Ancien braqueur et ex-combattant du FLNC: «on était des kamikazes, des têtes brûlées» – Entretien

Des braquages à tire-larigot, une lutte armée durant 10 ans, la vie de Michel Ucciani n’a pas été de tout repos. Ancien activiste du FLNC, ex-gangster, taulard durant 20 ans, il se raconte dans «Natio du FLNC au grand banditisme». Sputnik l’a rencontré.
Sputnik

Les langues se délient en Corse avec la publication du livre choc Natio du FLNC au grand banditisme (Éd. La manufacture des livres). Alors que deux assassinats probablement liés au grand banditisme ont été perpétrés sur l’île de Beauté les 7 et 18 juin, l’ouvrage de Michel Ucciani, ancien militant actif du FLNC, poseur de bombes, devenu entre-temps braqueur de banques, va sans nul doute faire du bruit.

Écrit lors de sa dernière détention, dont il est sorti en 2018, celui-ci retrace brutalement la vie d’un ancien militant du FLNC déçu, qui s’est transformé en spécialiste des vols à main armée. Condamné pour 72 ans de prison ferme au total, il n’en aura accompli que vingt ans, profitant tour à tour des amnisties présidentielles, d’erreurs judiciaires, de cavales et d’une stratégie étonnante de confusion des peines. Comme d’autres dirigeants du mouvement indépendantiste avant lui, il a décidé de livrer son témoignage. Sputnik l’a interrogé.

De Mesrine à Ucciani

Durant cette époque bénie pour le grand banditisme, entre les années 70 et 90, où l’ADN, les caméras et autres nouvelles technologies ne sont pas encore développés, les malfaiteurs s’en donnent à cœur joie. Les braquages les plus marquants restent encore à ce jour le casse de la Banque de France de Toulon en 1992, ayant rapporté 146 millions de francs (31,6 millions d'euros), ou le «casse du siècle» à Nice, réalisé par Albert Spaggiari en 1976, pour un butin de 50 millions de francs (31 millions d'euros).

Ne comptant même plus le nombre de ses hold-up, Michel Ucciani débute dans le métier en 1979, alors qu’il effectue son service militaire au 6e RPIMA de Mont-de-Marsan. Il braque deux bureaux de poste des environs «pour se tester», volant dans le premier l’équivalent de 7.500 euros et dans le second pour 12.000 euros, soit deux et trois ans de solde. Des faits qui sont alors passibles de la peine de mort. Mais de cela, Ucciani n’en a cure. Il continuera à écumer les banques de la France entière, notamment en région parisienne, muni de voitures volées et de fausses identités:

«On vidait principalement les distributeurs. On neutralisait tout le personnel, le directeur, les employés, les clients et une fois qu’on avait maîtrisé la totalité de la banque, on faisait déclencher les horloges pour ouvrir les distributeurs, ça pouvait durer 10, 20, 45 minutes, 1h.»

Sa méthode était simple, efficace. Souvent accompagné d’un ou deux autres gangsters, il pénétrait dans la banque, puis ils «faisaient ce qu’il fallait pour qu’ils comprennent qu’il y avait un braquage», en exhibant leurs armes, pour décourager les rares téméraires. Aucun de ces braquages ne s’est mal terminé: «on a eu de la chance», admet-il.

Michel Ucciani détaille ensuite sa stratégie de fuite, durant laquelle il prenait régulièrement en otage le directeur ou le chef caissier: «on l’amenait sur 150 mètres dans la rue», puis on le relâchait. Le bouquet final, c’était le départ des lieux en… métro, parce qu’à Paris «c’était plus facile» pour déguerpir.

Ce qui n’empêchait pas les improvisations. Pratiquant des repérages pour «taper» un bureau de change, son coéquipier du moment et lui ont directement volé à d’étranges clients 22 lingots d’or «gravés UBS», méthode car-jacking en plein jour.

Mais que faisait-il avec tout cet argent? Il le dépensait dans la fête, s’achetait de beaux vêtements et des voitures. Estimant avoir «bien vécu et bien profité», l’un de ses regrets est de ne pas avoir assez mis de côté. À mesure de l’augmentation des hold-up, les services de police diffusent le signalement des braqueurs auprès des banques.

«À la limite, ils étaient plutôt contents que ça soit nous qui passions chez eux. Apparemment, on était souples, on était cools. On faisait ça proprement, sans violence souvent en rigolant, en étant gentils.»

Après le braquage d’une banque parisienne visitée une fois auparavant, un directeur de banque très jovial leur serre même la main en les quittant. Une scène qui sera immortalisée par une photographie de la BRI (Brigade de recherche et d’intervention). Ucciani est ainsi surveillé de près depuis le vol très facile de trois tableaux de Picasso au musée de la Vieille Charité, à Marseille. Il sera interpellé quelques heures plus tard dans une brasserie du XIIIe arrondissement de Paris.

Un âge d’or du grand banditisme désormais révolu

Suite à quelques passages par la case prison, son dernier braquage date de 1996 à Digne. Amer, il s’aperçoit alors qu’un monde a disparu: «la plupart des banques n’ont plus d’argent, elles ne détiennent plus les clés de leur distributeur». Même la prison, c’était mieux avant:

«Il y avait beaucoup de gens, à l’époque, de mon genre, qui étaient du même style, incarcérés pour les mêmes affaires. Il y avait une meilleure entente, une meilleure ambiance. Aujourd’hui, la prison, c’est 80% de crapules qui se balancent entre eux pour un téléphone ou un morceau de shit, ce ne sont que des jeunes, 80% sont des jeunes de moins de 25 ans. C’est ça qui a changé.»

Les relations entre les forces de l’ordre et les gangsters ont également évolué: «les gardes à vue, c’est maintenant sandwiches et boisson». Quand on aborde avec lui le débat actuel sur les violences policières, il évoque sa première interpellation, à 18 ans, en Corse, pour quatre pneus volés: «je n’ai jamais pris autant de coups de ma vie. C’était une autre époque».

Une ancienne policière témoigne: «les gens oublient la violence qui nous est faite, une violence permanente»
À lire ses lignes, Michel Ucciani semble être un romantique de la gâchette, attaché au «code d’honneur» des voyous. C’est d’ailleurs ces raisons qu’il quitta le FLNC en 1989, déçu par les orientations du mouvement et certaines dépositions à son encontre.

De la lutte armée à la politique

Il a en effet consacré dix années de sa jeunesse au militantisme corse, commettant de nombreux «petits attentats», c’est-à-dire des charges légères d’explosifs, de 100 à 200 g, déposées contre des banques et d’autres symboles de l’administration continentale. Des actes notamment destinés à miner psychologiquement fonctionnaires et enseignants de métropole pour mettre en place la corsisation des emplois. Passant du secteur d’Ajaccio à celui de Sagone, bien plus remuant, il participa au phénomène des nuits bleues:

«Ce sont ces nuits où il y a toute une série d’attentats partout sur le territoire de la Corse, des explosions synchronisées, où on prévoit tous de faire exploser une charge à 1h du matin, par exemple. On les synchronise donc de 1h à 1h15, il y a 50 ou 100 explosions dans toute l’île.»

Cette stratégie encore utilisée récemment par les rares combattants nationalistes vise notamment à limiter les risques de barrages policiers, une fois que les premières explosions ont retenti. Ayant officiellement déposé les armes en 2014, le FLNC, principale organisation indépendantiste corse, a débuté dans l’amateurisme dans les années 70, comme le décrit Ucciani: «on avait chacun nos calibres à nous et nos fusils à pompe».

Puis le prélèvement systématique de l’«impôt révolutionnaire» se développe auprès de commerçants français et étrangers: «soit ils payaient, soit ils sautaient». De l’argent qui servira peu à peu à financer l’achat d’armements provenant des Balkans, secoués par les guerres de l’ex-Yougoslavie. Ucciani, qui, en cavale, a bien connu Yvan Colonna –inculpé pour le meurtre du préfet Érignac en 1998–, raconte l’atmosphère indépendantiste à l’époque:

«On faisait peur à certains policiers parce qu’on était des kamikazes, des têtes brûlées, c’était avant, on était jeunes.»

Le bilan qu’il tire aujourd’hui de cette lutte armée? «Si on n’était pas passé par la lutte armée, les nationalistes ne seraient surement pas au pouvoir à l’assemblée» de Corse.

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