«Yes, OUI can!» Voilà comment le quotidien anglophone Arab News, appartenant à la famille royale saoudienne, a titré son édition du 14 juillet, à l’occasion du lancement de la branche française de la chaîne: Arab News en français. Ce média est présenté par Faisal Abbas, rédacteur en chef de la branche anglophone, comme «un organe d’information panarabe en français.»
Le média en ligne comprend une équipe de 40 personnes au moment de son lancement. Parmi elles, des journalistes, des éditeurs et des traducteurs. La chaîne prévoit de publier du contenu exclusif, mais aussi des traductions des autres branches du média saoudien, qui traite de l’actualité politique et géopolitique dans le monde.
L’ambassade de France en Arabie saoudite s’est, pour sa part, félicitée de l’apparition de la chaîne saoudienne en français.
Lifting médiatique
Une opération de communication qui vise à donner une meilleure image du royaume, explique à Sputnik Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire au ministère de la Défense, fin connaisseur des relations internationales et auteur de Dr. Saoud et Mr. Djihad (Éd. Robert Laffont). En effet, l’image du royaume a beaucoup souffert à l’international ces dernières années.
Des épisodes comme l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi dans l’ambassade saoudienne d’Istanbul en 2018 ont participé à ternir l’image de la famille Saoud. D’autant que la CIA estime que ce meurtre est directement imputable à Mohamed Bin Salman, prince héritier du royaume et homme fort de Riyad. Ce à quoi s’ajoutent de nombreuses plaintes concernant le traitement réservé aux militants des droits de l’Homme. Colle toujours à la peau du royaume cette image médiévale, malgré les politiques mises en place par Riyad pour s’en défaire.
Pour ce faire, le média table par exemple sur la qualité des rapports entre la France et l’Arabie saoudite: «L’histoire d’amour entre les Saoudiens et la France», «L’Arabie saoudite et la France, un véritable partenariat» sont quelques-uns des titres que l’on peut lire sur le site.
Il espère aussi mettre en avant certaines politiques «progressistes» à l’égard des femmes et les efforts du royaume pour s’affranchir de la rente pétrolière.
Guerre toujours plus froide entre le Qatar et l’Arabie saoudite
Autre objectif inavoué publiquement par le média: concurrencer la très influente chaîne qatarie Al-Jazeera. L’Arabie saoudite, qui a rompu en 2017 ses liens diplomatiques avec le Qatar, livre une guerre sans merci à l’émirat sur tous les fronts, sauf militaire. Riyad voit d’un très mauvais œil le soutien de Doha aux Frères musulmans, confrérie néo-salafiste, un peu partout dans le monde.
Le royaume lui, soutient une vision concurrente de l’Islam, à savoir le wahhabisme, doctrine voisine du salafisme. Sur cette base, les deux pays essayent d’étendre leur influence du mieux qu’ils peuvent. Le possible rachat de l’Olympique de Marseille par des fonds saoudiens pour venir concurrencer le PSG, dont les propriétaires sont Qataris, s’inscrirait dans cette logique.
Ouvrir une chaîne d’information francophone serait une autre manière de concurrencer l’Émirat et sa vision dans de nombreuses régions du monde: au Maghreb, en Amérique du Nord, en Europe… Difficile tout de même d’imaginer Arab News venir faire de l’ombre à la chaîne Qatarie, qui est une véritable référence dans le monde arabe et au-delà, estime Pierre Conesa.
«Al Jazeera a bâti sa notoriété et sa crédibilité à l’international sur la diffusion des vidéos de Ben Laden à l’époque de sa traque. Elle a une crédibilité mondiale. On voit mal une chaîne saoudienne diffuser des images de salafistes un peu partout dans le monde, car ceux-ci sont les premiers à critiquer Riyad», explique l’ancien haut fonctionnaire.
D’autant que le rédacteur en chef de la maison mère d’Arab News le reconnaît lui-même, «au Moyen-Orient, nous n’avons pas le confort du premier amendement», explique-t-il en référence à la liberté de la presse, principe fondateur de la démocratie américaine. Néanmoins, celui-ci s’engage dans les colonnes du Monde à fournir l’information la plus intègre et la plus crédible possible.
«Nous ferons de notre mieux. Le marché médiatique francophone est très sophistiqué, il nous faudra respecter son intelligence. L’intégrité éditoriale, cela ne se promet pas, cela se prouve uniquement», souligne encore le journaliste au quotidien vespéral.
En effet, c’est surtout sur ce point qu’ils seront attendus, estime Pierre Conesa, qui s’interroge sur la possibilité de voir Arab News donner la parole à la partie adverse, à savoir des personnes plus favorables à la doctrine frériste promue par le Qatar.
«On peut avoir des doutes», conclut-il, elliptique.