Les opposants au projet Nord Stream 2 ne désarment pas. À mesure que le projet de deuxième conduite du gazoduc reliant la Russie à l’Allemagne via la mer baltique s’achemine vers sa mise en service, les initiatives pour le faire dérailler se multiplient… quitte à pousser le bouchon trop loin.
Estimant que le gazoduc «viole l’intérêt des consommateurs» polonais, l’UOKiK donne 30 jours à Gazprom et à ses partenaires européens pour résilier les accords de financement de ce projet, dans lesquels ont déjà été investis 10 milliards d’euros. Une amende d’un montant «sans précédent», près de 10% du chiffre d’affaires du géant gazier russe (le maximum légal) et qui selon ce dernier témoigne de la volonté de Varsovie de «s’opposer à la mise en œuvre du projet Nord Stream 2 par tous les moyens».
L’agaçante ritournelle polonaise
Pour autant, les dés ne sont pas jetés, bien au contraire. D’une part, Gazprom a annoncé son intention de faire appel de cette condamnation, ce qui pourrait renvoyer aux calendes grecques toute condamnation effective, d’autre part l’entêtement de Varsovie nuit à sa relation avec ses partenaires européens.
En effet, les entreprises européennes participant au projet n’ont pas été oubliées par l’UOKiK, qui les a également gratifiés d’une amende. Bien que celle-ci soit 124 fois moins importante que celle infligée à Gazprom, cette amende globale de 52 millions d’euros vient encore charger la barque.
Même son de cloche aujourd’hui du côté de l’allemand Uniper, qui rappelle que ce projet industriel ne relève en rien de la juridiction polonaise. Du côté de Bruxelles, la gardienne de la libre concurrence au sein de l’UE, Margrethe Vestager, n’a pas manqué de prendre ses distances avec cette décision polonaise lors d’une conférence de presse.
Pour rappel, tout le montage financier du projet Nord Stream 2 répond au veto de Varsovie. La Pologne avait en effet été le seul des 28 États européens à avoir refusé que les cinq entreprises européennes intègrent Nord Stream 2 AG comme actionnaires. Ces dernières l’ont donc fait en tant qu’investisseurs. Malgré cette forme, qui échappe à la compétence des autorités polonaises, ces dernières ont persévéré en infligeant cette amende, qui va à l’encontre des intérêts russes, mais également de ceux de ses partenaires européens impliqués dans le projet. Un pari risqué, dans la mesure où Berlin demeure de très loin le premier partenaire économique de Varsovie.
De l’énergie à l’État de droit, Poland First
Si économiquement, les intérêts des consommateurs polonais sont mis en avant pour tenter de justifier ce qui s’apparente follement à des sanctions extraterritoriales, politiquement Varsovie avance la carte de la préservation de la «solidarité énergétique» européenne afin de pousser ses partenaires à tirer un trait sur des milliards d’euros d’investissements.
L’autre argument clé de Varsovie contre la construction de la seconde conduite de Nord Stream demeure la crainte d’une accentuation de la dépendance des Européens vis-à-vis du gaz russe et donc d’un possible infléchissement de la politique de ces pays vis-à-vis de Moscou.
Sur ce dossier Nord Stream, Varsovie peut compter sur un allié de poids, bien que non européen: Washington. Dès l’été 2019, se prévalant de la préservation de l’«unité européenne», ainsi que de la «sécurité d’approvisionnement énergétique» de l’UE, le Congrès des États-Unis votait une série de sanctions contre les acteurs du projet, occasionnant de coûteux retards. Une opposition américaine revigorée par les récentes accusations portées à l’encontre de la Russie dans l’affaire Navalny. Ainsi, le 21 septembre Mike Pompeo, le Secrétaire d’État de Donald Trump, annonçait sans détour au peuple allemand l’intention des États-Unis de «construire une coalition» en Europe contre le Nord Stream 2.
Là encore, l’argument phare de l’«unité européenne» tient une place maîtresse. Parmi les cosignataires, une majorité d’Ukrainiens –autres opposants historiques au projet –, mais également une dizaine de députés et d’eurodéputés polonais issus de la majorité présidentielle. Cette «unité européenne» sied en revanche beaucoup moins à ces derniers sur d’autres dossiers, notamment celui du «respect de l’État de droit», qui mine les relations entre Varsovie et Bruxelles. Dossier où, d’ailleurs, Varsovie a reçu le soutien de Vilnius, une autre capitale tout autant mobilisée contre le Nord Stream 2 au nom de l’«unité» et des intérêts européens.
Du côté de son secteur énergétique, la Pologne a depuis plusieurs années entrepris une coûteuse politique de diversification de ses approvisionnements, tout particulièrement vis-à-vis des hydrocarbures russes (gaz, pétrole, charbon). À l’automne 2018, la Pologne signait avec l’américain Venture Global LNG pour la livraison sur 20 ans de 2,7 milliards de mètres cubes de gaz naturel liquéfié (GNL) par an. L’année suivante, le groupe gazier polonais PGNiG indiquait qu’il ne prolongerait pas le contrat russe Yamal au-delà du 31 décembre 2022. Parallèlement, Varsovie investit massivement dans l’énergie nucléaire. Des politiques économiques de diversification énergétique qu’elle peut se permettre notamment grâce à son statut de premier bénéficiaire net du budget européen.