En s’attaquant à l’arme blanche, dimanche 6 septembre, à deux agents de la garde nationale près de la zone touristique d’El Kantaoui à Sousse (150 km au sud de Tunis), les trois terroristes ont commis un acte suicidaire. À ne pas confondre avec les attentats suicides que perpètrent les organisations terroristes dans le but de faire un maximum de victimes. Ce qui n’est visiblement pas le cas à El Kantaoui, même si le décès de l’adjudant Sami Mrabet, 38 ans, père de deux enfants, a provoqué beaucoup d’émoi dans l’opinion tunisienne.
Il est évident que l’objectif des assaillants était de prendre les armes des deux sous-officiers de la garde nationale afin de les utiliser dans de futurs attentats. La réactivité des forces de l’ordre autant que leur amateurisme leur ont été fatals. Le colonel-major de la garde nationale à la retraite Khalifa Chibani, ancien porte-parole du ministère tunisien de l’Intérieur, explique à Sputnik qu’ils ont été neutralisés en une dizaine de minutes.
Individus non fichés
L’opération antiterroriste a permis d’éliminer les trois individus, dont deux frères originaires d’Akouda. Le jour même, un quatrième homme a été arrêté. «Il me semble que c’est ce quatrième terroriste qui est le plus intéressant. D’ailleurs, dès le lendemain, les ministères de la Justice et de l’Intérieur ont annoncé l’audition de quarante personnes dans le cadre de cette affaire, ce qui a permis l’arrestation de sept individus, proches des deux frères qui ont commis l’attentat», indique le colonel-major Khalifa Chibani.
Selon lui, «l’amateurisme» de ce groupe ne signifie pas pour autant qu’il n’existait pas une volonté de constituer un noyau dur qui aurait été chargé de commettre des attentats dans la région du Sahel tunisien.
«Selon mon analyse, cette action terroriste a été mûrement réfléchie, même si elle a été commise par des amateurs. Il y a eu planification, soutien logistique et financement. À mon avis, ce processus a dû prendre plus de deux semaines. Les commanditaires qui sont derrière la constitution de ce réseau ont profité du fait que ces personnes n’étaient pas fichées par les forces de sécurité.»
«En fait, nous avons constaté que la quasi-totalité des actes terroristes commis en Tunisie a été perpétrée par des personnes inconnues des forces de sécurité. Depuis le début du terrorisme, nos services sont parvenus à identifier et à neutraliser un grand nombre d’individus grâce aux systèmes de surveillance informatiques, notamment sur Internet», ajoute-t-il.
«Opportunisme»
L’officier supérieur se montre cependant sceptique à propos de l’affiliation de ce groupuscule à la nébuleuse terroriste islamiste État islamique*. Il estime que Daech* a fait preuve d’opportunisme en revendiquant, lundi 7 septembre, cet attentat.
Au-delà des questions opérationnelles et d’allégeance à Daech ou Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI)*, le colonel-major note que cet attentat vise également à frapper les esprits et à porter atteinte à l’image et à l’économie du pays puisqu’il a été commis à proximité d’une des principales zones touristiques. En Tunisie, des personnalités politiques et des experts n’hésitent pas à pointer du doigt le parti islamiste Ennahda après chaque attentat.
La formation dirigée par Rached Ghannouchi, qui préside également l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), est ainsi accusée d’être l’instigatrice de ces actions terroristes à travers une «organisation secrète». Leila Chettaoui, ex-députée de Nida Tounes (parti créé par l’ancien président Béji Caïd Essebsi), a été présidente de la Commission parlementaire d’investigation sur des réseaux d’envoi des jeunes vers les zones de conflit. Interrogée par Sputnik, elle affirme ne pas croire à une relation directe entre les organisations terroristes et la direction du parti islamiste.
«Il est trop facile de faire ce lien. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent connaître l’identité des commanditaires de ces réseaux terroristes. Ennahda est un parti qui est dirigé par plusieurs responsables souvent de tendances différentes, de la plus moderne vers la plus radicale sur le plan idéologique.»
«Ennahda existe car il est servi par un système politique qu’il s’est attelé à mettre en place à travers la Constitution de 2014. D’où la nécessité de changer de système politique. Le système politique actuel ne permet pas d’avancer sur des questions essentielles, notamment celle de la sécurité nationale», affirme Leila Chettaoui.
Le leurre
Pour l’ancienne parlementaire, le sujet de l’organisation secrète d’Ennahda est «l’arbre qui cache la forêt».
«Ennahda a tenté de la réactiver pour essayer d’infiltrer le ministère de l’Intérieur en 2012. Mais cette action a échoué grâce à la vigilance des officiers de ce ministère. Aujourd’hui, cette histoire d’organisation est un leurre qui sert à faire oublier le dossier des réseaux de jeunes Tunisiens envoyés dans les rangs de Daech car c’est la question qui fâche réellement le parti islamiste. Ce dossier a été mis au placard», dit-elle.
Donc c’est dans le dossier des réseaux d’envoi de candidats au «djihad» que l’implication d’Ennahda serait la plus flagrante. «Au sein de la Commission que j’ai dirigée, nous sommes arrivés à deux conclusions mais nous n’avons pas pu aller au bout de notre travail. La première conclusion, la plus évidente, est que ce parti islamiste n’avait pas la compétence pour gérer le pays; la seconde était que les responsables d’Ennahda en poste au sein d’institutions de l’État ont vu et ont laissé faire. Malheureusement, nous n’avons pas pu confirmer l’implication de la plus haute hiérarchie d’Ennahda dans ce dossier car la commission n’a pas pu poursuivre nos investigations», regrette Leila Chettaoui.
*Organisation terroriste interdite en Russie.