Ils sont à quelques kilomètres de leur pays, mais il leur est interdit d’y entrer. Depuis le 19 mars 2020, date de la fermeture des frontières terrestres, maritimes et aériennes, les autorités algériennes ont organisé plusieurs opérations pour rapatrier leurs ressortissants bloqués en Tunisie et en Libye à cause de la pandémie. Cependant, ils sont encore nombreux à attendre un feu vert officiel pour rentrer chez eux.
Leïla Bakouche étudiante à l’Institut supérieur de gestion et de planification (ISGP) d’Alger, fait partie de ces expatriés du Covid-19. Artiste, elle est partie en Tunisie pour une résidence de mapping au centre culturel d’Hammamet (65 kilomètres au sud de Tunis). Arrivée le 6 mars 2020 en Tunisie, elle apprend alors que la résidence artistique a été annulée. Quelques jours plus tard, l’État algérien ferme ses frontières.
«Je n’étais pas au courant de la décision de fermeture des frontières. Quand je l’ai apprise, j’étais persuadée que c’était juste pour une semaine ou deux. Au début, j’ai été hébergée par des familles d’artistes. Puis le gouvernement algérien a ouvert une plateforme en ligne pour permettre à ses ressortissants bloqués à l’étranger de se faire connaître en vue d’un rapatriement. C’est ce que j’ai fait. Mais j’ai été étonné d’apprendre que des opérations de rapatriement avaient été organisées sans qu’elles soient annoncées officiellement», explique Leïla à Sputnik.
«Votre pays ne veut pas de vous»
Des expatriés auraient pu obtenir un feu vert pour regagner leur pays, alors que d’autres demandes n’ont pas eu de réponse. Pour la Tunisie, les rapatriements se sont déroulés par voie terrestre. Transportés par bus, les ressortissants algériens ont ensuite été soumis à une quarantaine dans des hôtels des villes frontalières de Tebessa, El Kala, Souk-Ahras et Oued-Souf.
Lors d’un énième rassemblement devant le consulat général, Leïla rencontre Yassine, doctorant en pétrochimie originaire d’Alger, et Samir, un Tunisien qui tente de rejoindre sa femme algérienne restée avec leurs deux enfants à Constantine. Ils décident tous les trois de se rendre à Oum Tboul, un des principaux postes frontaliers algéro-tunisiens.
«Nous sommes arrivés le 10 juillet à Oum Tboul, nous voulions que les autorités des deux pays prennent leurs responsabilités. À quatre heures du matin, alors que nous dormions dehors, des policiers tunisiens se sont présentés à nous. Ils ont été très corrects puisqu’ils ont pris nos passeports et sont allés plaider notre cause auprès de leurs homologues algériens. Mais ces derniers ont refusé de nous laisser rentrer dans notre pays. Ce qui nous a fait le plus mal, c’est d’entendre les policiers tunisiens nous dire que notre pays ne veut pas de nous», regrette la jeune étudiante.
Solidarité
La police tunisienne exige qu’ils quittent le poste frontalier. Leïla, Yassine et Samir sont pris en charge par le Croissant-Rouge tunisien. Ils sont hébergés à l’auberge de jeunesse de Tabarka, petite ville côtière. «Au bout de trois jours, les responsables du Croissant-Rouge nous ont avoué qu’ils ne pouvaient rien faire pour nous et que nous devions partir parce que notre sort était incertain.»
«Mardi 14 juillet, nous nous sommes rendus au Kef où se trouve le consulat d’Algérie. Là-bas, nous avons eu droit à un tout autre accueil. Les fonctionnaires étaient courtois et le consul nous a même reçus durant une heure dans son bureau. Mais il nous a expliqué que pour l’instant, il n’y avait aucune solution et que nous ne pouvions pas entrer sur le territoire algérien», affirme Leïla.
Dans cette ville qui se situe à tout juste 45 kilomètres de la frontière, Leïla, Yassine et Samir rencontrent d’autres Algériens qui vivent dans leur voiture depuis des semaines. Ils attendent eux aussi une décision de leur gouvernement pour entrer chez eux.
Les membres du groupe ont instauré un système d’entraide afin de se nourrir et de faire face à certaines dépenses. Leïla étant la seule femme, elle a eu droit à une faveur.
«Mes nouveaux camarades se sont tous cotisés pour me prendre une chambre dans un petit hôtel. Ils estiment qu’une femme doit avoir droit à un minimum de confort et de sécurité. Les hommes dorment devant le siège de la mairie du Kef qui est à proximité du consulat et ils se douchent dans un hammam de la ville.»
Tragédie dans le désert
À 1.000 kilomètres plus au sud, en plein désert, un petit groupe d’Algériens subit un sort encore plus tragique par des températures qui frôlent les 50 degrés. Employés en Libye dans différents domaines d’activité, ils ont traversé un pays en guerre pour atteindre le poste frontalier de Deb-Deb proche de la ville de Ghadamès.
Dans une interview accordée à une télévision locale, une Algérienne explique avoir été contactée par les services de l’ambassade d’Algérie à Tripoli qui lui ont annoncé que la frontière allait être ouverte à titre exceptionnel. Arrivée avec deux heures de retard, elle a finalement fait face à un refus de pénétrer sur le territoire algérien.
Tunisie, Libye, Mauritanie… la vie de dizaines de ressortissants est suspendue à une décision du gouvernement. Un acte administratif qui ne nécessite aucun financement public.
Lueur d’espoir
Depuis le mois de mars, les autorités algériennes ont organisé plusieurs opérations de rapatriement d’Algériens par voie aérienne. Ces vols ont concerné essentiellement les ressortissants bloqués en Turquie, en France et aux Émirats arabes unis.
Jeudi 16 juillet, le Premier ministre a annoncé la reprise de ces procédures pour permettre à des milliers d’Algériens de revenir au pays. «Cette opération, qui sera engagée dès la semaine prochaine, privilégiera en premier lieu les familles bloquées ainsi que les personnes ayant effectué les déplacements pour des soins et nos étudiants à l’étranger», précise le communiqué.