Interpellé à son domicile le 12 juin 2019, Ali Ghediri, général-major à la retraite, a été placé en détention provisoire successivement dans deux prisons d’Alger. L’officier supérieur, qui a dirigé durant quinze ans la direction centrale des ressources humaines du ministère de la Défense nationale, a été poursuivi pour «participation à la fourniture à des agents de pays étrangers d’informations qui portent atteinte à l’économie nationale» et «atteinte au moral les troupes de l’armée».
En juin 2020, la chambre d’accusation de la cour d’Alger a décidé d’annuler le premier chef d’accusation mais a retenu le second. Une «aberration», selon ses avocats, Mes Bakhti, Chafei, Haddad et Bourayou qui ont animé une conférence de presse samedi 3 octobre en présence des membres de sa famille.
«Comment accuser un homme qui a fait une longue carrière militaire et dont deux fils et trois frères sont des officiers supérieurs, de porter atteinte au moral de l’armée algérienne? Cette accusation est fantaisiste et en réalité, c’est à travers elle que l’on porte atteinte au moral des troupes», a regretté Me Aouicha Bakhti.
Volonté de punir
Me Khaled Bourayou a également dénoncé le caractère «irrationnel» des charges retenues contre son client. «Une armée comme celle de l’Algérie ne peut pas être déstabilisée par un homme». Pour l’avocat, «il y a une volonté du pouvoir de punir Ghediri car il a accepté d’aller vers le suffrage universel. Cela n’a jamais été accepté par le système. Son tort était d’ambitionner de participer un jour au destin de ce pays».
L’ombre du général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, ancien chef d’état-major et vice-ministre de la Défense nationale sous le Président Abdelaziz Bouteflika, continue de planer sur le dossier Ghediri, 10 mois après la disparition du numéro 1 de l’armée algérienne.
Une lettre, des non-dits
Les membres du collectif d’avocats ont évité de citer son nom lors de la conférence de presse, mais c’est bien en son temps que leur client avait été interpellé puis placé en détention provisoire.
Il faut dire que les deux officiers supérieurs se connaissent très bien puisque Ali Ghediri a travaillé sous les ordres d’Ahmed Gaïd Salah lorsqu’il était directeur central du personnel au ministère de la Défense. Les deux hommes auraient même été très proches. Né en 1954, marin de formation et titulaire de plusieurs diplômes, dont un doctorat d’État en sciences politiques, Ali Ghediri était considéré comme un membre de l’élite de l’armée algérienne. Il a cependant décidé de prendre sa retraite en 2016 après 42 ans de service.
«Ces individus s’accordent une vocation et une dimension qui ne sont pas les leurs et se lancent, sans aucun scrupule, dans des affabulations débridées, découlant d’un narcissisme maladif, qui les pousse jusqu’à prétendre bien connaître le haut commandement de l’Armée nationale populaire pour prévoir sa position vis-à-vis de l’élection présidentielle. C’est une grave dérive qui dénote un seuil inquiétant d’inconscience que seule l’ambition aveugle peut provoquer», a écrit alors le vice-ministre de la Défense nationale dans un communiqué.
Il était évident que le candidat Ghediri n’avait pas le soutien de ses pairs. Le Hirak –mouvement de contestation contre le pouvoir de Bouteflika–, l’annulation du scrutin du 18 avril 2019 puis sa mise en détention l’ont obligé à mettre ses ambitions entre parenthèses. Mais l’homme a continué à faire de la politique depuis le fond de sa cellule de la prison de Kolèa. Dans une lettre lue par ses avocats lors de la conférence de presse, le général-major à la retraite a indiqué qu’il ne «comptait pas baisser les bras».
«Ne laissons pas l’Algérie sombrer dans l’anarchie. Seuls les survivants de l’ancien système en profiteraient. Ils sont nombreux, ils sont parmi nous. Ce sont eux qui sont à l’origine de mon confinement politique depuis 16 mois. Ce sont eux qui manœuvrent dans l’ombre pour que j’y reste. Sachez, mes frères et sœurs, que quoi qu’ils fassent, ils ne me feront pas fléchir. Ils ne nous feront pas baisser les bras. L’histoire retiendra que le peuple algérien a entamé un autre projet pour l’avenir. L’Algérie vaincra», a-t-il indiqué.
Mais Ali Ghediri n’identifie pas clairement ceux qui «manœuvrent dans l’ombre» pour le maintenir en prison.
«Je vous en parle parce qu’on est à la veille d’une échéance électorale importante. Comme toute Constitution, elle ne saurait être parfaite. Néanmoins, nous espérons qu’elle sera porteuse des principes de Novembre (en allusion à la guerre d’indépendance de l’Algérie, déclenchée en novembre 1954) et des aspirations de la révolution citoyenne, le Hirak. Cet espoir et ces promesses ne pourraient se concrétiser qu’avec l’émergence d’un renouveau démocratique, d’une réflexion, d’une concertation qui seraient fidèles aux aspirations portées par la révolution du 22 février 2019.»
Interrogés à ce sujet, ses avocats ont nié toute forme de soutien au projet de révision constitutionnelle. «Je pense qu’il faut remettre cette lettre dans une problématique plus claire. Ali Ghediri a déclaré qu’il continuait son combat à partir de la prison. Il est donc normal qu’il se prononce sur des échéances importantes. Il se sent toujours militant pour ses idées et sa vision pour l’Algérie. Je ne pourrais pas l’imaginer dans une cellule en train d’attendre son sort», a ajouté Me Bourayou.
Le destin d’Ali Ghediri est aujourd’hui suspendu à une décision de la Cour suprême. Plusieurs détenus du Hirak sont poursuivis pour «atteinte au moral de l’armée», mais le militaire à la retraite est le seul prévenu dont cette charge a été qualifiée de crime et non de délit.