«Made in Prison». L’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle (ATIGIP) a lancé un nouveau label sur des produits et services baptisé «PePs» (produit en Prison.s). Les objectifs annoncés sont nombreux: «revaloriser l’image du travail pénitentiaire, favoriser l’insertion professionnelle et lutter contre la récidive.» Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, a inauguré le 30 septembre la boutique éphémère du label PePs.
Si les intentions de l’ATIGIP sont louables, ils espèrent que cette initiative permettra aux prisonniers de réaliser un «travail formateur dans des conditions responsables». Les organisations de protection des droits des prisonniers dénoncent régulièrement les conditions des travailleurs détenus. Dans un communiqué, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) rappelle l’intérêt d’occuper un poste:
«L’exercice d’une activité rémunérée est primordial pour les personnes détenues car il leur permet de subvenir à leurs besoins. Pour l’administration pénitentiaire, le travail constitue un outil de gestion de la détention et d’apaisement des tensions. Le travail garantit l’indemnisation des parties civiles.»
Or, les personnes incarcérées ne seraient rémunérées qu’entre 20 à 45% du SMIC. Un pourcentage défini par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 qui varie en fonction du type d’emploi.
Détenus payés entre 2,03 et 4,56 euros de l’heure
Comment expliquer cette grille tarifaire? Interrogé par Sputnik, François Korber, délégué général de Robin des Lois, nuance quelque peu la situation.
«Les salaires varient beaucoup d’une prison à l’autre. Dans certaines, cela se passe très bien, tout dépend du chef d’établissement qui a un rôle considérable.»
M.Korber précise que «l’administration s’en est parfois tirée» en mettant en avant les compétences et la difficulté de la tâche à réaliser pour justifier les salaires les plus bas.
«Pourtant, il faut que ce soit bien fait .Donc c’est tout un équilibre à trouver dans chaque prison: entre l’honnêteté du salaire que l’on va donner et la difficulté du travail, c’est tout le dilemme mais il y a eu des progrès», concède-t-il.
Cependant, le délégué général de Robin des Lois observe que le travail reste un «facteur puissant de vie en prison» car l’entourage du détenu qui se trouve à l’extérieur ne peut parfois pas envoyer des mandats pour participer au financement de la vie quotidienne, ce qui a pour résultat de faire exploser la demande de travail.
«Tous les matins, il y a des listes d’attente. Ceux qui sont motivés insistent pour avoir du boulot. Il faut pouvoir acheter de la viande car la nourriture est très insuffisante, des paquets de cigarettes ou la télévision. Donc on a besoin de gagner de l’argent», détaille-t-il.
Une dépendance qui peut parfois déboucher sur des abus. En effet, François Kerber pointe un autre problème: le «déclassement», sorte de licenciement en prison. Une «sanction» pour laquelle il est difficile de se faire valoir ses droits.
«Il y a des recours mais ils sont très sommaires. On passe devant une commission en prison. C’est assez embryonnaire en termes de protection sociale.»
Et pour cause, le droit du travail semble être aux abonnés absents. L’OIP et d’autres associations ont tenté de pousser le Conseil constitutionnel à se prononcer en faveur de la création d'un véritable statut des travailleurs détenus, sans succès.
L’Institut Montaigne, think tank libéral, note ainsi dans un rapport que «le détenu qui occupe un emploi en prison est un travailleur sans contrat».
En cause, la loi pénitentiaire de novembre 2009 qui prévoit en lieu et place un «acte d’engagement» professionnel qui doit être «signé par le chef d’établissement et la personne détenue», décrit l’Institut Montaigne. Un manque de considération qui «porte préjudice au détenu et à son employeur potentiel» et «affaiblit sa perspective de réinsertion», avance le think tank.
«Ni les détenus, ni les entreprises, ni l’administration pénitentiaire ne perçoivent le travail en prison comme une première étape d’un parcours professionnel pouvant être poursuivi à l’extérieur. Le détenu y voit sa motivation amoindrie et l’entreprise n’est pas incitée à développer son offre de travail en prison», affirme l’institut dans son rapport.
S'ajoutent à cela une conjoncture économique défavorable, les délocalisations ou encore la robotisation de certaines tâches répétitives. Les offres d’emploi se raréfient.
Contrat de travail inexistant
En moyenne, en 2018, 19.284 personnes disposaient d’un emploi en détention pour plus de 70.000 personnes incarcérées. De 46,2% en 2000, ce taux est passé à 28% aujourd’hui.
«Il faut informer les entreprises. C’est un monde tellement fermé que ce n’est pas un réflexe normal pour un chef d’entreprise d’aller proposer du travail à une prison», conclut François Korber.