des États-Unis» dans les années 2000-2015. Or Washington considère la zone comme sa chasse gardée depuis le XIXe siècle et la doctrine Monroe.
Plusieurs gouvernements rebelles ont tour à tour été chassés du pouvoir. Au Brésil, Lula a été emprisonné et Dilma Roussef démise de ses fonctions. En Bolivie, Evo Morales s’est exilé. Seul est resté le trublion Maduro. Avec «l’aide de Trump», a d’ailleurs été formé le groupe de Lima, «lobby intergouvernemental» de 14 pays américains pour aider à une sortie de crise au Venezuela, en soutenant notamment le président autoproclamé Juan Guaido.
«Essayer d’éviter que la Chine trouve un territoire porte-avions dans ce qui est considéré comme l’arrière-cour des États-Unis, principalement au Venezuela. Dans les propos de John Bolton, il est intéressant de voir que la critique de Cuba ne portait pas sur l’idéologie, comme c’est le cas traditionnellement chez les Républicains, mais sur l’appui apporté au Venezuela pour permettre la présence des intérêts chinois et militaires russes.»
Cette crainte est d’ailleurs présente dans le dernier livre de l’ancien conseiller de Donald Trump John Bolton The Room Where it Happened(Éd. Simon & Schuster, 2020).
C’est là l’une des raisons de la mise en place d’un véritable arsenal de sanctions américaines à l’encontre du Venezuela. Le spécialiste de l’Amérique latine à l’IRIS et à la Fondation Jean-Jaurès explique que Donald Trump, en raison de son passé d’homme d’affaires, est «dans la culture des sanctions». Des sanctions qui ont pour objectif de «faire plier celui qu’on considère comme un adversaire ou un ennemi, en lui coupant les vivres». En avril 2019, Washington décidait donc d’empêcher le pays de vendre son pétrole, principale ressource du pays.
Le pays le plus touché par la crise économique
Le résultat? L’impossibilité pour Caracas d’écouler ses stocks sur les marchés mondiaux, l’effondrement de ses réserves financières et de la production pétrolière. Un choc brutal pour un pays souffrant déjà d’une mauvaise gestion antérieure. Évoquant le syndrome de «la maladie hollandaise», Kourliandsky observe qu’il est très difficile pour ce pays «monoproducteur de pétrole» de se dégager de cette dépendance. Il reprend à ce propos une fable de la Fontaine:
«Lorsque les prix sont élevés, on a plutôt tendance dans ces pays-là à se comporter en cigale qu’en fourmi. Et quand les temps difficiles arrivent, on se retrouve fort dépourvu.»
En 2005, le Venezuela produisait 3 millions de barils par jour. Il atteint difficilement aujourd’hui les 400.000. Possédant les réserves de pétrole les plus importantes au monde, le Venezuela se retrouve désormais en grave pénurie d’essence, engendrant des files d’attente kilométriques aux stations-service.
Une alliance des pays victimes des sanctions américaines?
Comment Maduro a-t-il donc réagi? En formant une «espèce d’alliance des pays victimes de sanctions» américaines avec l’Iran. En mai et juin derniers, cinq navires pétroliers iraniens ont acheminé un total de 1,5 million de barils de combustibles jusqu’au Venezuela. Ce mois d’octobre a également été le théâtre de nouvelles arrivées de pétroliers iraniens, selon le site Marine Traffic.
Les pénuries en carburant, mais surtout en eau et en électricité se multiplient au Venezuela qui, selon le spécialiste de la région, est «statistiquement le pays qui devrait être le plus impacté par la crise actuelle, sanitaire et économique en Amérique latine», estimant le recul de la croissance cette année à moins 20% tandis que la moyenne de la région se situe autour de –9%.
«Il est très difficile de savoir quelle est l’attitude de la population au Venezuela […] Il y aurait 20% de la population qui soutiendrait toujours Nicolas Maduro, 20% dans l’opposition, et un marais intermédiaire constitué des gens beaucoup plus préoccupés par le quotidien que par la vie politique et qui sont très fatigués de ce qu’il se passe. Ce qui explique peut-être qu’il y a des divisions au sein de l’opposition.»
En définitive, le résultat des élections législatives du 6 décembre indiquera aussi si l’étranglement progressif du Venezuela par l’Oncle Sam aura enfin fonctionné.