Faible rémunération, droit du travail inexistant: quelle situation pour les travailleurs détenus?

En prison, bon nombre de détenus occupent un emploi pour préparer leur réinsertion ou simplement financer les dépenses quotidiennes. Pourtant à travail égal, ils sont rémunérés entre 20 à 45% du SMIC et ne disposent pas de droit du travail. L’association Robin des Lois revient pour Sputnik sur la situation de ces travailleurs particuliers.
Sputnik

«Made in Prison». L’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle (ATIGIP) a lancé un nouveau label sur des produits et services baptisé «PePs» (produit en Prison.s). Les objectifs annoncés sont nombreux: «revaloriser l’image du travail pénitentiaire, favoriser l’insertion professionnelle et lutter contre la récidive.» Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, a inauguré le 30 septembre la boutique éphémère du label PePs.

​Si les intentions de l’ATIGIP sont louables, ils espèrent que cette initiative permettra aux prisonniers de réaliser un «travail formateur dans des conditions responsables». Les organisations de protection des droits des prisonniers dénoncent régulièrement les conditions des travailleurs détenus. Dans un communiqué, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) rappelle l’intérêt d’occuper un poste:

«L’exercice d’une activité rémunérée est primordial pour les personnes détenues car il leur permet de subvenir à leurs besoins. Pour l’administration pénitentiaire, le travail constitue un outil de gestion de la détention et d’apaisement des tensions. Le travail garantit l’indemnisation des parties civiles.»

Or, les personnes incarcérées ne seraient rémunérées qu’entre 20 à 45% du SMIC. Un pourcentage défini par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 qui varie en fonction du type d’emploi.

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À titre d’exemple, pour les personnes travaillant en production pour le compte notamment de concessionnaires privés ou le Service de l’emploi pénitentiaire (SEP) dans le cadre de la Régie industrielle des établissements pénitentiaires (RIEP), le salaire horaire brut avoisine en moyenne 45% du SMIC (4,56 € en 2020). Pour celles travaillant au «service général» des prisons (entretien des locaux, buanderies, cuisines, etc.), les taux varient entre 20% du SMIC (2,03 euros) pour un plongeur notamment, à 33% (3,35 euros) pour un cuisinier. L’observatoire international des prisons (OIP) affirment qu’en pratique, «les entreprises et l’administration s’affranchissement largement de ces taux. Le tarif à la pièce prévaut encore en ateliers».

Comment expliquer cette grille tarifaire? Interrogé par Sputnik, François Korber, délégué général de Robin des Lois, nuance quelque peu la situation.

«Les salaires varient beaucoup d’une prison à l’autre. Dans certaines, cela se passe très bien, tout dépend du chef d’établissement qui a un rôle considérable.»

M.Korber précise que «l’administration s’en est parfois tirée» en mettant en avant les compétences et la difficulté de la tâche à réaliser pour justifier les salaires les plus bas.

«Pourtant, il faut que ce soit bien fait .Donc c’est tout un équilibre à trouver dans chaque prison: entre l’honnêteté du salaire que l’on va donner et la difficulté du travail, c’est tout le dilemme mais il y a eu des progrès», concède-t-il.

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Alors faut-il augmenter les salaires? François Korber prévient que «tous ces petits travaux disparaissent lorsque cela revient au même de le faire réaliser dehors». Et de poursuivre: «Je pense qu’il faut tendre vers le SMIC, mais il ne faut pas oublier que l’on est dans un domaine très spécial où il n’y a pas de travail».

Cependant, le délégué général de Robin des Lois observe que le travail reste un «facteur puissant de vie en prison» car l’entourage du détenu qui se trouve à l’extérieur ne peut parfois pas envoyer des mandats pour participer au financement de la vie quotidienne, ce qui a pour résultat de faire exploser la demande de travail.

«Tous les matins, il y a des listes d’attente. Ceux qui sont motivés insistent pour avoir du boulot. Il faut pouvoir acheter de la viande car la nourriture est très insuffisante, des paquets de cigarettes ou la télévision. Donc on a besoin de gagner de l’argent», détaille-t-il.

Une dépendance qui peut parfois déboucher sur des abus. En effet, François Kerber pointe un autre problème: le «déclassement», sorte de licenciement en prison. Une «sanction» pour laquelle il est difficile de se faire valoir ses droits.

«Il y a des recours mais ils sont très sommaires. On passe devant une commission en prison. C’est assez embryonnaire en termes de protection sociale.»

Et pour cause, le droit du travail semble être aux abonnés absents. L’OIP et d’autres associations ont tenté de pousser le Conseil constitutionnel à se prononcer en faveur de la création d'un véritable statut des travailleurs détenus, sans succès.

L’Institut Montaigne, think tank libéral, note ainsi dans un rapport que «le détenu qui occupe un emploi en prison est un travailleur sans contrat».

​En cause, la loi pénitentiaire de novembre 2009 qui prévoit en lieu et place un «acte d’engagement» professionnel qui doit être «signé par le chef d’établissement et la personne détenue», décrit l’Institut Montaigne. Un manque de considération qui «porte préjudice au détenu et à son employeur potentiel» et «affaiblit sa perspective de réinsertion», avance le think tank.

«Ni les détenus, ni les entreprises, ni l’administration pénitentiaire ne perçoivent le travail en prison comme une première étape d’un parcours professionnel pouvant être poursuivi à l’extérieur. Le détenu y voit sa motivation amoindrie et l’entreprise n’est pas incitée à développer son offre de travail en prison», affirme l’institut dans son rapport.

S'ajoutent à cela une conjoncture économique défavorable, les délocalisations ou encore la robotisation de certaines tâches répétitives. Les offres d’emploi se raréfient.

Contrat de travail inexistant

En moyenne, en 2018, 19.284 personnes disposaient d’un emploi en détention pour plus de 70.000 personnes incarcérées. De 46,2% en 2000, ce taux est passé à 28% aujourd’hui.

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Que faudrait-il mettre en place pour inverser la tendance? François Korber plaide pour plus de communication de la part des chefs d’établissement pénitentiaire. Un directeur de prison en province a par exemple «organisé des portes ouvertes», une opération qui a été couronnée puisque que «des mois après il a reçu énormément d’offres de la part de concessionnaires», se rappelle le délégué général de Robin des Lois.

«Il faut informer les entreprises. C’est un monde tellement fermé que ce n’est pas un réflexe normal pour un chef d’entreprise d’aller proposer du travail à une prison», conclut François Korber.
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