Tandis que de plus en plus de pays dans le monde entament leur déconfinement, Haïti, petite nation des Antilles, commence tout juste à constater l’ampleur de la pandémie de Covid-19 sur son territoire.
«L’épidémie a été très lente à arriver, parce qu’il n’y a presque pas de tourisme en Haïti. En République dominicaine, ce sont surtout les touristes italiens qui ont emmené le virus. […] Puisque Haïti est moins ouvert sur le monde, le pays a été moins rapidement touché, un peu comme ce qui s’est produit dans certains pays d’Afrique. En Amérique latine, ce sont les pays les moins ouverts, comme le Venezuela, où le virus a pris le plus de temps à rentrer», observe M. Voltaire en entrevue avec Sputnik.
La pandémie de Covid-19 survient alors que le pays de 11 millions d’habitants était déjà plongé dans une grave crise politique. De février 2019 jusqu’aux plus récentes semaines, des milliers de citoyens ont multiplié les manifestations pour dénoncer la corruption et l’économie en chute libre.
Haïti: après la crise politique, la crise sanitaire
Le Président Jovenel Moïse est accusé, entre autres, d’avoir détourné des fonds du Petrocaribe, un prêt accordé à Haïti par le Venezuela. Une enquête de la Cour supérieure des comptes a conclu que le Président avait participé à cette fraude. Si la gestion du Petrocaribe continue de susciter la grogne, celle des fonds accordés par la Banque mondiale et l’OMS à Port-au-Prince pour lutter contre le Covid-19 pourrait potentiellement déboucher sur un nouveau scandale, estime M. Voltaire:
«Il y aura peut-être des scandales au niveau de l’achat des équipements pour combattre le virus. Le gouvernement dit qu’il a reçu des sommes importantes, mais personne ne sait encore comment elles sont gérées ni administrées. Il n’y a aucune transparence. Les médecins et hôpitaux disent qu’ils n’ont reçu aucune ressource. On parle de plusieurs dizaines de millions de dollars», s’inquiète-t-il.
«Le fait que la majeure partie de l’économie soit informelle ne rend pas la distanciation facile. Une personne sur le terrain me racontait qu’elle ne savait pas si elle avait plus de chances de mourir de faim ou du Covid-19… […] L’État, qui est au fond un État fantoche, n’a aucunement la capacité d’imposer un confinement total. Il faut aussi rappeler qu’il n’y a pas de Parlement actuellement: le seul pouvoir qui tient encore, ce sont les mairies», précise-t-il.
Les Haïtiens ne peuvent effectivement plus compter sur un parlement opérationnel depuis le 13 janvier dernier. Le mandat de la quasi-totalité des parlementaires est arrivé à échéance à cette date et les prochaines élections législatives et municipales n’ont pu être fixées au calendrier, en l’absence d’accord entre les forces politiques. Initialement, ces élections étaient censées avoir lieu en novembre prochain.
À Port-au-Prince, un parlement paralysé
Dans ce contexte plutôt chaotique, Joseph Jouthe, ex-ministre de l’Environnement récemment promu Premier ministre, a formé un nouveau gouvernement le 4 mars dernier, notamment dans l’espoir de calmer la contestation. Peine perdue, semble-t-il, alors que des manifestations contre les mesures préventives du gouvernement et son action continuent à se dérouler, principalement dans la capitale.
Fragilisé, non seulement gouvernement doit-il composer avec une recrudescence marquée de la violence et des kidnappings, mais aussi avec le retour massif de citoyens haïtiens de République dominicaine:
«Le pays doit aussi absorber ces réfugiés. Tous les jours, des milliers d’Haïtiens arrivent du pays voisin, où ils étaient allés chercher une meilleure vie. […] Il y a des risques de contamination accrus, parce que la République dominicaine a le taux d’infection le plus élevé de l’ensemble des Caraïbes», poursuit Frantz Voltaire à notre micro.
Fin avril, le comité scientifique du gouvernement haïtien a annoncé qu’il craignait que le Covid-19 ne fasse jusqu’à 20.000 morts sur le territoire. Au soir du 25 mai, 27 personnes étaient officiellement décédées des suites de complications dues au virus, selon les données de Google.