Dans la liste des 80 plaintes déposées contre des membres du gouvernement auprès de la Cour de Justice de la République (CJR) pour dénoncer la gestion de la crise du coronavirus, on trouve celle de la CGT Pénitentiaire et du syndicat Vigi Police. Les deux syndicats relèvent des failles dans le traitement des gestes barrière, allant jusqu’à accuser le gouvernement de «mise en danger de la vie d’autrui».
Le gouvernement «n’a pas donné les moyens de protéger ses agents» pénitenciers
Au micro de Sputnik France, l’un des plaignants, Samuel Gauthier, Secrétaire général adjoint CGT Pénitentiaire, affirme que «le gouvernement et le ministre de tutelle n’ont pas tout mis en œuvre pour nous protéger.»
«Dès les premières rencontres avec la hiérarchie, le 6 mars dernier, nous avons demandé que toutes les mesures de protection soient mises en œuvre pour protéger les agents et la population pénale: des masques, du gel hydroalcoolique, du savon, des essuie-mains à usage unique, etc.» détaille le Secrétaire général adjoint de la CGT Pénitentiaire.
«Depuis le début de la pandémie de Covid-19, les personnels de l’administration pénitentiaire et les surveillants ont estimé que le gouvernement, par le biais de la Garde des Sceaux, n’a pas su nous donner les moyens de protéger ses agents en cas de propagation du virus», constate Samuel Gauthier.
Tout en admettant que dans la gestion du matériel de protection, le personnel soignant était prioritaire, «la CGT Pénitentiaire dénonçait la pénurie de masques» dans l’exercice de leur métier en milieu confiné, «pour pouvoir se protéger et protéger la population pénale.»
Le gouvernement accusé de manque de réactivité
Le dépôt de plainte «a fait bouger les lignes» et le 30 mars, la Garde des Sceaux a donné des instructions pour que l’ensemble du personnel soit doté de masques dans l’exercice de leurs fonctions.
«Ça a mis trop de temps, accuse Samuel Gauthier. Nous avons estimé que c’était trop tard: le personnel et les détenus ont été déjà été exposés en période de latence. Même si l’accès aux parloirs et l’accès des intervenants extérieurs ont été suspendus, jusque-là, le virus circulait dans nos murs.»
«Pour le moment, nous avons quatre personnes reconnues décédées au titre du Covid-19, dont un détenu. Ça peut paraître peu, mais je pense que les chiffres qui nous ont été transmis ne correspondent pas à la réalité», souligne Samuel Gauthier.
Le syndicaliste «émet des doutes» sur les données statistiques communiquées, bien que le ministère de la Justice «ait tenté de faire la transparence sur la question». Il considère que les chiffres ne se recoupent pas «avec les informations remontées du terrain sur les personnes testées positif et asymptomatiques, ne nécessitant pas d’arrêt-maladie, mais qui devraient être isolées».
Des attentes pour le futur dans le traitement des crises
En attendant les moyens de protection, le personnel s’est organisé et «a tenté de protéger le personnel de santé le plus vulnérable», en évitant qu’ils prennent leur service pour ne pas s’exposer au Covid-19. Les agents surveillant, dotés d’«une obligation de continuité du service public, de sécurisation d’un lieu privatif de liberté» connaissent «des protocoles sanitaires de protection pour certaines catégories de maladies, par exemple, pour la tuberculose ou la gale», mais
«Avec le Covid-19, nous étions dans un contexte plus généralisé et plus sociétal. On a vite été dépassés, exposés et dans l’impuissance», déplore Samuel Gauthier.
15.000 détenus ont quitté les murs des prisons
Dans ce contexte tendu, la CGT pénitentiaire a «revendiqué et milité» pour que les détenus les plus proches de la sortie soient libérés ou qu’on allège leur peine, «pour faciliter la gestion de la population pénale et les conditions du travail [des surveillants, ndlr], ainsi que pour alléger les conditions d’isolement» lors de la crise du Covid-19.
«On a été entendus: 15.000 détenus (sur 72.000 incarcérés en France) ont quitté les murs des établissements pénitentiaires, ils ont joui d’aménagements de peine, de libérations sous contrôle. Ce n’est pas négligeable, ça a permis une meilleure approche de populations incarcérées», souligne Samuel Gauthier.
La France dispose d’environ 60.000 places de prison, «vétustes pour certaines, il faut l’avouer», mais Samuel Gauthier assure que si «pendant la période de la pandémie, on a réussi à libérer les détenus pour lesquels on a estimé que leur place n’était pas en prison, donc c’est possible».
Une opération de Vigi Police, plus musclée, au résultat incertain
Noam Anouar, membre du syndicat de police Vigi, qui fait également partie de la liste des 80 plaignants contre le gouvernement, précise au micro de Sputnik qu’il s’agissait d’une action en deux étapes. La première tentative –infructueuse– a consisté en une «action en référé auprès du Conseil d’État», au moment où Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement, expliquait que «le masque ne servait à rien» au quotidien.
«Quand on a défendu aux policiers de porter un masque, on a tenté une action en référé à partir d’éléments scientifiques –bilans et documentations– pour interroger le Conseil d’État sur la légalité de l’interdiction qui était faite aux fonctionnaires de police», détaille Noam Anouar.
«La plainte est toujours en cours, mais le problème est que la majorité [parlementaire, ndlr] a voté une loi qui exonère de leur responsabilité pénale à partir du 12 mars toutes les personnes qui se seraient rendues responsables de façon involontaire. On s’attend à ce que l’administration se dédouane de sa responsabilité en faisant référence à l’absence d’“obligation” de port du masque prouvée scientifiquement», se désole Noam Anouar.
Citant «plusieurs collègues infectés» et «collègues décédés du Covid-19 dans le département 77 et ailleurs», ainsi que «la mise en danger des familles», le syndicaliste de Vigi déplore cette loi «votée sur mesure» et juge peu probable d’avoir gain de cause dans son procès.
«En tout, on a moins d’une dizaine [de décès, ndlr], mais c’est toujours trop. On ne demandait pas de nous fournir les masques, on demandait juste l’autorisation d’en porter», conclut Noam Anouar, amer.