La «dynastie» républicaine des Gnassingbé, père et fils, se maintient contre vents et marées depuis 52 ans. L’alternance est la grande question qui taraude l’esprit des Togolais. Particulièrement les tenants des différents mouvements qui observent, admiratifs, la «réussite» des populations maliennes qui ont grandement contribué à renverser un régime impopulaire. Rien de tel au Togo. Pourtant, ce ne sont pas les mobilisations qui ont manqué.
L’avocat et militant politique Ata Zeus Ajavon avance une hypothèse: «La dynastie demeure au Togo, par manque de cohésion dans les rangs et dans les actions de l’opposition.»
«Contrairement aux Burkinabè en 2014, ou aux Maliens qui viennent d’en faire la démonstration, nous n’avons pas réussi à créer un groupe compact, soudé et tourné vers un projet politique commun. Chacun a toujours, dans la mesure du possible, cherché à tirer le plus de bénéfice politique dans nos actions. À cela s’ajoute l’utilisation des fake news sur la corruption de tel ou tel acteur de l’opposition pour nous diviser et briser la lutte», explique à Sputnik Me Ajavon, qui fut porte-parole du collectif «Sauvons le Togo».
Créé en 2012, ce mouvement politique et citoyen qui regroupe des organisations de la société civile et des partis politiques a réussi, dès sa création, à ébranler le pouvoir. Il est arrivé à mobiliser des centaines de milliers de Togolais dans les rues de Lomé pour demander le départ du Président Faure Gnassingbé qu’il soupçonnait de ne pas vouloir opérer les réformes constitutionnelles, institutionnelles et électorales recommandées par les observateurs électoraux lors de la présidentielle de 2010.
Toutefois, des désaccords autour de la stratégie d’action ont créé des dissensions entre ses membres à l’approche de la présidentielle de 2015. Me Ajavon croit d’ailleurs que de «nouveaux mouvements de cet acabit peuvent éclater à tout moment» et compte sur la nouvelle génération de politiciens et d’acteurs de la société civile pour y arriver.
En 2017, ce fut la genèse de la C14, une coalition de 14 partis de l’opposition togolaise née à la suite du mouvement populaire organisé le 19 août par le PNP -le Parti national panafricain de l’opposant Tikpi Atchadam- autour de trois principales revendications: le déverrouillage des institutions de la République, le vote de la diaspora et le retour à la Constitution de 1992. En accord avec ces réclamations, 13 autres partis avaient répondu à l’appel de Tikpi Atchadam pour accentuer les manifestations pacifiques, qui alors sont devenues plus virulentes.
Le pouvoir de Gnassingbé n’avait été sauvé que grâce à la Cedeao, qui avait réussi à faire baisser la pression dans les rues de Lomé en «imposant un dialogue et une feuille de route de sortie de crise». Cette feuille aura été le début de la chute de cette coalition du fait des désaccords stratégiques qui ont suivi en interne. Pire, la C14 s’est disloquée totalement par la suite sur des suspicions de corruption nées d’un cadeau de 30 millions de francs CFA (46.000 euros) du Président ivoirien Alassane Ouattara.
«L’alternance se produira quand l’opposition togolaise, face à un gouvernement qui fait tout pour s’éterniser, cessera d’accompagner la dictature au pouvoir dans des élections frauduleuses qui ne répondent à aucune norme démocratique», soutient à Sputnik l’analyste politique et défenseur des droits de l’Homme togolais Togoata Apédo-Amah.
Et pour cause, les opposants «dénoncent avant le scrutin mais y vont quand même, pour dénoncer le résultat par la suite. C’est de la pure bêtise, sinon de la complicité», fulmine-t-il.
Un pouvoir fort de son armée
Au-delà des problèmes internes à l’opposition togolaise, le pouvoir du Président sait compter sur le soutien infaillible, pour l’instant, de son armée.
«L’armée a été un facteur essentiel de la conclusion de la lutte au Burkina, comme c’est le cas aujourd’hui au Mali. Mais au Togo, nous sommes en présence d’une force militaire totalement acquise à la cause du pouvoir. Quand nous nous approchons du but, c’est cette armée que l’on fait sortir pour mater et tuer les citoyens», a indiqué à Sputnik Antoine Folly, délégué national de l’UDS-Togo -l’Union des démocrates socialistes- et l’un des premiers responsables de la coalition C14.
L’armée, toujours présente dans la politique au Togo a, lors du coup d’État militaire qui a suivi la mort de Gnassingbé père le 5 février 2005, comme lors de la présidentielle d’avril suivant, sévèrement réprimé les contestations pour installer Faure Gnassingbé au pouvoir. Les violents affrontements ont fait plus de 500 morts, selon un bilan contenu dans un rapport des Nations unies.
Lors des récentes tentatives de regroupement du peuple au lendemain de la présidentielle du 22 février 2020, c’est cette même armée qui s’est de nouveau illustrée pour éteindre toute velléité de contestation des résultats, dans ce petit pays bien quadrillé qui ne fait que 56.785 km².
Reportage publié sur YouTube illustrant les violences lors du scrutin présidentiel d’avril 2005 au Togo.
Mais la dernière dynastie républicaine d’Afrique de l’Ouest (la deuxième du continent avec le Gabon) ne doit-elle pas, aussi, sa résistance au changement à la stabilité du pays qu’elle régit?
Une dynastie qui résiste au changement, mais un pays stable
Sur le plan économique, si les indicateurs macroéconomiques sont au vert, ce petit État d’Afrique de l’Ouest a réussi à faire doubler le revenu par habitant au cours des quatre dernières années. Depuis 2018, les autorités communiquent sur un plan national de développement à l’horizon 2022 pour insuffler une dynamique de développement à l’ensemble du pays, accroître l’employabilité des jeunes, réduire le chômage et renforcer la production agricole. Sur le plan sécuritaire, bien que frontalier d’un Burkina Faso fortement touché par le terrorisme, le Togo demeure, pour l’instant, à l’abri de ce fléau et maintient une forme de cohésion nationale qui ne semble pas remise en cause.
Sont-ce ces atouts, relatifs dans une région aux abois, qui brident toute volonté sérieuse de la part des Togolais d’en découdre avec le pouvoir de Faure Gnassingbé?