Crise libyenne: l’Algérie face à la realpolitik russe

Le ministre algérien Affaires étrangères était à Moscou pour présenter la solution politique de sortie de crise en Libye. Son homologue russe Sergueï Lavrov a confirmé lors de cette visite qu’il n’y avait pas de «feuille de route bilatérale» algéro-russe et que Moscou s’en tenait aux résolutions de la Conférence de Berlin.
Sputnik

Ne pas sortir du cadre des résolutions de la conférence de Berlin. C’est le message essentiel transmis par le chef de la diplomatie russe, à propos de la crise libyenne, à Sabri Boukadoum, le ministre algérien des Affaires étrangères lors de sa visite effectuée à Moscou mercredi 22 juillet. Lors de la traditionnelle conférence de presse conjointe, Sergueï Lavrov a déclaré que l’Algérie et la Russie «n’avaient pas de feuille de route bilatérale».

À Alger, la petite phrase de Lavrov a été perçue comme un refus de cautionner la solution de sortie de crise politique et inclusive qu’est chargé de promouvoir Sabri Boukadoum.

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La proposition algérienne de paix durable s’appuie sur la nécessité de mettre un terme à l’ingérence étrangère en Libye. Certes, la Conférence de Berlin impose également une telle mesure, mais la quasi-totalité des États signataires des résolutions de cette rencontre internationale ont un bras ou une main dans le pétrin libyen, d’après un diplomate algérien contacté par Sputnik.

C’est précisément ce qui dérange le gouvernement algérien. Sous couvert de l’anonymat, le diplomate indique que «la communauté internationale sait que l’Algérie est le seul pays de la région à avoir une vision claire pour une sortie de crise». Selon lui, «la Tunisie et l’Italie partagent la même vision que l’Algérie au sujet de la Libye. La France devient de plus en plus sensible à une solution politique inclusive».

«Le Président Abdelmadjid Tebboune a tout à fait raison de dire que la Libye va droit vers la somalisation si aucune solution urgente n’est trouvée. L’Algérie a cet atout majeur de se tenir à équidistance de toutes les parties impliquées dans ce conflit. Mais pour que la vision algérienne devienne un plan de paix, il faut l’exposer aux différentes parties libyennes et aussi à la communauté internationale. Je suppose que Sabri Boukadoum ne s’arrêtera pas à Moscou, il doit aller en Turquie, en Égypte, en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis», souligne le diplomate.

Un effet Wagner?

La diplomatie algérienne est engagée dans un processus très délicat car au-delà des accès directs et des bons rapports entretenus avec toutes les parties, il faut surtout pouvoir dénouer tout le jeu de pouvoir et d’intérêts de chacun des acteurs.

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L’exemple russe est un cas concret qui démontre la complexité de la tâche. Alger et Moscou cultivent d’excellentes relations, à l’ONU, leurs diplomates travaillent en partenariat sur de nombreux dossiers internationaux. Pourtant les choses semblent buter sur la question libyenne. Dans une déclaration à Sputnik, le politologue Jalel Harchaoui, chercheur au Clingendael Institute de La Haye, explique ce blocage par «l’implication indirecte russe à travers le groupe Wagner». Il estime que sur le terrain des opérations, c’est cette société militaire privée qui a «bloqué l’avancée vers l’est des troupes du gouvernement d’union nationale (GNA), soutenues par la Turquie après l’échec de Haftar de perdre Tripoli».

«Wagner a mis un terme à l’euphorie d’Erdogan qui avait dit qu’il occuperait Syrte, Al Djufra et le croissant pétrolier. Il faut balayer l’idée que c’est l’engagement armé de l’Égypte qui fait peur à la Turquie. Wagner est la principale source du découragement des Turcs et du GNA», précise Jalel Harchaoui.

Pour sa part, Moscou a toujours rejeté les allégations –notamment américaines– sur une présence militaire russe en Libye, qu’elle soit directe ou indirecte. Dans une récente déclaration à Sputnik, la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, a affirmé:

«Nous avons remarqué que Washington ne cesse de diffuser des informations sur des actions russes à caractère militaire, lesquelles représenteraient une menace pour la sécurité de l’Afrique du Nord. Les États-Unis le font depuis longtemps de manière sporadique. On assiste actuellement à une nouvelle flambée, sans en voir d’exemples, de faits ou d’informations concrets. Les Américains ne prennent pas la peine de fournir des faits», a indiqué Maria Zakharova.

Les maîtres du jeu

Selon Jalel Harchaoui, à Syrte, Wagner a réalisé un travail complet «en matière de défense antiaérienne, de sécurisation des espaces par la pose de mines et le positionnement des snipers. Moscou garde un œil sur Wagner qui est sans doute financé par les Émirats arabes unis pour intervenir aux côtés de Haftar».

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Le politologue estime que les cheikhs d’Abu Dhabi sont les véritables maîtres du jeu en Libye. «Les Russes, tout comme les Américains et les Français, savent que les Émirats agissent comme bon leur semble et qu’ils n’écoutent que leurs intérêts.» Une des clés de la solution du conflit libyen se trouve donc à Abu Dhabi. Ce qui n’est pas pour faciliter l’action de la diplomatie algérienne.

«L’Algérie ne peut pas influer sur le comportement des différents acteurs. Il faut revenir aux considérations de puissance. Dans la main de l’Algérie, où sont le bâton et la carotte? Entre 2013 et 2015, il était bon pour un responsable libyen d’être reçu à Alger. Aujourd’hui, le caractère direct des interférences fait que le contexte a totalement changé. Bien sûr, personne n’a envie de se brouiller avec l’Algérie», indique Jalel Harchaoui.

La diplomatie algérienne tente de se relever de vingt ans de musellement imposé par le Président Abdelaziz Bouteflika. Elle se retrouve aujourd’hui aux premières lignes d’un conflit d’une extrême complexité dans lequel s’entremêlent la menace terroriste, les intérêts politiques et économiques internationaux et les tensions intercommunautaires.

Jalel Harchaoui juge que la position la plus «confortable» pour l’Algérie «serait de protéger ses frontières, de suivre avec attention ce qui se passe en Libye et de soutenir le prochain envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU». Sauf que l’immobilisme ne semble pas inscrit dans le programme de Sabri Boukadoum.

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