Au moment où la Tunisie commence à reprendre son souffle à la suite de la crise sanitaire, qui semble s’estomper progressivement, et alors que le gouvernement s’attelle à trouver des solutions pour gérer l’après-coronavirus, notamment sur le plan économique, une décision du ministère des Finances est venue créer la controverse. Le 13 mai dernier, ce ministère a annoncé dans un communiqué son choix de mettre à la retraite forcée 21 officiers de la Douane, soupçonnés de corruption. Aucune autre information officielle n’a été publiée sur la question, et aucune conférence de presse n’a été organisée pour donner plus de détails.
La décision a été prise en coordination avec le ministère de la Fonction publique, de la Bonne gouvernance et de la Lutte contre la corruption. Pas de liste officielle publiée des noms des 21 officiers mis à la retraite forcée, à part une liste qui a circulé sur les réseaux sociaux. Le flou total enveloppe cette affaire, qui s’apparente à une purge dans la Douane, dont les cadres sont très souvent critiqués pour leur implication dans des affaires de corruption et dont certains ont fait objet d’enquêtes judiciaires par le passé.
Contacté par Sputnik pour commenter cette affaire, Chawki Tabib, président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC), une instance indépendante, a déclaré qu’il n’avait pas davantage d’informations que ce qui a été annoncé au grand public.
«Normalement, le ministère des Finances aurait dû communiquer davantage sur cette affaire. Une chose est sûre: c’est que parmi les 21 officiers mis à la retraite forcée, il y a des noms autour desquels nous avons trouvé des soupçons de corruption et nous avons transféré leurs dossiers à la justice depuis 2017», indique-t-il.
En effet, dans le rapport annuel de l’Inlucc de 2017, il est question de corruption présumée dans laquelle sont impliqués des hauts cadres de la Douane ayant noué des «relations suspectes» avec de grands commerçants, importateurs et hommes d’affaires, ce qui leur aurait permis d’amasser une fortune importante.
Guerre «sélective» contre la corruption
Selon l’Organisation IWatch, qui est l’antenne de Transparency International en Tunisie, la mise à la retraite forcée des 21 officiers de la Douane fait suite à une plainte déposée devant la justice depuis le 26 mai 2017. Aucune précision n’est donnée quant à l’origine de la plainte qui concerne l’implication de ces hommes dans des «opérations commerciales suspectes». IWatch a publié une enquête le 16 mai sur cette affaire, où elle a expliqué que les officiers en question sont impliqués dans la facilitation d’opérations illégales d’importation au profit d’hommes d’affaires puissants, contre des pots-de-vin.
Port de Radès: arrestation d’un agent de la Douane en train de voler de la marchandise des conteneurs du port (vidéo publiée 17 avril 2020).
La décision du ministère des Finances s’inscrit dans la suite de «la guerre contre la corruption» qu’avait lancée, en mai 2017, l’ex-chef du gouvernement, Youssef Chahed et qui s’est révélée être une guerre «sélective» et «inefficace», outre le fait qu’elle avait été utilisée pour des règlements de comptes, de l’avis de plusieurs observateurs à l’époque.
L’absence de clarté sur les détails de l’affaire des 21 officiers et le flou qui a entouré les noms des personnes impliquées ont fortement ravivé les souvenirs de l’époque de Youssef Chahed.
Ahmed Kadri, journaliste auprès d’IWatch ayant réalisé la dernière enquête sur la corruption au sein de la Douane, s’étonne que «le gouvernement se soit mobilisé aujourd’hui pour sanctionner des officiers soupçonnés de corruption, alors que leurs dossiers sont devant la justice depuis 2017. Cela nous pousse à nous interroger sur cette manière sélective dans le traitement des questions de corruption et l’ouverture de dossiers selon les intérêts politiques, comme c’était le cas à l’époque Youssef Chahed», explique-t-il à Sputnik.
De son côté, le syndicat de la Douane a annoncé son intention de faire appel de la décision du ministère des Finances auprès du tribunal administratif. Dans son intervention sur Radio Shems FM, le 20 mai, Habib Habibi, président du syndicat, a déclaré «qu’il n’y a aucune clarté ni détails sur cette décision et qu’il n’existe jusque-là aucune preuve sur ce qui a été avancé concernant ses collègues».