La confrontation entre les fidèles du Président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) et leurs adversaires du camp de l’imam Mahmoud Dicko ont mis le Mali à feu et à sang. Une crise sociopolitique meurtrière que s’efforcent de résoudre notamment les pays du voisinage, désespérément, à travers les différentes missions de bons offices.
Dernière tentative en date, celle menée par cinq chefs d’État d'Afrique de l'Ouest, qui se sont rendus, jeudi 23 juillet, à Bamako. À la fin d’une longue journée de pourparlers, les Présidents Muhammadu Buhari du Nigeria, Mahamadou Issoufou du Niger, Alassane Ouattara de la Côte d’Ivoire, Nana Akufo-Addo du Ghana et Macky Sall du Sénégal n'ont pas pu trouver un accord entre Ibrahim Boubacar Keita et les protestataires maliens. Ces derniers ne décolèrent pas et continuent à réclamer le départ du Président de leur pays.
Discrète médiation royale
La médiation du quintet de la Cedeao s’ajoute à d’autres, menées en coulisses, dont celle du Maroc. Selon des informations publiées dans des médias marocains et internationaux, le ministre marocain des Affaires étrangères serait intervenu le 11 juillet, sur instructions royales, pour tenter de calmer les esprits des belligérants.
«C’est grâce aux discussions préliminaires menées par le Royaume du Maroc, un pays frère du Mali, que le pire a été évité», estime le politologue malien Séga Diarrah, en réponse aux questions de Sputnik. L’auteur de l’ouvrage Mali, il est temps de décider: Réflexion et propositions pour une modernisation des institutions et le retour d’une paix durable au Mali, paru en 2015, ajoute que la phase exploratoire initiée par le royaume chérifien était indispensable. Pour rappel, les manifestations du 10 juillet avaient fait quatorze morts et plus d’une centaine de blessés alors que l’intervention marocaine daterait du lendemain.
«Le Maroc a jeté les bases de la médiation en cours. Auparavant, il n’y avait aucun type de négociations entre les deux parties», soutient le politologue malien.
Contactés par Sputnik, l’ambassadeur du Maroc au Mali et le ministère des Affaires étrangères marocain n’ont pas voulu s’exprimer sur le sujet. Le royaume semble se garder de crier sur tous les toits qu’il est intervenu dans le pays sahélien.
Vaines tentatives
Le Mali connaît une crise politique profonde depuis la réélection du Président Ibrahim Boubacar Keïta en 2018, aggravée par les législatives. Tenues les 13 et 19 avril derniers, celles-ci ont fait l’objet, selon l'opposition, «de manipulations de la part du clan IBK». Raison pour laquelle le M5 proteste, depuis le 5 juin, invoquant «la mauvaise gouvernance et la corruption». Dans la rue, la tension reste vive malgré les tentatives de nombreux médiateurs.
«Le projet politique et l’héritage spirituel de l’imam Dicko ne sont pas tout à fait dans la ligne souhaitée par le gouvernement marocain. Cet imam est un tenant du wahhabisme qui a été formé en Arabie saoudite. Il a aussi d’excellentes relations avec le pouvoir algérien. Ce qui pose des problèmes spirituels, mais également géopolitiques qui ne sont pas dans l’intérêt du Maroc», souligne Emmanuel Dupuy.
Ce dernier soutient que l’implication marocaine dans le conflit malien est plus forte que l’implication algérienne, alors que le chef de la diplomatie de ce pays rappelait, depuis Moscou, qu’il n’y avait pas d’alternative à l’accord d’Alger, signé en 2015, pour la paix au Mali.
L’engagement marocain s’expliquerait, selon lui, par le fait que le président IBK avait assuré le roi Mohammed VI du soutien indéfectible de son pays à la candidature marocaine pour l’adhésion à la Cedeao. Mais, quels qu’en soient les enjeux qui les fondent, les médiations pourraient-elles ramener le calme au Mali?
Impossible réconciliation?
«Les médiations prendront du temps, cependant, elles aboutiront par rapprocher les différentes parties. Le M5 a compris qu’il ne pourra pas faire partir le Président Keita dans le contexte actuel, même si ce dernier est isolé et dos au mur. Il s’agira plutôt de sortir de la crise la tête haute avec des garanties solides. La médiation des chefs d’État de la sous-région est un gage de garantie», affirme Séga Diarrah.
L’expert souligne que l’imam Dicko est beaucoup plus en capacité de dialoguer avec IBK que son gendre Kaou Djime, coordinateur et porte-parole de la Coordination des mouvements et associations sympathisants de l'imam Mahmoud Dicko (CMAS). Le président de l’IPSE affirme que ce mouvement est beaucoup plus radical. «Tout comme Choguel Kokala Maïga, ancien ministre entre janvier 2015 et juillet 2016, qui est aussi l’un des chefs politiques du Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) et qui opte pour la confrontation frontale avec IBK.» Mais des solutions restent possibles, selon Emmanuel Dupuy.
«Il ne fait aucun doute que le président IBK va se maintenir au pouvoir. Par contre, une dissolution de l’Assemblée nationale et un retour aux urnes seraient acceptables», soutient-il.
L’autre piste consisterait à mettre en application, de manière concrète, l’Accord d’Alger pour la paix et la réconciliation au Mali. «De même, l’impunité attribuée de fait aux forces armées maliennes, malgré des rapports accablants de l’ONU et de différentes ONG, doit être levée. Et la lutte contre la corruption doit être lancée», conclut le président de l’IPSE.
Des solutions difficilement envisageables aujourd’hui, mais qui pourraient être discutées lors du sommet extraordinaire que compte tenir la Cedeao sur la crise malienne, le 27 juillet en visioconférence. En annonçant ce rendez-vous crucial, le président en exercice de cette union, Mahamadou Issoufou, avait promis «des mesures fortes pour accompagner le Mali». Malgré les tensions persistantes, il s’est dit «optimiste».
«Je fonde l’espoir qu’une solution sera trouvée», a-t-il conclu.