En plein Covid-19, la «résistance» anti-Biya ne faiblit pas dans la diaspora camerounaise

Malgré la crise, des activistes de la diaspora camerounaise ont manifesté en marge du sommet de l'Union européenne à Bruxelles. Ils exigent, entre autres, la libération des prisonniers politiques et dénoncent le soutien de la France au Président Biya. Une sortie qui repositionne la diaspora dans la bataille pour l'alternance à la tête du pays.
Sputnik

Jusqu’où iront les activistes de la diaspora camerounaise dans leur plan de «résistance» contre le pouvoir de Paul Biya? Vendredi 17 juillet, plus de 200 manifestants camerounais de la BAS (Brigade anti-sardinards) –mouvement né dans la diaspora camerounaise qui revendique le départ de Paul Biya du pouvoir– ont pris d’assaut l’esplanade du siège de l’Union européenne (UE), en marge du sommet européen sur le plan de relance post-coronavirus et le budget à long terme (2021-2027).

Ces manifestations, considère Yvan Issekin, analyste politique, visent «d'abord à mettre en scène une BAS encore vivace, dans un contexte de crise sanitaire mais aussi de rivalités de leadership qui ont facilité des défections au sein du mouvement».

«Il est également question de mobiliser la Belgique comme scène pour être vu et entendu au niveau international», souligne-t-il au micro de Sputnik.

Les manifestants étaient venus demander à l’UE de prendre des mesures contraignantes contre les dirigeants camerounais pour la libération des prisonniers politiques et des détenus de la crise anglophone. Ils ont également dénoncé le soutien affiché du Président français Emmanuel Macron à son homologue Paul Biya.

Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs scandé: «L’ingérence et la complicité à ciel ouvert de la France par l’intermédiaire de son ambassadeur Christophe Guilhou au soutien du projet funeste du gré à gré à la présidence de la République du Cameroun.»

Des agissements mal vus dans le camp du Rassemblement démocratique du peuple camerounais, parti au pouvoir. Pour Édouard Fochivé, cadre et communicant du RDPC, «il faut que nos compatriotes qui sont à l’étranger comprennent que les problèmes du Cameroun se gèrent au Cameroun».

«Aller devant le Parlement européen pour dénoncer la transition de gré à gré [intention imputée au Président d’organiser lui-même sa propre succession politique], exiger la libération des prisonniers "politiques" traduit une méconnaissance totale de l’actualité politique de ce pays. Il n’y a aucun texte de loi qui instaure la transition de gré à gré. S'agissant de la demande de libération des prisonniers, nous avons une justice qui fait son travail sans pression», soutient le cadre du RDPC au micro de Sputnik.

Alors que la France est accusée par la BAS de trop s’immiscer dans la gestion des crises internes, et donc d’être en train de manœuvrer des stratégies de transition avec le pouvoir de Yaoundé, Édouard Fochivé balaie cette hypothèse d’un revers de la main.

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«Je me refuse à voir la main des pays amis dans la gestion de notre pays. Nous sommes dans un partenariat gagnant-gagnant avec la France. Le Président Macron ne dirige pas le Cameroun», poursuit le cadre du parti au pouvoir.

La bataille pour l’alternance

Depuis la présidentielle d’octobre 2018, ces activistes de la BAS ne manquent pas une occasion de réclamer ouvertement, sur les réseaux sociaux ou sur le terrain, le départ de Paul Biya, au pouvoir depuis 1982.

Très souvent taxée d’être l’antichambre du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) de Maurice Kamto, la BAS a, dans un communiqué rendu public le 18 juillet, démenti tout lien avec le parti… tout en érigeant l’opposant en homme providentiel.

«La BAS est intimement convaincue que Maurice Kamto est l’homme qu’il faut pour le Cameroun de demain. Il est la force à travers laquelle le pays pourra se reconstruire et conquérir sa place sur la scène politique, économique et sociale de l’Afrique et du reste du monde», peut-on lire dans le communiqué de la BAS au lendemain de la manifestation de Bruxelles.

«Je ne suis pas le porte-parole de Biya!», l’ambassadeur de France au Cameroun se défend
Si cette diaspora anti-Biya veut se positionner comme un acteur majeur dans la bataille pour l'alternance au Cameroun, Yvan Issekin pense que c’est un coup d’épée dans l’eau «car la diaspora, bien qu’étant un partie prenante dans la géopolitique, n’est pas une force de propulsion de l’alternance».

«Si elle participe à l'extraversion des mobilisations contestataires, elle contribue aussi à leur affaiblissement faute d'un ancrage national. Elle s'inscrit dans la reproduction d'un schéma élitaire où il est question de se substituer à l'ordre gouvernant, au lieu de participer à une réforme», poursuit l’analyste politique.

Cependant, la sollicitation de l’aide occidentale ainsi formulée depuis la dernière élection présidentielle commence à porter des fruits, même si, estime Aristide Mono, politologue, cela reste loin de l’alternance politique qui est l’ultime visée. «La BAS veut maintenir la pression permanente et rappeler à ses adversaires qu’elle ne lâchera pas prise tant qu’elle n’aura pas obtenu le départ de Paul Biya.»

«Au rang des petites victoires, on peut citer la libération des prisonniers politiques du MRC sous la pression de la communauté internationale alertée par la BAS. Le chef de l’État a également réduit de façon draconienne ses longs séjours à Genève depuis les événements de la BAS à l’hôtel Intercontinental où il  loge très souvent quand il se trouve en Europe», analyse l’expert pour Sputnik.

La résistance se poursuit à l’intérieur du pays

De son côté, Maurice Kamto, qui a toujours réfuté être à la manœuvre au sein de la BAS, n’a pas baissé les bras dans son plan de résistance nationale.

Les anti-sardinards se mobilisent pour chasser du pouvoir le Président camerounais Biya
Dans une déclaration publiée dimanche 19 juillet, il a mis en garde le pouvoir de Yaoundé «contre l’organisation de toute élection avant la fin de la guerre civile dans les régions anglophones (qui se poursuit depuis 2017 dans le nord-ouest et sud-ouest du pays) et la reforme consensuelle et effective du système électoral».

«Le MRC demande à ses militants et sympathisants, au peuple de la renaissance et aux Camerounais épris de démocratie et de paix, au Cameroun et à l’étranger, de se mobiliser pour empêcher par tous les moyens pacifiques la tenue de toute nouvelle élection, à commencer par les élections régionales en préparation», a écrit Maurice Kamto.

Dans les rangs du RDPC, la nouvelle déclaration de l’opposant a du mal à passer. Jacques Fame Ndongo, secrétaire à la Communication du parti, précise dans un communiqué publié le 20 juillet que la «contestation du code électoral est non fondée».

«Le leader du MRC affirme que le code électoral camerounais révèle des lacunes, insuffisances, incohérences et dysfonctionnements. Cela peut paraître injurieux vis-à-vis de notre droit positif. Le code électoral ne peut guère être frappé d’inconstitutionnalité. M. Kamto prétend tirer sa légitimité du peuple, sans avoir un mandat électoral. Il s’est définitivement installé dans le charlatanisme politique», a-t-il écrit.

S’appuyant sur les mêmes raisons évoquées dans le communiqué, le parti de Maurice Kamto avait boycotté les dernières élections locales dans le pays, se privant ainsi de tout élu. Ce faisant, le MRC prenait le risque d’être éliminé de la course à la prochaine présidentielle. Alors que le Cameroun est déjà déchiré par plusieurs crises, cette mise en garde du président de l’opposition pourrait prêter le flanc à un nouveau pugilat politique dans un contexte marqué par la bataille pour l’alternance au sommet du pays.

À 87 ans, le Président camerounais tient le gouvernail d’un État déchiré par de violentes crises, dont la plus meurtrière est le conflit séparatiste dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Alors que son mandat court jusqu’en 2025, la question de la succession à la magistrature suprême, avec l’hypothèse d’une passation de pouvoir dans le clan Biya, est au cœur de l’actualité politique depuis la dernière réélection de Paul Biya en 2018.

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