Pour des raisons de sécurité, la visite d’Emmanuel Macron à Bagdad n’a été confirmée par la présidence française qu’à la dernière minute. Premier chef d’État étranger à se rendre en Irak depuis la nomination du Premier ministre Moustafa al-Kazimi, le locataire de l’Élysée est arrivé à Bagdad sur la pointe des pied Macron à Bagdad pour couper l’herbe sous le pied d’Erdogan.
Pourtant, cette visite pourrait faire beaucoup de bruit dans la région. En témoigne la justification de son déplacement. En effet, «en lien avec les Nations unies», le Président de la République s’est rendu en Irak pour «accompagner une démarche de souveraineté». Emmanuel Macron a d’ailleurs déclaré qu’il était au chevet de l’Irak, pour faire face au «défi des ingérences extérieures multiples, qu’elles viennent de plusieurs années ou soient plus récentes.» Sans préciser lesquelles. Le message adressé à l’Iran, la Turquie et les États-Unis est néanmoins clair.
Ces ingérences extérieures n’étaient pourtant qu’un des dossiers brûlants lors des discussions entre Paris et Bagdad. C’est en tout cas ce qu’explique au micro de Sputnik Adel Bakawan, directeur du département de recherche de l’Institut de Recherche et d’Études Méditerranée Moyen-Orient (IREMMO):
«Le premier objectif de cette visite –et le plus urgent– c’est de discuter avec les autorités irakiennes et trouver des solutions face au retour de Daech*. Ce retour est observé sur l’ensemble du territoire irakien, que ce soit dans les zones kurdes, sunnites ou chiites.»
Pour le chercheur, qu’il s’agisse d’«attentats, assassinats, enlèvements… tous les indicateurs montrent un retour objectif et structurel du groupe terroriste, ce qui constitue une grande menace pour l’État irakien, mais aussi pour le système régional et international. Macron va donc échanger sur ce sujet avec les autorités de Bagdad et les autorités d’Erbil.»
L’État irakien au bord de la faillite?
Au cours des trois premiers mois de l’année 2020, le compteur des attaques menées par Daech* contre différentes cibles en Irak s’élevait à 566. Un chiffre qui reflète la dure réalité de la situation sécuritaire dans le pays.
Et si ce dernier est un terreau aussi fertile pour le terrorisme, c’est surtout en raison de la déliquescence totale de l’État irakien. Il a été durement frappé en 2020, notamment par le coronavirus et ses conséquences économiques: le confinement mondial causé une chute faramineuse du prix du pétrole dès le premier trimestre de l’année. Les exportations de cette ressource représentent 95% des recettes de l’État. Rien que ça.
Les forces spéciales françaises bientôt redéployées en Irak?
Dans ce contexte, difficile d’assurer la sécurité du territoire et des gens qui le peuplent. C’est pourquoi Emmanuel Macron aurait proposé de renforcer la présence étrangère militaire en Irak:
«Le deuxième objectif est le redéploiement des forces spéciales françaises en Irak, qui ont quasiment toutes été retirées depuis la crise du Covid-19. Cependant, il faut que Macron trouve un cadre pour ce redéploiement. Et il espère le faire dans le cadre de l’Otan», estime le chercheur de l’IREMMO.
Pourquoi l’Alliance atlantique au Moyen-Orient? «Car les États-Unis sont rentrés dans une phase de désengagement en Irak. En marge de ce désengagement américain, la France souhaite un réengagement militaire et l’Otan semble être l’alternative la plus crédible.»
Emmanuel Macron espère ainsi atteindre un double objectif: d’une part, limiter les capacités de nuisance de Daech*, mais également tuer dans l’œuf les ambitions territoriales et militaires de la Turquie en Irak. Comme le rappelle justement Adel Bakawan,
«Le torchon brûle entre la France et la Turquie. L’Irak s’ajoute à ces terrains de conflit entre les deux pays. Et ce, car la Turquie a lancé une offensive de grande envergure dans le Kurdistan irakien pour pourchasser le PKK, considéré comme une organisation terroriste par Ankara.»
En effet, la zone autonome du Kurdistan irakien compte parmi les théâtres où Erdogan joue les gros bras, avec la Libye, la Syrie, la Méditerranée Orientale.
«Cette offensive turque en Irak est rejetée par Bagdad et Erbil, par les acteurs régionaux, mais aucun de ces pays-là n’a les moyens de stopper la Turquie. Et, car la France est en conflit avec la Turquie, elle va demander aux Irakiens, au nom de leur souveraineté, que Paris, via les Nations unies, intervienne dans le cadre de l’Otan pour remettre en cause l’intervention turque», souligne le spécialiste de l’Irak.
Reste à convaincre les autorités irakiennes, car sans elles, rien ne pourra se faire:
«Cette initiative est bien accueillie par les acteurs nationalistes irakiens, mais pas par les acteurs irakiens sunnites proches d’Ankara. Ces derniers ont d’ailleurs mis en ligne un communiqué condamnant l’initiative française en disant qu’elle entraînerait l’Irak dans un conflit qui n’est pas le sien», conclut Adel Bakawan.
Après 17 ans de guerre et d’instabilité dans le pays, le pari d’Emmanuel Macron est pour le moins risqué.
*Organisation terroriste interdite en Russie