Pesticides interdits puis réautorisés: Barbara Pompili accusée d’avoir «lâché» sous la pression des lobbies

Après l’annonce de l’autorisation de réintroduire les pesticides néonicotinoïdes pour sauver la filière betteravière, les apiculteurs sont en colère. Sputnik a interrogé un éleveur d’abeilles pour qui ce choix est incompréhensible.
Sputnik
«Cela ne nous étonne pas. On interdit en grande pompe des produits en clamant qu’ils sont toxiques mais après, doucement, par derrière, on les remet avec des dérogations, donc encore une fois les choses ne changent pas.»

Après l’annonce du gouvernement d’autoriser les agriculteurs de la filière betteravière à utiliser des néonicotinoïdes, insecticides agissant sur le système nerveux des insectes, Nicolas Puech, un apiculteur bio basé en Ariège et faisant partie du groupe Natur Miel, ne cache pas sa déception. Car ce produit, interdit depuis 2018, s’attaque aussi aux pollinisateurs comme les abeilles:

«C’est un drôle de retour en arrière car il avait été décidé qu’ils étaient dangereux pour la biodiversité», tonne Nicolas Puech.

Le gouvernement justifie cette décision par la nécessité de soutenir la filière sucrière, touchée par la jaunisse de la betterave, maladie transmise par les pucerons.

Pour ce faire, l’exécutif a expliqué qu’il proposerait une modification législative à l'automne afin d’autoriser les agriculteurs à les utiliser dès 2021 et jusqu'en 2023 maximum, sous des «conditions strictes».

Sauver la filière betterave

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Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, a indiqué que l’autorisation de réintroduction d'un insecticide a été une «décision difficile à prendre» mais qu’à défaut de solution, la filière agricole pourrait disparaître. Le ministère de l'Agriculture évoque 30%, voire 50%, de pertes de rendement possibles, sans compter que ces perspectives moroses pourraient inciter les exploitants à délaisser la culture de la betterave.

Un secteur qui est pourtant stratégique puisque la France est le premier producteur européen de sucre et de bioéthanol, avec plus d’un milliard d’euros d’excédent commercial. Une branche qui emploie 46.000 personnes, dont 25.000 cultivateurs et 21 sucreries.

Des insecticides dangereux pour la biodiversité

Malgré ces chiffres, Nicolas Puech rappelle que la valeur des insectes est inestimable: «On réalise en fin de compte, par cette décision, que l’agriculture représenterait une source de revenus beaucoup plus importante que la pollinisation naturelle offerte par tous les insectes.»

«Lorsque l’on fait la balance économique des bienfaits apportés par les insectes sur l’environnement, sur les cultures, donc pour la production de nourriture, on constate que les insectes sont beaucoup plus importants qu’une filière de betterave», estime Nicolas Puech. Pour l’apiculteur, l’exécutif est sous influence:

«On pense que c’est une pression des lobbies de l’agrochimie et de la FNSEA [Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, ndlr] sur les ministères, et la nouvelle ministre Barbara Pompili a lâché.»

​Des accusations que font également les associations de protection des abeilles et les syndicats d’apiculteurs. Dans une lettre ouverte adressée à Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, ils observent que «c’est avec une terrible déception que nous constatons que vous cédez, quelques semaines à peine après votre nouvelle nomination, à la pression du lobby sucrier...».

Pression des lobbies

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Et de poursuivre: «Au mépris des apiculteurs et de la faune auxiliaire tellement menacée, au mépris des effets délétères avérés de ces poisons sur l’environnement et sur la santé, et au mépris, aussi, des scientifiques qui les ont démontrés au fil des vingt dernières années pour justifier qu’ils soient, enfin, interdits.»

Nicolas Puech regrette que les doléances et inquiétudes de la filière apicole soient écartées. Il prévient que ce choix du gouvernement pourrait avoir de lourdes conséquences. «Si cette décision intervient sur la betterave, elle interviendra après sur d’autres cultures. Peut-être même que d’autres substances reviendront sur le marché sous prétexte de rendements qui sont bas», déplore-t-il.

«Je suis très triste pour l’environnement car ce sont des produits qui sont très nocifs pour la biodiversité et les milieux environnants. Tout le monde l’occulte pour préserver les intérêts économiques du milieu agricole, alors que nous-mêmes, apiculteurs, nous sommes agriculteurs. Encore une fois, on nous a divisés… mais on est habitués», conclut Nicolas Puech, amer.
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