Présidentielle ivoirienne: Laurent Gbagbo, «candidat contre vents et marées»

La famille politique de Laurent Gbagbo vient de déposer à la Commission électorale indépendante (CEI) sa candidature en vue de la présidentielle d’octobre. Mais le dossier de l’ancien Président ivoirien a de grandes chances d’être invalidé par le Conseil constitutionnel.
Sputnik

Il était 9 heures GMT passées, à Abidjan, quand Georges-Armand Ouegnin, président de la plateforme Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS), une coalition de partis politiques soutenant l’ex-Président Laurent Gbagbo, a déposé ce 31 août à la Commission électorale indépendante (CEI, la structure chargée des élections) la candidature de ce dernier à la présidentielle d’octobre.

«Nous venons de déposer le dossier de notre référent politique, le Président Laurent Gbagbo, le père de la démocratie en Côte d’Ivoire, que nous avons sollicité pour être notre candidat à la présidentielle», a-t-il déclaré face à la presse, à sa sortie des locaux de la commission électorale.

Dans le même temps, à quelques encablures de là, la ferveur était à son comble du côté des militants de l’ancien pensionnaire de la Cour pénale internationale (CPI), rassemblés en grand nombre depuis plus de deux heures.

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Les partisans de Laurent Gbagbo avaient promis une mobilisation d’envergure pour «accompagner» le dossier de candidature de leur champion. Et le pari a été tenu, en dépit de l’interdiction de rassemblement sur la voie publique qui prévaut jusqu’au 15 septembre.

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C’est à pied ou convoyés par des minicars ou autres véhicules de transport en commun que, dès avant 7 heures, ils ont convergé vers le siège de la CEI, situé dans la commune de Cocody à Abidjan, pour progressivement former une foule compacte parquée sur un trottoir aux abords de l’institution et surveillée comme l’huile sur le feu par des forces de l’ordre qui quadrillait tout le secteur.

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Selon un agent de police qui a accepté de répondre à Sputnik, les forces de l’ordre avaient reçu pour «consigne d’éviter tout débordement et accrochage avec les militants». L’objectif était de prévenir des affrontements comme lors des manifestations de l’opposition début août.

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À tue-tête et au son de la fanfare et des tam-tams, ils ont inlassablement scandé des slogans comme «On va installer Gbagbo» ou «On l’aime, l’aime Gbagbo», les deux doigts levés vers le ciel (signe distinctif du Front populaire ivoirien, le parti de Laurent Gbagbo).

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Pour tous, l’instant était à la fois festif et solennel, comme en témoigne au micro de Sputnik un partisan:

«En 2010, on nous a volé notre victoire et on a déporté notre Président à La Haye. Nous en avons beaucoup souffert mais aujourd’hui, un vent nouveau souffle sur la Côte d’Ivoire, l’heure est aux réjouissances. Laurent Gbagbo sera bientôt de retour au pays, n’en déplaise à ses détracteurs. Contre vents et marées, il est candidat à la présidentielle et sera restauré à la tête de l’État», a-t-il déclaré.

Acquitté le 15 janvier 2019 par la CPI des charges de crimes contre l’humanité (meurtres, viols, autres actes inhumains, ou tentatives de meurtre et actes de persécution) qui auraient été commis lors des violences postélectorales entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011 en Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo est actuellement en liberté conditionnelle en Belgique, dans l'attente d'un éventuel procès en appel.

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Si l’ancien Président a déjà manifesté le souhait de rentrer au pays –mais demeure pour l’heure confronté au refus des autorités ivoiriennes–, il ne s’est encore jamais exprimé publiquement sur sa candidature.

Le 31 août marquait la date limite pour les dépôts de candidature à la CEI. Peu après Laurent Gbagbo –dont les partisans se sont par la suite dispersés dans le calme–, un autre retardataire de poids a également fait déposer son dossier par un représentant, appuyé là encore par des militants survoltés.

​Il s’agit de Guillaume Soro, ancien président de l’Assemblée nationale et ex-chef de la rébellion armée de 2002.

​La «démonstration de force» de ses partisans était, certes, un peu moins importante en nombre et en intensité, mais tout aussi «suffisante pour marquer le coup», de l’avis de militants interrogés, visiblement satisfaits et confiants pour la suite.

Et maintenant ?

Laurent Gbagbo et Guillaume Soro (en exil en France) ont été radiés en août 2020 par la CEI des listes électorales de Côte d’Ivoire.

Pour le premier, cette décision fait suite à sa condamnation en 2018 à 20 ans de prison pour l’attaque de l’Agence nationale de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) pendant la crise postélectorale.

Pour ce qui est du second, elle est consécutive à sa peine d’emprisonnement de 20 ans écopée pour recel de deniers publics détournés et blanchiment de capitaux. Tous deux ont été jugés et condamnés par contumace par la justice ivoirienne.

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Leur dossier de candidature déposé, le dernier mot reviendra au Conseil constitutionnel.

«Bien que le nom de Laurent Gbagbo ait été radié de la liste électorale par des manœuvres que nous jugeons juridico-politiciennes, l’acte que nous venons de poser ce jour traduit notre volonté de nous insurger avec force contre l’exclusion par peur de notre candidat des compétitions électorales à venir. Le Conseil constitutionnel aura la lourde responsabilité devant le peuple ivoirien et devant l’Histoire de se prononcer sur la validité et la conformité de cette décision de radiation, au regard de la Constitution», a déclaré Georges-Armand Ouegnin face à la presse, à sa sortie de la CEI.

Il reviendra donc au Conseil constitutionnel de statuer sur l’éligibilité de Laurent Gbagbo et Guillaume Soro, ainsi que celle de tous les autres candidats, dont l’ancien Président Henri Konan Bédié et l’actuel chef d’État Alassane Ouattara –dont l’intention de briguer un troisième mandat est fortement contestée par l’opposition.

Mais à écouter Guillaume Soro, la messe semble dite d’avance:

«Nul n’ignore que la CEI et le Conseil constitutionnel sont des appendices du parti au pouvoir. Et qu’en réalité, c’est Alassane Ouattara qui écrira les décisions à lire», s’est-il exprimé dans un Tweet.

En cas de rejet des candidatures de Laurent Gbagbo et Guillaume Soro, difficile de prédire quelles actions mèneraient alors leurs militants qui promettent, pour les uns, de «combattre l’injustice par tous les moyens» et qui assurent, pour les autres, qu’Alassane Ouattara ne sera pas le prochain Président de Côte d’Ivoire.

Un nouveau risque de troubles majeurs

Avec les candidatures des anciens Présidents Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo et de l’actuel chef d’État Alassane Ouattara, la Côte d’Ivoire se retrouve dans une configuration particulièrement inquiétante car similaire en bien des points à celle qui a prévalu lors de la présidentielle de 2010, où la contestation des résultats de l’élection et le déchaînement de violence qui s’en est suivi ont fait plus de 3.000 morts.

À la différence notable cette fois que Henri Konan Bédié (recalé au premier tour en 2010) et Guillaume Soro (qui n’était pas candidat), grands soutiens d’Alassane Ouattara lors du second tour en 2010, semblent disposés, dix ans plus tard, à s’allier à Laurent Gbagbo pour faire barrage au projet du Président sortant de rempiler.

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