Le Président Tebboune a nommé son gouvernement 21 jours après avoir été élu à la plus haute fonction de l’État. Cet exécutif de 50 membres a été formé «après consultation du Premier ministre», comme le prévoit la Constitution algérienne.
Fait notable, il n’y a pas de militaire –ni en activité, ni à la retraite- au sein de l’équipe d’Abdelaziz Djerad. Le Président Abdelmadjid Tebboune a choisi de garder les rênes du département de la Défense nationale. Une première depuis 15 ans. En 2005, soit au début de son second mandat présidentiel, Abdelaziz Bouteflika nommait Abdelmalek Guenaïzia ministre délégué auprès du ministre de la Défense nationale. Ce général major à la retraite sera remplacé en 2013 par le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah. Ce dernier aura droit au statut de vice-ministre de la Défense nationale, tout en gardant sa fonction de chef d’état-major. Après Abdelaziz Bouteflika, ce fut au tour d’Abdelkader Bensalah, chef de l’État par intérim, d’attribuer à Gaïd Salah ce double statut militaire et politique qu’il a conservé jusqu’à son décès, le 23 décembre 2019.
Le poste de ministre de la Défense a toujours été assumé, quant à lui, par les chefs d’État successifs, à l’exception de années 1962-1965, 1990-1993 et 1993-1994, pendant lesquelles respectivement Houari Boumediene, Khaled Nezzar et Liamine Zeroual ont été ministres de la Défense sous des chefs d’État qui n’ont pas cumulé les deux fonctions.
Soufiane Djilali, président du parti Jil Jadid (Nouvelle génération) souligne que la décision de Tebboune de garder les rênes du département de la Défense avait été actée lors de la réunion avec le général Saïd Chengriha, le chef d’état-major par intérim, qui avait clairement affirmé qu’il était «sous l’autorité du Président de la République, chef suprême des forces armées et ministre de la Défense nationale».
«Il me semble que le fait de laisser Abdelmadjid Tebboune comme unique responsable du ministère de la Défense a fait l’objet d’un accord au sein de l’armée. Dans le fond, le pouvoir est fragilisé car il vient de sortir d’une crise très profonde qui a touché jusqu’à son homogénéité. On ne peut pas oublier qu’il y a une trentaine de ministres et Premiers ministres en prison mais surtout un nombre très important d’officiers et d’officiers supérieurs dans des établissements pénitentiaires militaires. Parmi eux d’anciens responsables des services de renseignements ainsi que des généraux qui étaient dans le commandement de l’armée. D’autres ont fui à l’étranger. Pour dépasser cette crise profonde, les militaires ont évité de cristalliser l’armée autour d’un nouveau chef, ils ont préféré maintenir, au moins formellement, cette fonction entre les mains du Président. Je pense que cette phrase sera mise à profit pour apaiser les tensions au sein de l’institution militaire avant d’envisager un autre fonctionnement qui viendrait dans le cadre d’une révision constitutionnelle», explique Soufiane Djilali.
Pour sa part, le sociologue Nacer Djabi se montre plus prudent quant à la nomination ou non d’un militaire au sein du gouvernement Djerad. Selon lui, rien n’a encore été tranché.
«Le général Saïd Chengriha est encore chef d’état-major par intérim. À mon avis, il faut attendre qu’il soit confirmé à ce poste afin d’y voir plus clair. Sera-t-il juste chef d’état-major ou aura-t-il le poste de vice-ministre de la Défense nationale au même titre que son prédécesseur, je pense qu’il faut attendre encore quelques jours pour être fixé sur cette question», explique-t-il à Sputnik.
Nacer Djabi estime que la libération, jeudi 2 janvier, de nombreux prisonniers d’opinion, dont Lakhdar Bouregaa -86 ans, ancien combattant de la guerre d'Indépendance- et le général Hocine Benhadid, est une manière de régler un lourd dossier légué par le général Ahmed Gaïd Salah.
«Durant la phase où il a dirigé les affaires du pays, le général Gaïd Salah a parfois géré la question du Mouvement populaire de façon personnelle. C’est notamment le cas avec les propos tenus par des personnalités comme Lakhdar Bouregaa et le général Hocine Benhadid. Avec le départ de Gaïd Salah, le caractère subjectif et personnel a disparu et la gestion de la situation devrait être plus objective. Il n’y a aucune raison que Benhadid, dont l’état de santé est critique, ou Bouregaa, qui est à un âge très avancé, restent derrière les barreaux. Ils peuvent être jugés sans pour autant rester en prison.»
La libération de Benhadid, et d’autres «détenus politiques», avait été prévue par Akram Kharief, journaliste algérien spécialiste en questions de défense, lors d’une interview accordée à Sputnik au lendemain du décès du général Ahmed Gaïd Salah.
Kharief avait indiqué s’attendre, «avec le départ de Gaïd Salah, [à ce que] Abdelmadjid Tebboune [ait] plus de cartes à jouer dans le sens de l’apaisement.»
Le changement au sein de l’armée ne doit pas être vu uniquement à travers la personnalité de ses chefs et de leurs actes. Il est avant tout d’ordre générationnel. Ahmed Gaïd Salah était un des deux derniers moudjahids (combattants de l’Armée de libération nationale) au sein de l’Armée populaire nationale (le dernier en poste est le général de corps d’armée Benali Benali, commandant de la Garde républicaine). Le destin a voulu que le changement de génération au sommet du pouvoir algérien se déroule précisément durant la seconde quinzaine du mois de décembre 2019 avec les prises de fonction d’Abdelmadjid Tebboune à la présidence de la République et du général Saïd Chengriha à l’état-major de l’ANP.