Drame au Liban: le sectarisme assumé d’un cheikh salafiste marocain provoque un tollé

Hassan El Kettani, figure de proue du salafisme au Maroc, persiste et signe. Sur Facebook, le cheikh regrette que les explosions à Beyrouth aient touché les siens. Ses propos ont choqué et outré la Toile. Retour sur une polémique encore intense.
Sputnik

En réaction à la double explosion survenue le 4 août dernier dans le port de la capitale libanaise, le prédicateur islamiste marocain Hassan El Kettani a publié sur son compte Facebook une série de posts controversés.

Dans celui qui a le plus choqué, l’ancien conseiller du roi Fayçal d’Arabie saoudite et fondateur de la Rabita internationale des oulémas se désole que les déflagrations meurtrières aient frappé les sunnites. Un courant de l’islam dont il se proclame, mais dans sa forme la plus rigoriste. 

«Le plus affligeant dans ce qui s’est produit à Beyrouth est que l’explosion a eu lieu dans un bastion sunnite… À Dieu nous appartenons et vers lui nous retournerons, que Dieu ait pitié de nos martyrs», écrit Hassan El Kettani sur son mur Facebook.

De nombreux internautes du Maroc et d’ailleurs ont été scandalisés par les propos du cheikh polémique. Certains commentateurs, indignés, lui rappellent que «l’appartenance religieuse ou communautaire des défunts n’a aucune importance» et que «toute mort est une perte et toute perte est douleur», en vain.

Au lieu de se raviser, Hassan El Kettani tente de se justifier. «Si une calamité survient quelque part, il est naturel que vous vous préoccupiez d’abord des membres de votre famille», insiste-t-il.

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La position, obstinée d’El Kettani semble avoir décomplexé certains de ses suiveurs. «Nous ne partageons guère la douleur de nos ennemis», a même commenté l’un d’eux. De tels commentaires n’ont fait qu’irriter davantage ses détracteurs, notamment ceux de la diaspora libanaise au Maroc.

Hala*, 50 ans, vit à Casablanca depuis près de seize ans avec sa petite famille. Cette mère libanaise de deux enfants se dit «offensée» par le commentaire «inapproprié» du cheikh salafiste. «Il se trompe sur toute la ligne. Il me fait pitié. Pour sa gouverne, toutes les appartenances et communautés religieuses ont été touchées par le récent drame survenu au Liban, à travers la perte d’un parent, d’un proche ou d’un voisin… Parmi les regrettés, il y a des musulmans sunnites et d’autres chiites, des chrétiens maronites et des orthodoxes... On est d’abord et avant tout des êtres humains, quelle que soit notre appartenance. Comment pourrait-on se désoler de la mort des uns sans rien ressentir pour la perte des autres?», s’insurge Hala, en réponse aux questions de Sputnik.

«Je conseille à El Kettani de prêcher plutôt pour l’unité et non pas pour le clivage et le séparatisme entre communautés libanaises. On a déjà beaucoup trop longtemps souffert de ce mal», lance Hala, émue.

Même émotion du côté d’Alexandre, 30 ans. Ce jeune Franco-Libanais vit au cœur de Beyrouth depuis plus d’un an avec son épouse marocaine Wahiba et sa petite fille d’un mois. Ils sont en vacances dans la ville de Saïdia (nord-est du Maroc). Contacté par Sputnik, le couple se dit rongé par le sentiment d’impuissance face au drame du 4 août dernier. «Nos cœurs sont au Liban avec notre famille et nos amis», affirme Alexandre avec un long soupir. Pour lui, les paroles de Hassan El Kettani sont «écœurantes».

«Ce cheikh est en train de semer la haine, de prêcher la division. Cela n’a pas lieu d’être, surtout pas en ce moment crucial de reconstruction… Avec tous les problèmes qui déchirent déjà le Liban, le pays n’a pas du tout besoin de ces dérives», déclare-t-il d’un ton ferme.

Contacté à plusieurs reprises par Sputnik, Hassan El Kettani a laissé nos nombreux appels sans réponse.

D’autres commentateurs abondent dans le même sens et préviennent des posts «dogmatiques» des «vautours», des «exploitants des malheurs» et des «extrémistes banalisés». 

Charafat Afilal, membre du bureau politique du Parti du progrès et du socialisme (PPS), une formation politique marocaine de gauche, a aussi réagi au post controversé d’El Kettani. «Exploiter cette tragédie, instrumentaliser la peine et la douleur d’un peuple meurtri pour nourrir le sectarisme inhumain… Je crains ces gens-là pour mon pays», fustige la députée sur son compte personnel.

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Le prédicateur islamiste a été également critiqué par l’ex-cheikh salafiste marocain, aujourd’hui repenti, Mohamed Abdelouahab Rafiki. Celui qui est encore connu sous son ancien surnom de prêcheur «Abou Hafs» a expliqué à Sputnik le fond de son indignation face aux propos tenus par son ancien compagnon de cellule Hassan El Kettani.

«Quand un sectaire entend parler d'un événement impliquant des morts et des victimes, la première chose qu'il demande, c’est combien de membres de sa mouvance sont décédés. Il ne se soucie guère des autres vies perdues. Il peut même se réjouir lorsqu’il apprend qu’un grand nombre de victimes d’un autre courant que le sien est à déplorer», explique Mohamed Abdelouahab Rafiki.

«Nous sommes face ici au sectarisme le plus abject. Malheureusement, cette attitude odieuse est enracinée, voire très répandue dans les milieux islamistes dans notre pays. Il faut combattre ces idées pour qu’elle ne se propagent pas davantage dans la société marocaine car elles sont dangereuses. Elles représentent l’une des premières phases de l’extrémisme radical», alerte l’ancien prêcheur islamiste aujourd’hui âgé de 46 ans, devenu chercheur en études islamiques.

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Comme «Cheikh» Hassan El Kettani, Abou Hafs est lui aussi passé par la case prison. Tous les deux ont été condamnés en 2003 pour avoir inspiré et radicalisé les auteurs des attaques du 16 mai de la même année.

Pour rappel, les attentats de 2003 ont été perpétrés contre cinq sites à Casablanca et avaient fait 45 morts. Dans cette affaire, Abdelwahab Rafiki avait été condamné à trente ans de réclusion. Hassan El Kettani, quant à lui, avait écopé d’une peine de vingt ans. Les deux compagnons de cellule ont été libérés en 2012, à la faveur d’une grâce royale. Mais leurs chemins se sont définitivement séparés depuis. La preuve: Rafiki critique vivement El Kettani qu’il dénonce. Et il n’est pas le seul à le faire.  

* Prénom d'emprunt

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