«Aidez-nous à vous aider» disait le 24 juillet Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, au gouvernement libanais lors d’un déplacement à Beyrouth. Une déclaration qui prend encore plus de sens après la double explosion gigantesque du 4 août, qui a rasé le port de Beyrouth et gravement endommagé la ville.
Depuis plusieurs mois, le Liban est au bord de l’abîme: inflation monstre, pouvoir d’achat en chute libre, services publics les plus basiques en accès extrêmement limité, dette du pays qui explose, sans même parler du coût économique et sanitaire du Covid-19… Entre-temps, les élites politiques et économiques cherchent en vain un accord sur les réformes nécessaires pour obtenir de l’aide extérieure.
Les élites politiques fustigées
Au micro de Sputnik France, Christian Chesnot, auteur de plusieurs ouvrages sur la géopolitique de la région, dont Qatar papers : Comment l'émirat finance l'islam de France et d'Europe ( Ed. Lafon, 2019) explique le statu quo par le fait que cette classe dirigeante est avant tout attachée à son maintien au pouvoir:
«Le Liban est dirigé par une mafia politico-affairiste de chefs de clans, de banquiers et d’industriels qui ont fait main basse sur l’économie libanaise. Et ces gens-là ne veulent pas partager le gâteau.»
Christian Chesnot en veut pour preuve le veto opposé au numéro deux du ministère des Finances, Alain Bifani, lorsque celui-ci avait proposé la taxation des comptes bancaires de plus de cinq millions de dollars. Bifani est même allé plus loin, ayant présenté sa démission le 29 juin 2020 en indiquant que «les forces de l’injustice se sont liguées pour faire avorter le plan de sauvetage économique du pays.»
En effet, depuis la mi-mai, la classe dirigeante libanaise est en négociation avec le FMI (Fonds monétaire international) en vue de débloquer plusieurs milliards de dollars d’aide budgétaire, dont le pays a terriblement besoin. Seulement voilà, depuis que ces négociations ont été entamées, hormis l’accord sur le diagnostic, les protagonistes libanais n’ont jamais réussi à se mettre d’accord sur la marche à suivre. 17 réunions plus tard, la délégation libanaise se déchire encore sur le niveau des pertes du pays et sur les moyens de les essuyer.
L’explosion, paradoxalement, une chance pour les Libanais?
Le Liban se trouvait donc depuis plusieurs mois dans une forme de stagnation politico-économique moribonde et le mythe d’une résilience libanaise prête à surmonter n’importe quelle épreuve tendait une perche métaphysique à laquelle la population se rattrapait comme elle le pouvait.
«Le gros problème de fond va être la reconstruction de l’État libanais. Est-ce que cette explosion va rebattre les cartes? Dans quel sens? Passée l’émotion, passée l’aide d’urgence, ces questions vont très vite se poser», souligne Christian Chesnot.
En effet, l’émotion et l’urgence humanitaire prédominent actuellement, mais viendra bientôt l’heure des comptes. Et les Libanais, déjà à bout pour beaucoup d’entre eux, attendent des réponses, confie à Sputnik une journaliste locale bien informée.
Le gouvernement est donc dos au mur, car il est désormais sous le projecteur du peuple libanais et de la communauté internationale, sous le choc après ces terribles images. Il commence d’ailleurs à montrer des signes de transparence sur le dossier de l’explosion: il a rapidement lancé une enquête et toutes les personnes concernées ont été assignées à résidence. L’état d’urgence a même été décrété ce 5 août.
Selon cette même source sur le terrain, c’est un signe de sérieux que le gouvernement veut envoyer aux Libanais et à l’international. La question est de savoir si cette explosion sera l’accélérateur de particules que les Libanais attendent depuis si longtemps.