«L'éducation n'est pas une variable d'ajustement, ni de nos sociétés ni d'une crise sanitaire.»
Invité de France 2, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer a déclaré que la rentrée scolaire aurait bien lieu le 1er septembre en France. Il n’a donc pas cédé face à l’inquiétude de certains syndicats qui demandent un report de celle-ci en raison de leurs craintes d’une reprise de l’épidémie de coronavirus.
«Bien sûr, il peut y avoir des exceptions locales», a-t-il cependant précisé.
Sur Europe 1 le 18 août, Guislaine David, secrétaire générale du syndicat d’enseignants SNUipp-FSU, faisait part de ses inquiétudes:
«On demande de décaler la rentrée des élèves pour que les enseignants puissent avoir plusieurs jours de prérentrée dans la semaine du 31 août afin de pouvoir anticiper cette rentrée qui n'est pas normale, mais sous Covid. Dans l'idéal, il nous faudrait la semaine du 31 pour pouvoir préparer un retour serein la semaine suivante», a-t-elle expliqué.
Le passage télévisé de Jean-Michel Blanquer n’a pas convaincu son syndicat qui a déclaré sur Twitter:
«La situation sanitaire change, pas le ministre qui maintient l’intégralité de son protocole sanitaire et renvoie au local. Ce serait aux équipes de gérer maintenant... Comment préparer sereinement la rentrée 2020?»
Le 20 juillet un «guide sanitaire» a été distribué par l’Éducation nationale. Il visait notamment à simplifier les modalités d’organisation et les consignes sanitaires dans un contexte de fort ralentissement de l’épidémie. Mais les récents discours faisant état de mauvais chiffres de propagation du coronavirus font dire à certains acteurs de l’enseignement que ce manuel n’est plus d’actualité.
Pourtant, devant l’inquiétude, Jean-Michel Blanquer a annoncé que le protocole serait quelque peu modifié. Jusqu’à présent, il ne rendait le masque obligatoire que pour les élèves à partir de 11 ans et seulement dans le cas où le mètre de distance ne pouvait être respecté dans les espaces clos.
«Ce que nous avons ajouté, c'est que le port du masque sera systématique à partir du collège, et pas seulement quand il n'y a pas de distance physique, dans les espaces clos. Mais dans les espaces aérés, c'est à l'appréciation locale», a expliqué le ministre.
Si un cas de Covid-19 est découvert dans une classe, «on fait immédiatement des tests sur la classe et sur l'école. À partir de là, on remonte la chaîne de contamination», a détaillé le ministre. Il a ajouté que des fermetures de classe ou d’établissement pourraient être ordonnées.
Jean-Paul Brighelli, enseignant et auteur de nombreux ouvrages, dont le remarqué La fabrique du crétin: La mort programmée de l'école (Ed. Jean-Claude Gawsewitch, 2005), ne goutte que peu la frilosité de certains de ses collègues et craint que des règles sanitaires trop contraignantes ne perturbent l’enseignement des élèves. Il s’est confié à Sputnik.
Sputnik France: Pensez-vous que le protocole sanitaire diffusé en juillet ne soit plus d’actualité comme certains de vos collègues?
Jean-Paul Brighelli: «Bien au contraire, il est parfaitement conforme à la réalité sanitaire. Nous pouvons très bien faire revenir les élèves en cours normalement sans nous regarder comme des porteurs de germes les uns et les autres. Nous pouvons très bien recommencer à les instruire et cela est plus que nécessaire car beaucoup sont dans un état terrifiant. Je rappelle que selon une étude du ministère de l’Éducation nationale, les enseignants ont perdu le contact avec 10% des élèves de la 6e à la terminale lors de la période d’apprentissage à distance. Il est extrêmement urgent de reprendre les cours d’une manière qui n’aurait jamais dû cesser d’être.»
«Si les employés de supermarché étaient aussi peureux, nous serions tous morts de faim.»
Sputnik France: Ceux qui demandent un report de la rentrée font donc preuve de trop de frilosité?
Jean-Paul Brighelli: «Des syndicats mettent la pression aux professeurs les plus frileux en leur disant de faire cours avec un masque et de pousser à la sécurité sanitaire à outrance. Entre mai et juin, certains syndicats ont joué aux maccarthystes en vérifiant que les chefs d’établissement faisaient bien nettoyer les salles après chaque passage, que tout était ‘clean’, etc… Je n’ai vu jamais un corps de métier aussi trouillard que les enseignants. Si les employés de supermarché étaient aussi peureux, nous serions tous morts de faim. Il n’y a pas de danger particulier. Nous savons que les enfants ne représentent pas une population à risque. Il faut le dire aux parents d’élèves qui peuvent être inquiets.»
Sputnik France: Il y a pourtant des craintes de reprise de l’épidémie…
Jean-Paul Brighelli: «De nombreux spécialistes s’accordent à dire qu’il n’existe aucun rebond de la pandémie ni de deuxième vague. Il y a plus de cas car il y a plus de personnes testées. Mais le nombre de gens hospitalisés et de morts est sans commune mesure avec ce que nous avons vécu au plus fort de l’épidémie. Que l’on prenne des précautions d’hygiène, que l’on se lave les mains, que l’on évite les contacts physiques, c’est concevable. Mais il est urgent de recommencer à transmettre le savoir aux élèves de façon normale.»
Sputnik France: Selon vous, il est impératif que les élèves retournent en classe avec une présence des professeurs…
Jean-Paul Brighelli: «L’absence dans les établissements durant plusieurs mois va être très préjudiciable pour de nombreux enfants, quoi que l’on raconte sur les cours à distance. Tout d’abord, il y a eu de très grandes disparités, ne serait-ce que parce que beaucoup d’enfants ne sont pas équipés pour recevoir l’enseignement à distance. C’est d’ailleurs la même situation pour certains professeurs. J’ai moi-même effectué tous mes cours par l’intermédiaire des boîtes mail de mes élèves. De plus, je ne conçois pas que l’on puisse faire une classe sérieuse par vidéoconférence. Vous avez d’ailleurs beaucoup d’étudiants de prestigieux établissements américains tels que Harvard qui refusent de payer le prix fort pour des cours en ligne.»
Sputnik France: Vous êtes farouchement opposé à une adaptation des programmes par rapport à cette crise…
Jean-Paul Brighelli: «Le Syndicat national des enseignements de second degré, par le biais de sa secrétaire générale Frédérique Rolet, appelle à baisser les exigences et à aménager les programmes. Ces dernières années, nous n’avons fait que cela, de baisser les exigences. Il faut au contraire donner davantage à ceux qui ont manqué des mois de cours, au moins pendant la moitié de l’année à venir. Comment voulez-vous agir de la sorte quand vous avez des professeurs qui militent pour que les élèves ne soient que 15 par classe afin de respecter les distances de sécurité? Leurs enfants n’ont pas de souci à se faire car ils s’occupent d’eux à la maison. Mais quid de ceux qui sont le plus en difficulté?
«Ceux qui n’ont rien, ils font comment s’ils n’ont pas de professeur en face d’eux?»
C’est pour eux qu’il est le plus important de donner des cours réels, avec la présence de l’enseignant. Plus un élève appartient à un milieu culturel favorisé, plus il pourra diversifier ses sources. Mais ceux qui n’ont rien, qui vivent à plusieurs dans de petites surfaces, qui n’ont pas d’ordinateur, etc., ils font comment s’ils n’ont pas de professeur en face d’eux? Je trouve sidérant que des syndicats qui se réclament majoritairement de la gauche se débrouillent pour avoir des exigences qui tueront dans l’œuf les espoirs scolaires de beaucoup d’enfants de prolétaires.»
Sputnik France: Le ministère de l’Éducation nationale plaide pour un cadrage en souplesse qui permette des ajustements «au cas par cas», notamment par les rectorats. Qu’en pensez-vous?
Jean-Paul Brighelli: «Le cas par cas est une façon de faire porter la responsabilité sur les chefs d’établissement qui vont se couvrir en essayant de prendre le maximum de précautions les uns après les autres. Depuis cinq mois, tout le monde essaie de se couvrir. Le gouvernement essaie de cacher le fait qu’il a fait preuve d’un amateurisme terrifiant dans la gestion de cette épidémie. Les chefs d’établissement se couvrent également puisqu’ils sont responsables de la santé de leurs employés. Nous pourrions même voir des gens renvoyés car ils ne respectent pas à la lettre les consignes sanitaires qui leur sont données.
«Nous sommes aujourd’hui dans une situation de panique qui vire à la psychose»
Jean-Paul Brighelli: Je n’ai jamais assisté à pareille régression en si peu de temps du fait d’un prétexte sanitaire. Imaginez que l’on ferme un établissement pour un cas de coronavirus. Nous allons faire payer à de nombreux élèves, qui n’ont rien d’autre que l’école pour apprendre, le fait que l’un d’entre eux a toussé, alors qu’en écrasante majorité, ils ne présentent pratiquement aucun symptôme? Il faut être sérieux. Nous sommes aujourd’hui dans une situation de panique qui vire à la psychose et un tel contexte permet de faire passer n’importe quoi.»