Charles Blé Goudé estime que les Ivoiriens «attendent la moindre occasion pour en découdre»

Acquitté par la CPI et dans l’attente de son retour au pays, l’Ivoirien Charles Blé Goudé a exprimé ses inquiétudes à propos de la situation sociopolitique en Côte d’Ivoire. L’ex-ministre de la Jeunesse de l’ancien Président ivoirien Laurent Gbagbo estime «profonde» la crise de confiance entre Ivoiriens et craint un nouveau conflit.
Sputnik
«De ce qu’il m’est donné de lire et d’entendre, j’ai peur pour la Côte d’Ivoire. J’ai peur que 10 ans après [la crise postélectorale de 2010-2011, ndlr], nous n’ayons pas tourné la page, que nous n’ayons pas tiré les leçons de ce qui est arrivé», a déclaré Charles Blé, lors d’une conférence de presse en ligne le 17 juin dernier.

Depuis La Haye –où il réside–, l’ancien ministre, qui suit avec intérêt l’actualité de son pays, a confié avoir «l’impression que tout ce qui compte pour les uns et les autres, c’est comment gagner l’élection présidentielle» d’octobre prochain.

«La vie de la Côte d’Ivoire ne se résume pas à une élection. Ceux qu’on est appelé à diriger sont meurtris et continuent de se battre sur les réseaux sociaux. Il suffit de lire les commentaires sur les réseaux sociaux pour voir que la guerre s’y est déplacée. Les rancœurs sont encore présentes, comme si les uns et les autres attendaient la moindre occasion pour en découdre», a-t-il poursuivi.

Pour Charles Blé Goudé, à ces Ivoiriens, il est crucial d’«indiquer la voie de la paix et de la réconciliation».

Un cycle sans fin?

Depuis trois décennies, la Côte d’Ivoire est prise dans une spirale d’instabilité politique et de violences.

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Pour commencer, les dernières années de présidence du «père» de l’indépendance, Félix Houphouët-Boigny (au pouvoir de novembre 1960 à décembre 1993), ont été tumultueuses. Le mandat de Henri Konan Bédié, son successeur, loin d’avoir été un long fleuve tranquille, a été abrégé par un coup d’État en décembre 1999. Après un an de régime militaire dirigé par le général Robert Gueï, Laurent Gbagbo accède au pouvoir en octobre 2000, dans des conditions qu’il a lui-même qualifiées de «calamiteuses».

À partir de 2002, il se voit obligé de composer avec une rébellion qui occupe un peu plus de la moitié nord du pays. La Présidentielle d’octobre 2010, qui devait permettre une sortie de crise, s’est soldée par un conflit armé sanglant, qui a fait officiellement plus de 3.000 morts et vu Alassane Ouattara prendre les rênes du pays en mai 2011.

Ces décennies ont vu les trois grands de la scène politique ivoirienne –Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara– s’allier puis s’opposer dans un jeu politique que d’aucuns affirment n’être régi que par leurs intérêts personnels.

«Toutes les crises que la Côte d’Ivoire a vécues ces 20 dernières années prennent leur source dans le refus ou l’exclusion de telle ou telle candidature. Va-t-on encore recommencer les mêmes erreurs ou tirer les leçons du passé?» s’est encore interrogé Charles Blé Goudé.

Selon lui, seule une «volonté ferme» de la classe politique permettra à la Côte d’Ivoire de ne pas se diriger vers «une voie sans issue», à la faveur de la Présidentielle d’octobre 2020.

Un retour encore incertain

Avec la levée de certaines restrictions, décidée le 28 mai dernier par la Cour pénale internationale (CPI), Charles Blé Goudé et son coaccusé Laurent Gbagbo –acquittés le 15 janvier 2019 des charges de crimes contre l’humanité qui auraient été commis lors des violences postélectorales de 2010 –2011 –sont désormais libres de leurs mouvements. Ils peuvent donc en théorie regagner la Côte d’Ivoire s’ils le souhaitent. Reste à savoir aussi si, à quelques mois de la Présidentielle, ce pays acceptera de les recevoir.

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Charles Blé Goudé qui a réaffirmé ne pas être candidat à la Présidentielle de 2020, a d’ores et déjà publiquement fait part de son intention de rentrer en Côte d’Ivoire, tout en concédant qu’il lui faudrait d’abord discuter de ce retour avec les autorités ivoiriennes.

«La justice internationale nous a acquittés et nous donne l’opportunité de rentrer chez nous, en Côte d’Ivoire. Mais je ne peux pas débarquer à Abidjan, je dois d’abord prendre langue avec les autorités de mon pays, afin de savoir comment je rentre après plusieurs années d’absence. Je ne mets aucune pression sur les autorités, je leur laisse le loisir d’examiner ma demande de rentrer que j’ai formulée», a déclaré Charles Blé Goudé.

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L’ex-leader des Jeunes patriotes (un mouvement politique qui a soutenu Laurent Gbagbo pendant les années 2000, jusqu’à être qualifié de milice à sa solde) dit avoir missionné le Congrès Panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (COJEP), le parti politique qu’il préside, de même que «certaines bonnes volontés», pour entreprendre également des démarches auprès du gouvernement ivoirien.

De l’avis de plusieurs analystes ivoiriens, comme le politologue Mamadou Habib Karamoko, l’approche de Charles Blé Goudé est à saluer:

«À tout problème il y a une solution. Dans les rapports humains, il n’y a rien d’impardonnable, tout dépend du niveau de repentance, de l’élégance avec laquelle on aborde les choses.
Si Blé Goudé veut rentrer dans son pays, il est dans son droit et ne devrait pas en être empêché, car la Constitution ivoirienne dispose qu’aucun Ivoirien ne peut être contraint à l’exil. Mais il lui revient avant de rassurer les autorités que sa présence sur le territoire ivoirien ne sera pas source de troubles», a déclaré au micro de Sputnik Mamadou Habib Karamoko.

Point épineux pour l’ancien ministre, s’il a été acquitté par la justice internationale, Charles Blé Goudé demeure condamné à 20 ans de prison (pour meurtres, viols et torture) et 10 ans de privation de ses droits civiques; des peines écopées en décembre 2019, lors d’un procès par contumace devant le tribunal criminel d’Abidjan.

«En ce qui concerne cette condamnation, vous savez, tout ce qui est politique se règle politiquement», a réagi Charles Blé Goudé.

Sur ce point, l’analyste Mamadou Habib Karamoko estime que les mots employés par le président du COJEP «ne sont pas les plus appropriés».

«Dire que ce qui est politique se règle politiquement implique que la justice ivoirienne qui l’a condamné est instrumentalisée par le pouvoir politique, alors que la Côte d’Ivoire se veut une démocratie. Et toute démocratie est caractérisée par la séparation des pouvoirs. Charles Blé Goudé gagnerait à présenter les choses autrement, car c’est ce genre de propos qui pourraient déranger les autorités et contrarier son retour», a-t-il déclaré.

Pour Mamadou Habib Karamoko, Charles Blé Goudé devrait donc «ajouter une touche de subtilité à ses propos», tout en gardant à l’esprit que le Président de la République a constitutionnellement le pouvoir de lui accorder une grâce.

Quoiqu’il en soit, dans l’attente d’une réponse du gouvernement ivoirien à sa demande de retour au pays, l’attention de Charles Blé Goudé tout comme de Laurent Gbagbo reste focalisée sur ce qui ressemble de plus en plus à la fin de leur procès devant la CPI. La Cour vient d’annoncer qu’elle examinera, du 22 au 24 juin prochain, l’appel de la procureure Fatou Bensouda contre leur acquittement.

Récemment autorisé par la CPI à quitter la Belgique, où il était assigné à résidence depuis son acquittement, Laurent Gbagbo avait lui aussi écopé d’une peine de 20 ans de prison par la justice de son pays, pour «le braquage» de l’Agence nationale de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) pendant la crise postélectorale ivoirienne.

Dans un communiqué publié le 18 juin, l’ancien Président a lancé une initiative pour des élections apaisées en 2020, en appelant «à tirer les leçons de notre douloureux passé et bâtir un avenir démocratique meilleur».

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