Attentat à la préfecture de police de Paris: un an après «on est quasiment en train de fabriquer des terroristes»

L’enquête sur l’attentat d’octobre 2019 à la préfecture de police de Paris pointe des signaux inquiétants relevés par les collègues de l’auteur Mickaël Harpon. Laurent Nuñez, coordinateur national du renseignement, assure que les choses ont changé. Ce n’est pas le cas de l’agent de renseignement Alexandre Langlois qui s’est confié à Sputnik.
Sputnik

Douze mois ont passé et la maison police France est toujours secouée. Le 3 octobre 2019, Mickaël Harpon, informaticien de 45 ans affecté à la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP), semait la mort sur son lieu de travail. À l’heure de la pause déjeuner, il égorge un fonctionnaire de police avant d’en poignarder mortellement trois autres et d’en blesser grièvement un cinquième. Sa folie meurtrière cessera avec l’intervention d’un jeune agent: il sera abattu dans la cour de la préfecture.

Cet attentat a particulièrement marqué les policiers, meurtris par un ennemi de l’intérieur. D’autant plus que Mickaël Harpon était habilité secret-défense, ayant ainsi accès à des éléments pour le moins sensibles, notamment sur la lutte contre le terrorisme.

​Le Parisiena pu avoir accès à des informations concernant les investigations conduites par trois juges antiterroristes. Et elles sentent le soufre. Il apparaît que de nombreux signaux inquiétants avaient été donnés par l’auteur de l’attaque. C’est ce que concède une source dans l’antiterrorisme au quotidien de la capitale: «Mis bout à bout, ces éléments auraient évidemment dû déclencher une enquête de sécurité. Mais il faut rester humble. Personne n'est à l'abri et la DRPP demeure un très bon service de renseignement.»

Un constat partagé par Alexandre Langlois, secrétaire du syndicat de police Vigi et agent de renseignement:

«Nous pouvons au minimum parler de négligence à la vue des nombreux soupçons qui pesaient sur Mickaël Harpon. Cela étant dit, le risque zéro n’existe pas.»

À la fin des années 2000, Mickaël Harpon se convertit à l’islam. En 2014, il épouse une musulmane pratiquante. Le début d’un changement progressif de comportement, selon des témoins.

Des collègues inquiets

Entre refus de faire la bise à ses collègues féminines, passages de plus en plus fréquents à la mosquée et isolement, l’attitude de l’informaticien commence à intriguer. Peu après les attentats ayant frappé la rédaction de Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes en janvier 2015, il a une vive altercation avec l’un de ses collègues. Ce dernier regardait alors sur son ordinateur les caricatures du prophète Mahomet qui avaient été publiées par l’hebdomadaire satirique. C’est alors que passant à proximité, l’informaticien aurait lancé, index levé: «On ne parle pas comme ça d'Allah, c'est bien fait!»

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Les fréquentations de Mickaël Harpon posent de plus en plus question. Il est aperçu en compagnie d’individus «semblant proches de la mouvance islamiste», selon un témoin. D’après les informations du Parisien, «il utilise une connexion ADSL destinée à lui seul, chiffre ses disques durs sans raison valable et est même accusé d'avoir profité de la réparation de l’ordinateur d'un policier pour se connecter au réseau anonyme et clandestin Tor». Un comportement qui déclenchera une alerte de sécurité à la DRPP.

Deux collègues de Mickaël Harpon, inquiets, font appel aux spécialistes de la radicalisation de la DRPP. L’information ne remontera pas plus haut, comme l’explique le quotidien: «Le chef de section du futur tueur, réputé "paternaliste", préfère régler l'affaire en interne, peu désireux de se voir accusé de faire un amalgame entre islam et terrorisme.»

«La DRPP a certes évité des attentats ces dernières années mais les plus graves, en dehors de celui de Nice, ont eu lieu à Paris. Cela montre que cette institution n’est pas à l’abri de dysfonctionnements», souligne Alexandre Langlois.

Les signaux de radicalisation se multiplieront jusqu’au 3 octobre 2019 sans qu’aucune décision ne soit prise. «Je suis en colère pour la perte de mes amis, cela aurait pu être évité», a affirmé un policier de la DRPP lors d’une audition.

«Pas plus en sécurité qu’avant»

Afin qu’un tel événement ne se reproduise pas, Laurent Nuñez, coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, assure dans une interview au Parisien que dorénavant, «dans tous les services de renseignement, il a été gravé dans le marbre des "process" de signalement». Depuis l’attaque du 3 octobre, pas moins de six fonctionnaires de la préfecture de police ont été révoqués. Une procédure est en cours pour un septième, selon les informations du quotidien de la capitale.

La politique mise en place par les autorités ne convainc pourtant pas Alexandre Langlois:

«Si Laurent Nuñez venait dans les services, il saurait comment cela se passe. Mais il est dans sa tour d’ivoire et ne comprend malheureusement pas grand-chose à la réalité du terrain. Il y a eu une multiplication des signalements au sein des services ces derniers mois mais en grande majorité, il s’agissait de brassage d’air.»

​Laurent Nuñez, qui était secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur au moment de l’attentat, détaille au Parisien la procédure de signalement actuellement en place: «Signal oral, signal écrit, peu importe, il faut qu'une entité par service soit dédiée pour recueillir ce signalement, et ensuite l'investiguer. Puis déterminer s'il y a ou non radicalisation, vulnérabilité ou pas, afin de retirer l'habilitation de l'agent.»

Pour le secrétaire du syndicat de police Vigi, ce type de politique conduit à une multiplication de signalements «bidons»:

«Des collègues ont été humiliés car de confession musulmane alors qu’ils n’avaient rien fait de répréhensible. Ces "process" de signalement poussent à la politique du chiffre pour pouvoir dire: "Regardez, il y a beaucoup de signalements, nous sommes vigilants, nous trouvons des radicalisés dans la police". On est quasiment en train de fabriquer des terroristes.»

74 signalisations avaient été comptées pour la seule préfecture en janvier 2020. Parmi celles-ci, le dossier d’une policière ayant partagé en 2014 des publications propalestiniennes «violentes» sur Facebook avait été ressorti.

«Chasse aux sorcières»

Pour Alexandre Langlois, la hiérarchie policière saborde la police en essayant de sauver les apparences. Selon lui, une des pistes qui expliquerait le geste de Mickaël Harpon serait «celle de son mal-être vis-à-vis de son handicap. Des extrémistes ont profité de cela pour l’embrigader». L’informaticien était en effet sourd depuis son plus jeune âge.

«C’est le même schéma qui pourrait se produire en multipliant des signalements non fondés. En humiliant les gens, vous créez du mal-être et vous les rendez vulnérables au prosélytisme le plus dangereux. Il faut cesser cette chasse aux sorcières, mal faite, qui relève de la communication et pas de la réalité», prévient Alexandre Langlois.

Que faire? Selon l’agent de renseignement, le problème de la radicalisation religieuse devrait être géré comme celui des sectes. «Comme dans toutes les religions, il y a des dérives sectaires dans la religion musulmane et il faut le dire», considère-t-il. Le policier assure que la majorité des auteurs d’attentats en France ces dernières années a suivi un parcours qui rappelle celui de l’embrigadement dans une secte. «Ils ont été coupés de leur famille, lobotomisés, entraînés à voir le monde d’une seule manière. Il existe des outils juridiques pour lutter contre cela et l’on n’a pas besoin de processus supplémentaires inutiles pondus par des bureaucrates», assure-t-il.

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Il regrette notamment que la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) ait été rattachée en 2020 au seul ministère de l’Intérieur: «C’est une preuve que la lutte contre les dérives sectaires n’est pas prise au sérieux en France.»

«On connaît les individus susceptibles de basculer. C’est sur eux qu’il faut se concentrer au lieu de suspecter à tout-va et considérer tous les musulmans comme des terroristes potentiels. Un tel contexte, contre-productif, est alimenté par le message de gens comme Nuñez, l’ex-ministre de l’Intérieur Christophe Castaner et son successeur Gérald Darmanin», se désole Alexandre Langlois.

Mosquées sous surveillance

Ce 2 octobre, Emmanuel Macron était aux Mureaux pour présenter son plan de lutte contre «le séparatisme islamiste». Il a annoncé que les mosquées seraient incitées à passer sous le régime de la loi de 1905 plutôt que de garder un simple statut d’association comme c’est souvent le cas. Cela permettra de mieux contrôler leur financement. Le locataire de l’Élysée a également évoqué «des clauses antiputsch» pour éviter leur prise de contrôle par des radicaux.

Les mosquées sont des lieux essentiels concernant la lutte contre la radicalisation, selon le secrétaire général de Vigi. Avant de passer à l’acte, Mickaël Harpon avait été aperçu fréquentant des établissements sous surveillance des renseignements. Alexandre Langlois assure qu’une bonne collaboration avec les leaders des lieux de cultes musulmans est essentielle: «Souvent, quand les policiers parlent aux responsables associatifs ou ceux des mosquées, ils sont réticents à travailler avec les autorités car ils se sentent considérés comme des possibles terroristes en devenir. Il faut pouvoir leur dire: "Des gens pratiquant votre religion posent problème. Vous n’en voulez pas, l’État français non plus. Travaillons ensemble".»

«Cesser de descendre le niveau du concours»

L’agent de renseignement assure que beaucoup des problèmes liés aux soupçons de radicalisation «peuvent très vite se régler sans bureaucratie inutile»:

«J’ai vu certains collègues qui arboraient des barbes qui s’apparentaient à un signe religieux ostentatoire, ce qui est interdit dans la police. Dans ce cas, ce n’est pas compliqué; on demande au fonctionnaire de la tailler. S’il accepte, le problème est réglé; s’il refuse, il prend la porte. C’est aussi simple que cela.»

Il met également en avant la nécessité de bien embaucher. «Côté recrutement, les agents font l'objet d'enquêtes plus intrusives pour obtenir l'habilitation. Il existe une doctrine commune aux services de renseignement. Les entretiens préalables sont systématisés et se déroulent en présence d'un psychologue. Difficile d'en dire plus sans dévoiler des secrets», explique au Parisien Laurent Nuñez.

Un point positif pour Alexandre Langlois qui s’en prend tout de même aux coupes budgétaires qui frappent la police:

«Au bout d’un moment, si on ne veut pas prendre n’importe qui dans la police, il faut cesser de descendre le niveau du concours. C’est à ce moment que l’on se met en position d’intégrer des gens dangereux dans ses rangs. On nous dit que l’on veut mieux vérifier. Faisons-le dès l’entrée!»

En attendant, une cérémonie s’est tenue ce 2 octobre à la préfecture de police de Paris afin de rendre hommage aux victimes de l’attentat qui a frappé les lieux il y a un an. Un événement au goût amer pour Alexandre Langlois:

«Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin devait présider la cérémonie. Mais il a préféré faire de la politique politicienne aux Mureaux pour parler séparatisme plutôt que d’honorer la mémoire de nos collègues.»
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