Les géants de la finance se ruent sur l’or: crise de panique ou désir de protection?

Le premier trimestre 2020 aura vu plusieurs géants de la finance augmenter sensiblement leurs achats d’or. Dans le même temps, les transferts d’or physique vers les États-Unis atteignent un niveau record. L’indice que quelque chose de grave se prépare? L’économiste Philippe Herlin livre son analyse à Sputnik France.
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La crise du Covid-19 provoque une véritable ruée vers l’or. Le métal jaune, valeur refuge en temps de crise, a profité de l’épidémie de coronavirus pour prendre de la valeur. L’once d’or évolue actuellement à plus de 1.700 dollars, un niveau bien supérieur à celui d’avant la crise.

L’onde de choc économique causée par la pandémie de coronavirus commence déjà à se faire sentir dans de nombreux pays. Selon de nombreux observateurs, le pire est à venir. Les géants de la finance Morgan Stanley, Bank of America, UBS, Wells Fargo et Blackrock auraient-ils anticipé la catastrophe?

​La question est légitime quand on sait que ces mastodontes ont augmenté leurs avoirs en or de près de deux milliards de dollars au cours du premier trimestre 2020. Ils atteignent désormais sept milliards de dollars au total. Blackrock, premier gérant d’actifs de la planète, a triplé sa position sur le métal jaune.

«Un bon placement pour les mois à venir»

«Cela se mesure en observant leurs avoirs dans les deux principaux fonds cotés d’or physique, tous deux américains (le SPDR Gold trust et le iShares Gold Trust), ces informations étant disponibles auprès de la SEC, le gendarme boursier américain», a expliqué à BFM Bourse Laurent Schwartz, directeur du Comptoir National de l’Or.

«Je pense que ces banques le font en grande partie pour leurs propres clients institutionnels. Cela signifie que ces derniers réorientent une partie de leurs portefeuilles sur l’or physique. Ils considèrent que c’est un bon placement pour les mois à venir», analyse au micro de Sputnik France Philippe Herlin, docteur en économie et chroniqueur pour Or.fr.

Dans le détail, Blackrock est passé de 387 millions de dollars d’avoirs en or au 31 décembre 2019 à 1,2 milliard de dollars au 31 mars 2020. Du côté de Morgan Stanley, le montant est passé de 600 millions à 2,05 milliards.

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Le site Or.fr note également que ces dernières semaines, des transferts d’or physique record ont eu lieu vers les États-Unis: «Depuis fin mars, pas moins de 550 tonnes d’or, d’une valeur de 30 milliards de dollars au prix actuel [26 milliards d’euros, ndlr], soit à peu près l’équivalent de la production minière mondiale au cours de cette période– ont été ajoutées aux stocks des entrepôts du Comex [le marché américain des matières premières, ndlr]; des centaines de tonnes de cet or ont été importées.»

Allan Finn, directeur des matières premières chez l’entreprise de logistique et de sécurité Malca-Amit, cité par Or.fr, a souligné le caractère inédit d’une telle frénésie dans les achats d’or physique: «Les flux vers New York sont sans précédent.»

«Il s’agit de conseils à suivre. Lorsque l’on regarde les grandes classes d’actifs, on s’aperçoit que l’or est très bien placé. L’immobilier, aussi bien commercial que résidentiel, va souffrir de par l’explosion du chômage et la récession. Difficile d’imaginer le voir monter dans un futur proche. Pour ce qui est des actions, les marchés ont presque retrouvé leur niveau d’avant la crise, mais c’est en grande partie dû à la planche à billets des Banques centrales. Les perspectives de l’économie réelle sont assez sombres. Les obligations évoluent déjà à des taux proches de zéro, voire négatifs. Restent les cryptomonnaies ou le marché de l’art, mais les volumes sont faibles», analyse Philippe Herlin. Avant de poursuivre:

«Un tel contexte place l’or en position préférentielle. Le métal jaune n’est pas surévalué, il ne fait pas l’objet d’une bulle. Il est fort possible que ce soit l’actif qui ait la meilleure marge de progression ces prochaines années.»

Il faut dire que le contexte est très particulier. Le chômage et le nombre de faillites évoluent à des niveaux record aux États-Unis, désormais en proie à des émeutes quotidiennes depuis la mort de George Floyd, décédé lors de son interpellation par un policier de Minneapolis le 25 mai. Pas mieux du côté de l’Europe, où la Commission européenne prévoit une récession historique en zone euro pour 2020: -7,7%. En France, la chute du Produit intérieur brut (PIB) devrait atteindre 20% au deuxième trimestre. Récemment, au micro de Sputnik, l’économiste Bruno Tinel parlait d’«un drame économique et social» à venir dans le pays.

«Un vrai risque de dépréciation des devises et d’inflation»

États et Banques centrales n’ont pas hésité à sortir l’artillerie lourde afin de contrer les effets de la crise économique. Aux États-Unis, la Fed (Réserve fédérale des États-Unis) injecte des milliers de milliards de dollars, notamment sous forme de prêts aux entreprises. En Europe, l’intervention de la Banque centrale européenne atteindra des niveaux jamais vus: plus de 1.600 milliards d’euros.

​Comme aime à le rappeler Philippe Herlin, «la Fed ne peut pas imprimer d’or». C’est également le titre d’un rapport des analystes de Bank of America. Ces derniers ont relevé leur perspective à 18 mois de 2.000 à 3.000 dollars l’once d’or.

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Un tel montant se trouve 50% au-dessus du record d’août 2011, quand l’once d’or avait atteint 1.900 dollars. Depuis le début de l’année, la hausse est d’environ 13,5%.

D’après Philippe Herlin, il existe un vrai risque de dépréciation des devises et d’inflation, ce qui motiverait de nombreux acteurs économiques à acheter de l’or. «La meilleure protection contre l’inflation reste le métal jaune. Certains pourront rétorquer que les Banques centrales font tourner la planche à billets depuis des années sans que cela ait provoqué d’inflation. C’est vrai pour les biens de consommation, mais des actifs comme l’immobilier ou les actions ont vu leurs prix monter», souligne l’économiste. Et de poursuivre:

«La situation actuelle pourrait très bien conduire à une hausse générale des prix. Les chaînes d’approvisionnement ne fonctionnent toujours pas de manière optimale, des relocalisations de chaînes de production sont évoquées et la planche à billets des Banques centrales a encore franchi un cap. D’autant plus que du côté de la Fed comme de la BCE, les dirigeants ont clairement fait comprendre qu’elle serait “no limit”.»

De quoi dessiner un contexte propice à une explosion du prix de l’or? C’est l’avis de Joni Teves, stratégiste en métaux précieux chez UBS Investment Bank, cité par BFM Bourse. Selon le spécialiste, le prix du métal jaune pourrait «casser les sommets» observés au cours des semaines précédentes. «Il y a un potentiel croissant de casser 1.800 dollars l’once à mon avis», a-t-il prédit.

Même son de cloche du côté de Philippe Herlin:

«Le cours de l’or en euro a déjà battu son record de 2011. Ce n’est pas encore le cas pour le cours en dollar, mais il est fort probable que cela arrive dans un futur proche. Je pense que l’or dépassera les 1.900 dollars l’once.»
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