Le Canada plus courageux que ses alliés de l’Otan face à la Turquie? C’est en tout cas le seul pays qui a pris des mesures concrètes pour signifier à Ankara que ses manœuvres dans le conflit qui oppose l’Azerbaïdjan et l’Arménie dans le Haut-Karabakh vont à l’encontre de la position tenue par l’écrasante majorité des alliés de l’Otan.
En effet, le pays de l’érable a suspendu ses exportations d’armes vers la Turquie, le temps qu’il mène une enquête sur de possibles livraisons par Ankara de matériel militaire canadien en Azerbaïdjan.
Le chef de la diplomatie canadienne François-Philippe Champagne a ainsi indiqué que «dans le respect du régime rigoureux de contrôle à l’exportation du Canada, et compte tenu des hostilités continues, j’ai suspendu les licences d’exportation pertinentes vers la Turquie, le temps de mieux évaluer la situation.»
Priorité à la cohésion de l’Otan
Une position bien plus ferme que celle exprimée ce 5 octobre par le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg en déplacement à Ankara, où il a rencontré le Président turc Recep Tayyip Erdogan. Le dirigeant de l’Alliance atlantique a, pour le moins prudemment, appelé la Turquie à «user de son influence pour calmer les tensions» au Nagorny Karabakh, estimant également que «toutes les parties doivent immédiatement cesser les combats et avancer vers une solution pacifique.»
Une position de neutralité dans ce conflit du Haut-Karabakh bien éloignée de celle que tient l’écrasante majorité des membres de l’alliance, plutôt proches du camp arménien dans ce conflit, qui subit l’offensive de l’Azerbaïdjan.
La priorité de Stoltenberg semblait en effet autre: exiger de la Turquie de trouver des «solutions alternatives» au déploiement de systèmes de missiles de défense S-400 russes, susceptibles de «poser un risque aux avions alliés et mener à des sanctions américaines».
Une situation qui «est effectivement paradoxale», constate au micro de Sputnik France Dominique Trinquand, général (2S) et ex-chef de mission militaire auprès de l’Onu:
«Le secrétaire général de l’Otan a la volonté de maintenir la cohésion de l’organisation et il minore donc les actions de la Turquie dans le Haut-Karabakh. Par contre, il majore une seule action, qui est celle des S-400, car cela correspond à la couverture aérienne globale de l’Otan qui est menacée», explique l’ancien général.
Une situation qui revient à soulever le problème récurrent des actions turques au niveau régional: est-il toujours cohérent de maintenir la Turquie au sein de l’Otan, alors que ses stratégies régionales vont à l’encontre de celles prônées par la majorité des pays de l’alliance dans cette zone?
«La Turquie pose de réels problèmes dans le cadre de l’Otan. Elle a commis de nombreuses actions qui ne correspondaient pas à ce que voulaient faire de nombreux alliés de l’Otan qui interviennent dans certaines régions. Il y a un vrai sujet de la position et de la présence de ce pays au sein de l’alliance, et d’ailleurs le Président Macron l’a fait remarquer», souligne Dominique Trinquand.
En effet, lorsque les tensions étaient encore vives en Méditerranée orientale, le chef de l’État français tenait un discours de fermeté vis-à-vis de la Turquie: «Force est de constater que la Turquie n'est plus un partenaire dans cette région», avait-il déclaré alors.
Mais au-delà des positions de principe, peu d’options existent au sein de l’alliance pour faire pression sur Ankara:
«Il faut comprendre qu’il n’existe pas de procédure pour exclure un membre de l’Otan», rappelle Dominique Trinquand.
Une situation dont la Turquie a bien conscience et dont elle profite pour faire avancer ses pions.
«On voit bien que la Turquie joue crise après crise. Que ce soit la Syrie, la Libye, la Méditerranée orientale et maintenant le Haut-Karabakh. C’est une tactique du Président Erdogan qui cherche à faire monter les tensions pour ensuite négocier en situation plus favorable», note l’ex-chef de mission militaire auprès de l’Onu.
D’autant que la Turquie profite d’une conjoncture géostratégique qui lui est largement favorable.
Protégée par Washington, Ankara avance sans crainte
La Turquie contient en partie la Chine en Afrique. Un rôle qui lui attire la faveur des États-Unis, estimait récemment au micro de Sputnik France l’amiral Alain Coldefy, ancien inspecteur général des armées. Ainsi pourrait-elle jouer sa partition sans craindre de représailles venant de Washington.
«Les États-Unis sont en pleine période électorale, donc ils ne veulent pas s’ajouter des soucis en plus en entrant dans une relation de confrontation avec la Turquie», estime le général Trinquand.
Jusqu’au 3 novembre au moins, Erdogan a donc les mains libres, armes canadiennes ou pas.