Une ancienne policière témoigne: «les gens oublient la violence qui nous est faite, une violence permanente»

© Sputnik . Oxana BobriovitchMobilisation nocturne des policiers en colère sous la Grande Arche de La Défense, 15 juin 2020
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Alors que le lien entre la population française et la police semble se distendre encore, Sputnik a interrogé Catherine Giraud-Bonnet, ancienne policière à la brigade des stupéfiants du 36, quai des Orfèvres. Elle est l’auteur du livre «Infiltrée, une femme aux stups» (Éd. du Nouveau Monde). Entretien.
«Si tu es un flic et que tu te prends des coups dans la gueule, c’est normal. Si tu es un blanc-bec, pris en flagrant délit de vol et que les flics te parlent méchamment ou te menottent à ta chaise, c’est un scandale. Pour la plupart des journalistes, nous étions dans le camp des méchants. Nous nous sommes sentis méprisés par le système judiciaire comme par la presse.»

Ces lignes brûlantes d’actualité sont écrites par Catherine Giraud-Bonnet, ancienne commandante de police à la brigade des stupéfiants, auteur du livre Infiltrée, une femme aux stups (Éd. du Nouveau Monde). Les manifestations antiracistes suite à la mort de George Floyd et d’Adama Traoré n’obèrent pas les difficultés croissantes des forces de l’ordre à effectuer leur métier. Pour le démontrer, un chiffre: 59 policiers se sont donné la mort en 2019. Au-delà des conditions de travail, l’ex-policière infiltrée, gouailleuse, plonge son lecteur dans un univers d’adrénaline et d’aventures.

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Le réalisateur Olivier Marchal, lui aussi ancien flic, a apporté un soutien très fort aux forces de l’ordre le 8 juin sur BFMTV, clamant son amour pour les «flics» et son respect pour ce métier. Il répondait notamment aux accusations de violences policières, portées notamment par Camélia Jordana et Omar Sy, «des acteurs de deuxième zone» qui «continuent à chier sur les flics».

«On n’attrape pas des mouches avec du vinaigre»

En écho à ces propos, Catherine Giraud-Bonnet défend la profession, qu’elle ne regrette pas d’avoir choisi: «ça a été mon job idéal»:

«Que ce soit dans les années 90, après et maintenant, le métier de policier est un métier terriblement dur. Les gens oublient la violence qui nous est faite, une violence permanente, et interpeller des gens qui ne veulent pas être interpellés, c’est très compliqué. Donc oui souvent c’est musclé […] Mais aujourd’hui, la population, on la sent contre nous, alors qu’il y a cinq ans, on nous embrassait.»

Alors que Jean-Luc Mélenchon, le chef de la France Insoumise, a proposé le désarmement des forces de l’ordre, celles-ci s’insurgent, estimant qu’«on n’attrape pas des mouches avec du vinaigre», soulignant qu’une personne qui ne souhaite pas être interpellée va se débattre et tout essayer pour ne pas se faire arrêter:

«On n’attrape pas les gros trafiquants ou les gens qui ont beaucoup de choses à se reprocher, en leur disant, “Monsieur, s’il vous plait, arrêtez-vous”».

La clé d’étranglement doit-elle être abandonnée, comme l’a demandé Christophe Castaner? C’est Frédéric Veaux, chef de la police nationale qui a annoncé ce 15 juin le maintien de cette technique jusqu’à qu’un nouveau mode d’interpellation soit défini. L’ancienne policière des stups raconte s’être battue plusieurs fois: «moi je faisais des plaquages, je faisais 55 kg, je n’étais pas physiquement impressionnante.»

Infiltrée? «Leur faire croire qu’on est comme eux»

Catherine Giraud-Bonnet entre à l’école de police dans les années 80 et passe le concours d’inspecteur. À l’époque où la consommation de haschisch explose en France, elle choisit cette carrière, «biberonnée aux films de Belmondo et de Delon». Avec son père qui a combattu en Indochine, fascinée par Tintin et le lotus bleu, la guerre de l’opium, elle fait le choix de la brigade des stups au 36, quai des Orfèvres, après quelques années passées dans un miteux commissariat du XVe arrondissement de Paris.

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Elle décrit d’ailleurs à merveille des services vétustes, «le plafond qui vous tombe sur la tête à chaque fois que quelqu’un claque la porte trop fort», un Minitel pour l’ensemble du bâtiment, et dans la «bricole» face l’expertise des polices américaine -«extraordinaires» -, des Britanniques, Hollandais et Allemands. Dotée d’un physique avantageux avec du bagou, elle participe à de nombreuses opérations en tant qu’infiltrée:

«Je ne ressemblais pas à un flic traditionnel. Évidemment, mes collègues se disaient “super, si on l’envoie elle, jamais le trafiquant ne va se douter de quoi que ce soit”. Comme je n’avais pas la langue dans ma poche et je n’avais pas peur, ça a commencé.»

Comme dans la série à succès de Canal Plus, elle doit travailler sa légende pour ses infiltrations, pour inculper trafiquants, dealers et toxicos, mais également afin de remonter les filières afghanes, turques et colombiennes.

Écrit d’un style très direct, l’ouvrage est passionnant par ses aventures Undercover, notamment dans un bar africain ou dans un immeuble d’une cité sensible. Infiltrée, c’est «leur faire croire qu’on est comme eux, essayer de se faire accepter par un trafiquant ou un groupe de trafiquants, de pouvoir savoir des choses qu’on n’a pas la possibilité de connaître autrement». Et la difficulté augmente quand l’infiltration se réalise avec deux policiers, ce qui requiert encore plus de mémoire, de sang-froid et un «talent d’adaptation instantané».

Dans les années 90, la brigade s’occupe de tous les produits stupéfiants, du gramme à la tonne, sur le territoire parisien, explique Catherine Giraud-Bonnet, «la moindre personne interpellée avec des cachets d’ecstasy ou du cannabis était présentée à la brigade des stups».

Admettant être stimulée par l’adrénaline et le coup de cœur, elle gravit rapidement les échelons, rejoignant le groupe Enquêtes, qui ne se saisit que des grosses affaires fournies parfois par leurs indicateurs, les «tontons».

«Il y a beaucoup de came qui est partie dans les toilettes ce soir-là»

L’héroïne tient le haut du pavé dans les années 90. Elle est adaptée à l’époque, selon l’ex-flic, qui évoque une «drogue du pauvre», contrairement à la cocaïne. Très onéreuse, cette dernière fait son apparition en France dans une élite intellectuelle et financière.

Catherine Giraud-Bonnet narre notamment une opération aux Bains-Douches à laquelle elle participe en tant qu’infiltrée. Cette boîte de nuit très connue de la place parisienne était fréquentée par les jet-setters et les vedettes du cinéma. L’ancienne des stups raconte ainsi le sentiment d’impunité de ces lieux où «tout le monde s’en mettait plein le nez» dans les toilettes. Cette descente à l’instigation du patron Michel Bouchet, devait donc marquer les esprits. Après maints repérages, la police entre enfin en action.

«Évidemment, ça s’est ébruité. Juste au moment où la descente allait se produire, le DJ a mis une musique spéciale du film Midnight express en rapport avec le trafic de came. À mon avis, il y a beaucoup de came qui est partie dans les toilettes ce soir-là. C’était un grand moment.»

A-t-elle déjà rencontré Gérard Fauré, le dealer du Tout-Paris, auteur de plusieurs livres décapants sur le milieu du show-biz? «à mon avis, on s’est croisés, c’est sûr!» répond-elle du tac au tac.

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Après avoir saturé le marché américain, les Sud-Américains ont opté, selon elle, pour une stratégie de déflation des prix de la cocaïne afin d’étendre leurs marchés. C’est alors qu’en 2006, elle intègre le CIFAD (Centre interministériel de formation antidrogue pour l’Amérique latine et les Caraïbes) et part vivre en Martinique, où elle échange avec les polices de toute la zone, de la fouille des navires jusqu’au blanchiment de devises. Avant de diriger son cabinet privé de recherche, elle se rend à Cuba, mais également à Carthagène en Colombie.

«En Colombie, c’était la première fois de ma vie qu’on m’a promené en voiture blindée. Ça donne le ton sur la problématique. Même au Venezuela, on voyait des choses folles. Le rapport à la mort n’est pas le même que pour nous, Français. Les policiers sud-américains tombent sur le front beaucoup plus que nous. La violence de ces pays est phénoménale, j’espère juste qu’on ne va pas les prendre en modèle.»
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