«Mourir de faim ou mourir du Covid-19»: le terrible dilemme des femmes africaines

© AFP 2024 ISSOUF SANOGOUne femme dans un marché dans la banlieue d'Abidjan, Côte d'Ivoire.
Une femme dans un marché dans la banlieue d'Abidjan, Côte d'Ivoire. - Sputnik Afrique
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Face au Covid-19 et au confinement, parfois très dur, décidé par nombre de gouvernements africains, les femmes sont les premières touchées. Au micro de Sputnik France, la ministre conseillère chargée du Genre Euphrasie Kouassi Yao vante l’ingéniosité des Ivoiriennes et leur solidarité pour se protéger tout en continuant à gagner leur subsistance.
«C’est vrai qu’il faut manger, mais pour le faire, il faut d’abord être en vie. C’est pour cela que nous appliquons strictement les mesures barrières avec une relative facilité pour la distanciation car elle coûte zéro franc. Cet élément nous a permis de convaincre plus facilement les femmes dans la mesure où elles savent qu’elles n’ont rien à dépenser pour préserver leur vie et se battre pour l’entretenir. Et les résultats sont là, tangibles!», a expliqué fin avril l’invitée Afrique de Sputnik France, la ministre ivoirienne conseillère du Genre Euphrasie Kouassi Yao, confinée dans sa résidence de Cocody Riviera à Abidjan depuis le 17 mars.

Partout dans les grandes villes africaines, le même dilemme se pose. Faut-il laisser les habitants mourir de faim ou de maladie? Car enfermer les gens dans les bidonvilles sans eau, sans électricité et, bien souvent, sans recours médical ne peut être que la dernière option. Au Kenya ou en Afrique du Sud, qui reste le pays le plus touché par la pandémie à ce jour sur le continent avec 7.220 cas confirmés, des émeutes de la faim ont déjà eu lieu. Elles ont dû être réprimées sous les coups de bâton et à grand renfort de gaz lacrymogènes.

Pour les femmes africaines, ce dilemme est encore plus grave puisque le confinement est bien souvent synonyme de violences conjugales accrues. Alors que faire? Comment les mobiliser et les aider à lutter contre cette catastrophe sanitaire? Tout en évitant qu’elle ne se transforme en une catastrophe économique, puisqu’il leur est interdit de se déplacer, de commercer ou de vaquer à des activités génératrices de revenus pour nourrir leurs enfants.

Pour Euphrasie Kouassi Yao, la réponse est claire. Il ne s’agit pas de se lamenter mais de réagir en unissant ses forces. Le 24 avril dernier, cette militante de longue date pour l’autonomisation des femmes a lancé le projet BASE, dont l’acronyme signifie «Banque d’amour et de solidarité efficace». Une initiative qu’elle pilote avec la chaire Unesco «Eau, femmes et pouvoir de décisions» –dont elle est la titulaire– et l’Organisation de femmes du compendium des compétences féminines de Côte d’Ivoire (Cocofci) –qu’elle coordonne depuis neuf ans.

Une contribution de 1.000 francs CFA (1,50 euro) est demandée à chaque adhérent de BASE qui a obtenu le soutien des hommes pour la fabrication industrielle de masques. Une fois fabriqués, ceux-ci seront distribués gratuitement aux personnes les plus vulnérables, notamment aux diabétiques avec de l’insuline. Cette distribution s’accompagnera de transferts monétaires pour les plus nécessiteux grâce à des cartes prépayées éditées par les opérateurs téléphoniques.

«Face au Covid-19, il faut faire preuve de solidarité. Pas d’entraide sociale mais bien de solidarité, car c’est ce qui va nous apporter des solutions à long terme en Afrique. Ici, en Côte d’Ivoire, nous avons du coton, du fil et du caoutchouc à profusion. Qu’est-ce qui  nous empêche de les transformer en masques au lieu d’en importer? En combinant nos ressources, sur le plan humain, et grâce aux contributions de nos membres et de ceux qui nous soutiennent, nous allons commencer en créant une usine pour fabriquer des masques», a déclaré Euphrasie Kouassi Yao au micro de Sputnik France.

Selon le Centre pour la prévention et le contrôle des maladies de l’Union africaine, la Côte d'Ivoire avait enregistré, au 5 mai, un décès supplémentaire et 32 nouveaux cas de maladie à coronavirus, portant à 1.464  le nombre de cas confirmés et à 18 celui de décès.

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Ce qui la met très loin, pour l’instant, derrière l’Égypte, deuxième pays le plus touché avec 6.813 cas recensés, suivie par le Maroc, l’Algérie, le Nigeria et le Ghana.

Grâce à quelques «mesures ingénieuses» –comme coudre ses propres masques ou faire soi-même son gel ou son savon pour se laver les mains–, la ministre conseillère du Genre se dit convaincue qu’il n’y a aucun obstacle que les quelque 15.000 femmes cadres, productrices et agricultrices, membres du Cocofci, ne puissent surmonter. Et ce, malgré le confinement et la recrudescence des violences conjugales et domestiques qu’il peut engendrer.

«Cette maladie est venue nous rappeler que l’être humain est au centre de toutes choses. On peut avoir des ressources financières ou être un homme politique bien placé et mourir du Covid-19. Amour, solidarité et audace, jamais les valeurs qui fondent notre action au compendium n’ont été aussi utiles. Les mesures ingénieuses pour les femmes ivoiriennes, c’est de faire au mieux avec ce que nous avons», a-t-elle ajouté.

Reste les violences domestiques qui défraient régulièrement la chronique en ces temps de confinement. Certes, la Côte d’Ivoire n’est pas le seul pays en Afrique à être confronté à ce phénomène, mais il semble s’aggraver.

Juguler les violences domestiques

Selon les associations de défense des droits des femmes présentes dans la capitale ivoirienne, –coupée du reste du pays depuis le début du confinement–, le contexte actuel, notamment les mesures édictées dans le cadre de la riposte sanitaire, contribuerait à amplifier les violences conjugales.

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«Avec le ralentissement économique et le couvre-feu [de 21 heures à 5 heures du matin], Abidjan est chaque soir le théâtre de drames qui se déroulent à huis clos», selon Irad Gbazalé, la présidente de l’ONG Femmes en action. 

Le manque de structures d’accueil pour ces femmes n’aide pas, même s’il existe déjà à Abidjan un Centre de prévention et d'assistance aux victimes des violences sexuelles (Pavios) qui recueille des femmes victimes de violences domestiques. Que pourraient faire les autorités ivoiriennes pour y remédier?

«Ce genre de centre doit être mieux équipé et réorganisé, comme en France, pour répondre aux besoins. Même s’il n’y a que 10% des femmes qui sont violentées en Côte d’Ivoire, il faut que l’on s’organise pour les accueillir au cas où ce phénomène s’amplifierait. Nous travaillons également à un numéro vert qu’elles pourront appeler en toute confiance», répond Euphrasie Kouassi Yao.

Elle insiste, toutefois, sur le fait que le ministère ivoirien de la Femme préfère quant à lui travailler de façon globale dans le cadre d’un programme de lutte contre les violences faites au genre. «Un peu comme la Côte d’Ivoire l’avait fait pour la santé de la reproduction», rappelle-t-elle.

«Donc, plutôt que des actions ponctuelles sans lendemain, développons un programme national de lutte contre l’ensemble de ces violences. Et il y faut intégrer aussi un volet économique. Pour le reste, la Côte d’Ivoire a adopté toutes les lois nécessaires sur l’égalité des sexes mais n’a pas encore une loi spécifique contre les violences conjugales. Mon sentiment, toutefois, est que ces cas pourraient être traités dans le cadre de la législation existante», a affirmé la ministre conseillère du Genre.

Pour elle, il faut surtout que les messages de prévention continuent à bien passer auprès des femmes de Côte d’Ivoire.

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Ce que les Ivoiriens appellent les «informations vraies», qui permettent de toucher les populations féminines les plus démunies et, souvent, analphabètes. Or, ils doivent pour cela être traduits dans les différentes langues nationales.

C’est ainsi, par exemple, que les vendeuses dans les marchés dont Abidjan regorge ont pu être sensibilisées au fait qu’elles devaient s’installer en quinconce et non plus côte à côte pour pouvoir respecter les mesures barrières.

Mieux produire et commercialiser

En Côte d’Ivoire, où les femmes rurales sont très nombreuses, faut-il faire appel à l’aide internationale pour passer le cap de la pandémie? Un programme appelé «Le panier de la ménagère» a été lancé le 24 avril dernier au Sénégal par trois grandes agences des Nations unies (FAO, UNFPA et ONU Femmes.) Doté de 450 millions de francs CFA (environ 68 millions d’euros), il doit permettre aux femmes productrices ainsi qu’aux jeunes d’apporter une assistance alimentaire aux ménages sénégalais.

«La production alimentaire repose à 80% sur les épaules des agricultrices ivoiriennes. Alors un coup de pouce des Nations unies pour aider les foyers ivoiriens modestes à acheter de la production agricole locale serait le bienvenu. Bien sûr, la question de cette production locale qui n’arrive pas à s’écouler ou bien le problème de sa commercialisation (dans un rayon plus vaste) se posait bien avant la pandémie. Mais c’est justement dans cette période de crise que nous devons aider nos femmes rurales à se restructurer. Or, nous ne pourrons pas le faire sans l’appui de nos partenaires au développement», estime Euphrasie Kouassi Yao.

Au-delà de cette aide alimentaire pour booster le «consommer local», ce sont les populations elles-mêmes qui doivent «apprendre à se faire confiance et à travailler ensemble», dit-elle. Car toutes les actions qui vont être entreprises devront être pérennisées. Sinon que se passera-t-il après que les dons ou les envois de vivres seront épuisés?

«Nos sœurs agricultrices sont pauvres non pas parce qu’elles ne produisent pas, mais parce qu’elles n’arrivent pas à écouler leur production. À nous, donc, de les mobiliser pour qu’elles puissent mieux vendre leurs produits sur les marchés locaux. L’organisation des femmes du compendium ne fait pas de politique et respecte toutes les religions. C’est par la mobilisation que nous améliorerons l’entrepreneuriat féminin, surtout l’entrepreneuriat rural», insiste-t-elle.

En ces temps de pandémie, où le confinement risque d’affamer nombre de citadins, il est donc vital que la production dans les campagnes ne s’arrête pas. Même si le «consommer local» est loin d’avoir supplanté les importations de denrées de première nécessité, à commencer par le riz, la coordonnatrice du compendium s’engage à tout faire pour que cela change. À condition que les femmes ivoiriennes prennent le leadership sur cette question.

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