Six heures d’interrogatoire. C’est le calvaire auquel a été soumis l’ancien Président Mohamed Ould Abdel Aziz par des officiers du renseignement dans les locaux de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) à Nouakchott dans la journée du 17 août. À la fin de son audition, l’ex-chef d’État aurait été placé en garde à vue dans une villa située dans l’enceinte de l’École de police.
Selon les sources de Sputnik, cette arrestation est intervenue alors qu’il envisageait de tenir une conférence de presse ce 18 août pour répondre aux allégations d’une commission d’enquête parlementaire (CEP) sur certains dossiers liés à sa gestion du pays entre 2009 et 2019, année où il transmit le pouvoir, au terme d’une «transition démocratique» saluée comme historique à son dauphin, l’actuel Président Mohamed Ould Ghazouani. Mais depuis quelques semaines, et à la faveur d’une opération «mains propres», celui-ci serait en passe de s’affranchir de la tutelle de son prédécesseur.
Enquête sur la sécurité nationale?
«C’est le noir absolu» autour de cette «affaire Aziz», souligne un interlocuteur mauritanien joint par Sputnik et qui a préféré garder l’anonymat. Mais en réalité, «il y a plusieurs affaires» qui planent sur la tête de l’ancien Président, indique à Sputnik Cheikh Ould Jiddou, expert juriste, lanceur d’alerte.
«Les choses sont allées très vite. L’ex-chef d’État ne fait pas encore l’objet d’accusations très précises. Mais avec la découverte d’une flotte de véhicules susceptibles, selon les enquêteurs, de constituer une logistique militaire, de stocks de carburant jugés importants, d’argent en liquide, en plus des rumeurs de kidnapping du Président en exercice arrivé au pouvoir en juin 2019 dans un contexte tendu, il est possible que l’audition concerne des points liés à la sécurité nationale», indique cet activiste des droits humains qui a fait de la prison sous le régime Aziz pour dénonciation de la corruption.
Selon des sources sécuritaires locales contactées par Sputnik, l’ancien Président mauritanien aurait tenté de fuir vers le Mali, un élément qui aurait accéléré sa convocation et son audition par la Sûreté nationale.
«(…) Aucun Mauritanien ne peut produire de preuve attestant que l’ancien Président détient en son nom des voitures ou des maisons», ont-ils indiqué dans la presse locale.
Alors que son mentor était auditionné par les agents de la Sûreté nationale, Isselkou Ahmed Izidbih, ex-chef de la diplomatie mauritanienne, pointait du doigt dans un communiqué un «enlèvement perpétré par la police politique» du pouvoir. Un «précédent dangereux, le premier du genre dans le pays et même dans la sous-région» ouest-africaine.
«Kidnapping» et «séquestration» d’un ancien Président de la République
Les autres faits qui pourraient valoir à Aziz d’autres auditions pourraient être liés à la violation présumée des règles de bonne gouvernance financière au cours de sa présidence (2009-2019). Dans le rapport de la CEP parvenu le 5 août dernier au Président Mohamed Ould Ghazouani figurent des infractions présumées de corruption, népotisme, trafic d’influence liées à des marchés publics exécutés de gré à gré. Des proches de l’ancien Président concernés par ces accusations ont alors été extirpés du nouveau gouvernement formé le 9 août par Mohamed Ould Bilal.
Les autorités mauritaniennes enquêtent également sur l’offre publique d’achat (OPA) manquée du 5 août dernier que l’ancien Président aurait planifiée pour prendre possession du Parti unioniste social-démocrate. L’opération, qui aurait été menée par ses proches, a été finalement bloquée par les ministères de l’Intérieur et de la Justice. Depuis décembre 2019, l’Union pour la République (UPR), le parti qu’il avait fondé en 2009, avait basculé dans le giron de son successeur.
Jusqu’à 16h GMT ce mardi 18 août, aucun commentaire officiel n’était disponible de la part des autorités mauritaniennes sur ce qui ressemble à un vrai séisme d’État.