Churchill voulait «bombarder l’URSS avec des bombes atomiques», selon une note d’archives

En avril 1951, quelques mois avant de réoccuper le poste de Premier ministre du Royaume-Uni, Winston Churchill suggère au général-major américain Julius Ochs Adler lors d’une discussion privée de «pilonner l’Union soviétique avec des bombes atomiques» si elle refuse de se soumettre aux conditions occidentales, révèle le Times.
Sputnik

Dans son livre Churchill (Paris, Fayard, octobre 1999), l’historien François Bédarida cite le Président américain Franklin Delano Roosvelt qui décrivait le caractère du Premier ministre britannique ainsi: «Winston a 100 idées par jour, dont trois ou quatre [seulement, ndlr] sont bonnes».

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Cette affirmation de l’un des plus grands hommes d’États du XXe, qui a travaillé avec Sir Churchill durant la Seconde Guerre mondiale au côté de l’URSS de Joseph Staline pour vaincre le nazisme, rend parfaitement compte de la teneur et de la nature des propos glaçants que Winston Churchill a tenus en 1951 lors d’une discussion avec le général-major américain Julius Ochs Adler, rapporte le Times.

En effet, dans une note découverte par le Pr Richard Toye, chef du département d’histoire à la l‘université d’Exeter, Winston Churchill suggère dans le cadre de la guerre froide «de pilonner l’URSS avec des frappes nucléaires préventives pour les soumettre à la domination occidentale».

Le document provient des archives du News York Times dont le général Adler était devenu le directeur général après la seconde Guerre Mondiale tout en gardant le statut de militaire de réserve.

Cibler 20 à 30 villes

La discussion a eu lieu fin avril 1951 au domicile de Churchill dans le Kent, quelques mois avant le retour de ce dernier aux affaires en tant que Premier ministre, poste qu’il occupera jusqu’en 1955.

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Au cours de celle-ci, Churchill déplore que la politique conjointe du Royaume-Uni et des États-Unis envers l’URSS soit «faible, au lieu d’être agressive», écrit le général Adler dans la note. «D’une manière un peu brusque, [Churchill] m'a demandé quel était le nombre officiel de bombes atomiques disponibles dans notre stock et notre estimation de la quantité dont disposait également l’URSS. J'ai répondu qu’heureusement, je n'étais pas dans les cercles internes du gouvernement et que je n'étais donc pas accablé par ce terrible secret», ajoute le haut gradé américain.

Et de poursuivre que Churchill «nous a ensuite surpris une deuxième fois en déclarant que s'il était Premier ministre et pouvait obtenir l'accord de notre gouvernement, il imposerait des conditions à l’URSS [et à défaut de leur abdication, ndlr] voire un ultimatum».

Dans le même sens, le Premier ministre britannique affirme que «si les Soviétiques refusent [de se soumettre, ndlr], le Kremlin doit être informé, à moins qu'il ne reconsidère sa position, que nous bombarderons l’une des 20 ou des 30 villes [les plus peuplées du pays désignées auparavant, ndlr]».

«Simultanément, nous devons les avertir qu'il est impératif que la population civile de chaque ville nommée soit immédiatement évacuée», précise-t-il.

Et si les Soviétiques «refusent» à nouveau de se soumettre?

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Le général Adler indique que tout de suite après, Winston Churchill a estimé que malgré ces menaces, les Soviétiques «allaient à nouveau refuser de se soumettre à nos conditions».

Dans ce cas, «nous devrons bombarder l’une des villes cibles, et si nécessaire d’autres», avance-t-il, d’après le militaire américain, soulignant que selon le Premier ministre britannique, «après une troisième frappe, une telle panique s’ensuivra parmi le peuple et au sein même du Kremlin que nos condition seront acceptées».

Julius Ochs Adler rétorque à Churchill qu'il ne croit pas que le peuple américain «consentira un jour à une telle forme de guerre préventive». Et d’ajouter que les États-Unis n'utiliseront «les bombes atomiques qu'en représailles».

Enfin, le général Adler rappelle au Premier ministre anglais «que la Grande-Bretagne et les États-Unis ont de nombreux partenaires à prendre en considération qui pourraient s’opposer à une telle politique».

Jusqu’où Churchill est-il prêt à aller?

Le Pr Toye qui a découvert la note écrite par le général Adler rappelle «qu’il est bien connu que Churchill préconisait ce type de menace avant août 1949, alors que l'Union soviétique n'avait pas encore développé ses propres armes nucléaires». Cependant, pour l’historien, bien que les propos de Winston Churchill soient choquants, il n’en demeure pas moins qu’à son retour au pouvoir vers fin 1951, «la politique qu’il a poursuivie [à l’égard de l’URSS, ndlr] était plutôt meilleure».

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«Lorsqu'il est redevenu Premier ministre, il ne s'est pas comporté de manière incroyablement menaçante», juge-t-il. Richard Toye explique que dans l’esprit de Churchill, pour mieux se défendre, il fallait formuler «des menaces suffisamment graves et crédibles, sans être obligé de leurs donner suite».

Néanmoins, le Pr Toye relève qu’une question intéressante demeure: à qui Churchill pensait pour les mise à exécution de ses menaces? Voulait-il dire: «Je le cela quand je serai de retour au pouvoir? Ou que le Président Truman devait le faire maintenant?». Peut-être aussi qu’en tenant ces propos au général Adler, pensait-il que par sa position, ce dernier «pourrait influencer l’administration américaine»? «C’est une possibilité», conclut l’historien.

Quelques précisions

Il y a lieu de noter que Winston Churchill avait une grande admiration pour le Président Truman qui, rappelons-le, a pris la décision en août 1945 de larguer deux bombes atomiques sur les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki, alors que le Japon avait déjà capitulé et qu’il n’y avait aucune raison militaire de la faire, si ce n’est pour des considérations géopolitiques envers l’URSS justement.

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Fin 1951, Harry Truman arrive à la fin de son mandat. Il ne pouvait ainsi en aucun cas envisager une telle option en pleine campagne présidentielle. En novembre 1952, le général Dwight David Eisenhower devient Président des États-Unis. Bien qu’il ait continué le développement de l’arsenal nucléaire américain, il l’a inscrit dans le cadre d’une doctrine strictement dissuasive. Le Président Eisenhower, en collaboration avec Joseph Staline, a mis fin à la guerre de Corée lancée par son prédécesseur. Il a également mis au point en 1953 le programme Atoms for Peace (Atomes pour la paix) visant à développer, nationalement et internationalement, les usages pacifiques de l'énergie atomique. Atoms for Peace mènera à la création de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

En janvier 1954, le général-major Julius Ochs Adler est nommé par le Président Eisenhower responsable de la réorganisation de l’armée de réserve américaine, au côté d’Arthur S. Flemming, directeur de la mobilisation au Département de la Défense.

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