Dans un contexte régional de grandes inégalités et de pauvreté, sept organisations ouest-africaines, accompagnées par Oxfam et CARE, ont décidé de mettre en avant l’impact de la crise du Covid-19 sur les femmes en Afrique de l’Ouest «dans toute leur diversité.» Qu’elles soient agricultrices, commerçantes, femmes dans les communautés de pasteurs, dans les coopératives, vivant dans les zones urbaines ou rurales, elles sont en effet en première ligne face à la crise.
«Non seulement ces femmes occupent les emplois les plus précaires, souvent dans le secteur informel, mais elles sont aussi les premières donneuses de soins dans leurs communautés. Ce qui renforce de manière cruelle les inégalités de genre préexistantes et menace à certains égards les avancées réalisées au cours des dernières années pour l’égalité entre les hommes et les femmes», précise un communiqué publié à la veille de la Journée internationale de la femme africaine, célébrée le 31 juillet, dont Sputnik France a eu copie.
Les organisations ont décidé de partager «leurs réalités, leurs réflexions et leurs solutions» autour de sept thématiques prioritaires «identifiées par et pour les femmes de la région», indique ce communiqué. Dans un petit livret facile d’accès, les signataires présentent les conséquences de la crise du Covid-19 «sur la perte des revenus financiers de ces femmes», sur la réduction de leur accès aux services sociaux de base, «dont la santé et l’éducation», ainsi que sur «l’augmentation de leur vulnérabilité et de la violence basée sur le genre», précisent-ils. Tout en saluant le courage des femmes ouest-africaines.
Invitée de Sputnik Afrique, Reckya Madougou, experte béninoise en inclusion financière et développement et ex-ministre de la Microfinance de l’Emploi des jeunes et des femmes dans son pays, a également salué la résilience des populations vulnérables d’Afrique de l’Ouest et du Centre, à savoir les femmes, mais aussi les jeunes.
«Jusqu’à présent, nous avions une façon très désuète d’élaborer nos politiques publiques. Cette façon de faire n’est plus du tout adaptée au contexte crisogène de la pandémie, pas plus qu’il ne l’est aux réalités de nos économies, où le secteur informel prédomine. Cette crise sanitaire est donc une chance de revoir en profondeur l’inclusion sociale dans nos sociétés africaines», a-t-elle expliqué.
Bien maîtrisé, le nombre de jeunes en âge de travailler, 1,1 milliard d’Africains de moins de 25 ans à l’horizon 2034, selon les prévisions de la Banque mondiale, est, selon elle, une «chance à saisir» avant qu’elle ne devienne une «bombe démographique», comme le craignent nombre d’économistes en Occident.
Reddition des comptes et suivi-évaluation
Car, avec une moyenne d’âge de 19 ans pour l’Afrique (contre environ 45 ans en Europe, actuellement), toute cette jeunesse africaine représente, selon elle, «une force de travail potentiellement extraordinaire.» À condition, toutefois, que les gouvernements africains «soient en mesure de les former, de les maintenir en bonne santé et surtout que leurs compétences entrent en adéquation avec les besoins du marché», fait-elle valoir.
«Si de plus en plus de gouvernements africains font preuve de transparence dans les finances publiques, le citoyen lambda finira par comprendre. À cette gouvernance capable d’appliquer la reddition des comptes et de châtier ceux qui dévient, il faut aussi rajouter un suivi-évaluation de nos politiques publiques, actuellement totalement absente des radars», ajoute-t-elle.
Aussi, pour elle, l’une des pistes à privilégier est la «montée en gamme des acteurs de l’économie réelle grâce à l’élaboration de politiques publiques plus proactives et coordonnées.» Cela passe, dans un premier temps, indique-t-elle, par la mise en place de fonds d’appui au secteur privé, le seul susceptible –malgré ses faibles moyens actuels– de faire redémarrer les économies nationales.
La microfinance, antichambre de la mésofinance
Avec 75% de la population active employée dans l’informel en Afrique subsaharienne, un secteur qui génère 50% du PIB, «la tâche se complique», reconnaît-elle, surtout quand il s’agit de lever des fonds pour assister des populations vulnérables. «D’où le risque d’engrenage, que l’on ne peut jamais écarter en Afrique, entre une crise sanitaire, une crise économique et une crise humanitaire», s’inquiète-t-elle. Face à ces carences dans les financements publics, quelles sont les alternatives envisageables?
«La mobilisation de ressources ne doit pas uniquement venir des bailleurs de fonds étrangers. Mais comme les transferts de la diaspora ont été drastiquement réduits à cause de la pandémie, il va bien falloir trouver des alternatives. Elles sont en train de se mettre en place», répond Reckya Madougou.
Pourtant, jusqu’à présent, la microfinance n’a pas réussi à faire émerger ce secteur. Ne croit-elle pas, dans ces conditions, qu’il vaudrait mieux mettre l’accent sur la «mésofinance» (prêts à partir d’environ 1.000 euros, destinés aux PME, un échelon intermédiaire entre le microfinancement et le prêt classique) et inciter, ce faisant, les entreprises informelles à se formaliser?
«Un programme de microfinance n’est pas concevable, sur le long terme, sans que l’on envisage la suite. C’est-à-dire un projet de financement faisant appel à de la mésofinance dès qu’une taille critique est atteinte», explique-t-elle.
Il y a d’autant plus d’urgence à roder tous ces instruments financiers que, selon la Banque Africaine de Développement (BAD), le PIB des 54 États du continent risque de reculer, cette année, de 3,4%. Avec 30 millions d’emplois de perdus, ce sont près de 50 millions d’Africains qui basculeraient, ainsi, à nouveau, dans la pauvreté, surtout si la pandémie se prolonge!
Alors que, selon la Commission économique pour l’Afrique, les montants nécessaires pour absorber les chocs conjoncturels actuels ne sont pas exorbitants: 200 milliards de dollars (170 milliards d’euros) à l’échelle du continent. C’est-à-dire moins de la moitié des dépenses annoncées en France pour lutter contre les effets économiques et sociaux de la pandémie.