Les troupes américaines se retirent d’Irak et d’Afghanistan, mais non du Moyen-Orient

Des milliers de soldats américains s’apprêtent à quitter l’Irak et l’Afghanistan. Est-ce la fin des «guerres interminables» des États-Unis et de la présence américaine au Moyen-Orient? Quel impact pour l’avenir de ces États pour le moins fragiles? Réponses de Karim Pakzad, chercheur à l’IRIS et spécialiste de la région.
Sputnik

Bientôt la fin des interminables guerres américaines au Moyen-Orient? C’est en tout cas l’objectif de Donald Trump. Et le Président américain accélère le pas à mesure que s’approche l’élection présidentielle de 2020. Ce sont donc 2.200 soldats américains qui quitteront l’Irak, et près de 3.000 soldats basés en Afghanistan qui suivront le même chemin, courant septembre.

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Une réduction substantielle qui soulève l’épineuse question de la viabilité de ces deux pays, encore instables et dépendants de la présence des forces américaines pour minimiser le chaos. Pour mieux comprendre les conséquences de ce retrait américain sur l’avenir politique et sécuritaire de l’Irak et l’Afghanistan, Sputnik a tendu le micro à Karim Pakzad, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste du Moyen-Orient.

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Pour lui, les deux pays ne sont pas à mettre sur le même plan au niveau de leur dépendance vis-à-vis de la présence militaire américaine:

«En Irak, il y a un pouvoir politique et un gouvernement qui sont de plus en plus représentatifs de la population. On n’est plus dans un cadre de guerre civile. De plus, l’armée irakienne –depuis quelques années– est reconstruite. L’État reprend ses droits.»

Et ce malgré de très importantes difficultés, liées notamment au coronavirus et à ses conséquences économiques, aux fluctuations du prix du pétrole et à l’insurrection de certains groupes djihadistes qui déstabilisent toujours le pays.

Selon Karim Pakzad, même avec toutes ces difficultés, le gouvernement irakien dans sa forme actuelle est toujours largement plus capable de se passer, à terme, de la présence militaire américaine, que le gouvernement afghan.

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En effet, après 19 ans de guerre impliquant les États-Unis (41 depuis l’invasion soviétique de 1979), l’État afghan est en déliquescence totale. De nombreuses régions échappent intégralement au contrôle du gouvernement de Kaboul. Le narcotrafic représente 32% du PIB, nourrissant de facto la population: entre 2016 et 2017, les cultures de pavot à opium sont passées de 201.000 à 328.000 hectares. D’ailleurs, le taux d’alphabétisation total ne dépasse pas 40%, là où il atteint près de 80% de la population en Irak.

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Et surtout, la violence y est omniprésente, avec des attentats des talibans quasi hebdomadaires, que ce soit sur des cibles gouvernementales ou civiles. Le dernier en date est survenu au cours de la rédaction de cet article, le 9 septembre au matin: il a fait au moins dix victimes. Un attentat qui donne une idée du niveau d’insécurité qui gangrène ce pays: sa cible n’était autre que le premier vice-Président afghan, Amrullah Saleh, qui a néanmoins survécu à l’attaque-suicide qui le visait.

​Face à cette situation, que pouvaient donc faire les États-Unis pour ne pas rester sur un échec cuisant, dans ce que Pakzad décrit comme une «guerre qui reste une blessure incroyable pour les États-Unis et à laquelle il fallait y mettre fin.» Ceux-ci avaient justifié leur intervention en arguant que l’Afghanistan était un refuge pour les terroristes qui avaient attaqué les États-Unis. Mais qu’est-ce qui les empêcherait de redevenir dans les pays une fois les Américains partis, s’interroge notre interlocuteur.

«Face à la faiblesse de l’État et des institutions afghanes, les Américains ont trouvé une alternative: les talibans. On est dans un processus où les Américains pourraient s’appuyer demain sur les talibans pour maintenir une influence dans le pays», répond le chercheur.

En effet, les États-Unis et les talibans ont signé un accord de paix en février 2020, ces derniers s’engageant à ne plus s’attaquer à des cibles américaines ou de l’Otan, en échange d’un retrait progressif des forces américaines du pays. Miser sur les «étudiants en religion» pour garder une influence en Afghanistan: un immense revirement, 19 ans après avoir voulu les traquer jusqu’au fin fond des grottes afghanes. Mais la géopolitique à ses raisons que la raison ignore.

Départ d’Irak et d’Afghanistan, mais pas du Moyen-Orient

Malgré leur retrait progressif d’Irak ou d’Afghanistan, les États-Unis n’abandonneront pas vraiment la région. Ainsi, faut-il placer ces annonces dans le contexte de la politique intérieure américaine, et de la course à la Maison-Blanche.

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«Trump est en difficulté dans les sondages en vue de la Présidentielle de 2020, et beaucoup d’électeurs sont en faveur du retrait des troupes américaines. Il espère tenir une promesse de campagne», indique Karim Pakzad.

Oui, ces retraits sont significatifs, compte tenu de la symbolique de la présence américaine dans ces pays. Mais non, ils n’actent pas la fin de la présence américaine au Moyen-Orient: au 4 janvier 2020, les États-Unis disposaient de 3.000 hommes en Jordanie, 3.000 en Arabie saoudite, 600 à Oman, 5.000 dans les Émirats arabes unis, 13.000 au Qatar, 7.000 à Bahreïn, 13.000 au Koweït, 800 en Syrie. Et les «boys» qui quitteront l’Irak et l’Afghanistan en septembre laisseront derrière eux 3.000 camarades dans un cas, 4 à 5.000 dans l’autre.

Rien que ça.

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