«Macron prend les gens pour des imbéciles» concernant le plan de relance franco-allemand

Emmanuel Macron et Angela Merkel ont proposé un plan de relance de 500 milliards d’euros afin de faire face à la crise économique. Nouveauté, les chefs d’État proposent de mutualiser la dette des pays européens. Pour Charles-Henri Gallois, responsable national à l’UPR en charge de l'économie, un tel plan conduirait à l’austérité.
Sputnik
«Ce plan est très mauvais pour la France!»

Sans surprise, Charles-Henri Gallois, responsable national chargé de l’économie au sein de l’Union Populaire Républicaine (UPR), parti pro-Frexit, n’est pas séduit par la dernière proposition du couple franco-allemand.

​Ce qui est ressorti de la réunion du 18 mai entre Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel est pourtant inédit. Afin de faire face à la grave crise économique entraînée par la pandémie de coronavirus, les deux dirigeants ont proposé un plan de relance de 500 milliards d’euros. Jusque-là, rien de bien nouveau. C’est du côté du financement que vient la surprise.

Qui va payer?

Paris et Berlin ont soumis l’idée que ce plan de soutien destiné à être reversé en «dépenses budgétaires» aux pays européens et «aux secteurs et régions les plus touchés» soit financé par des emprunts de la Commission sur les marchés «au nom de l’UE». En d’autres termes, la dette européenne serait mutualisée. Une option dont l’Allemagne ne voulait, jusqu’à présent, pas entendre parler.

«Beaucoup de médias jouent de la trompette par rapport à cet événement, alors que c’est beaucoup de bruit pour rien», ironise Charles-Henri Gallois.

Les 500 milliards d’euros du plan franco-allemand viendraient s’ajouter aux 500 milliards d’aide déjà mis sur la table par Bruxelles et porterait donc l’aide de l’Europe à environ 1.000 milliards d’euros.

«Avec Macron, c’est l’Europe d’abord et la France après», selon Michel Onfray
Une somme colossale qui serait destinée à contrer la forte récession qui frappera la zone euro en 2020 et qui, selon les dernières prévisions de la Commission, devrait atteindre le chiffre record de -7,7% de croissance.

La proposition franco-allemande est un «signal historique» pour Henrik Enderlein, directeur du Centre Jacques Delors de Berlin. «Vraiment important», lance quant à lui Jacob F. Kirkegaard, du Peterson institute for International Economics. Les superlatifs pour décrire le projet n’ont pas manqué du côté des europhiles. Des propos qui tranchent avec ceux tenus par Jean-Luc Mélenchon, leader de la France insoumise: «Humiliante séance Macron/Merkel, où la France fait le porte-serviette du gouvernement de coalition droite/PS en Allemagne. Ambiance de condominium excluant les autres pays. Plan de relance rikiki. Mesquineries de Merkel. Refus de l’annulation de la dette. Un naufrage dangereux.»

​De l’autre côté de l’échiquier politique, Marine Le Pen a également fustigé les déclarations de Paris et Berlin: «Les Français doivent lire entre les lignes des annonces faites par Macron et Merkel: nous allons perdre encore en souveraineté, payer encore plus pour l’UE, et peut-être aller demain vers un impôt européen.»

«La France est contributeur net au budget de l’Union européenne. Pour Paris, il s’agit d’une arnaque, comme toutes les initiatives de ce type qui passent par Bruxelles. Ces 500 milliards d’euros ne sont pas de l’argent magique qui sort de nulle part. C’est un emprunt qu’il faudra rembourser et cela se fera sur le budget de l’Union européenne. Résultat: la France va surpayer pour d’autres pays», analyse Charles-Henri Gallois.

Il poursuit: «De plus, nous n’aurons pas la libre utilisation des fonds. C’est comme si je prenais un billet de 500 euros à un individu, lui en rendait seulement 300 et qu’en plus je lui imposais d’utiliser cet argent comme je le souhaite. Voilà ce qui va arriver à la France.»

​Le locataire de l’Élysée l’a martelé: «Ce ne seront pas des prêts, mais des dotations.» «Ces 500 milliards ne seront pas remboursés par les bénéficiaires de ceux qui utiliseront cet argent», a-t-il affirmé.

Vers plus de fédéralisme européen

«Dans tous les cas, des ressources de l’État vont être détournées pour financer ce plan. Emmanuel Macron prend les gens pour des imbéciles quand il dit que les bénéficiaires de l’argent ne rembourseront pas. Soit le budget européen augmentera et ce sont les contributeurs nets qui paieront, soit de nouveaux impôts européens seront créés», répond Charles-Henri Gallois.

Le membre de l’UPR insiste également sur ce qu’il considère comme «le revers de la médaille» du plan franco-allemand: «Ce qui n’est pas mis en avant concerne les contreparties à l’obtention de ces fonds.»

Pauvreté, prostitution, chômage, dette… l’UE qui rit, la Grèce qui pleure

«Les pays qui en bénéficieront devront mettre en place “des politiques économiques saines et un programme de réforme ambitieux”. Dans la novlangue européenne, cela signifie plus d’austérité et de réformes antisociales. C’est exactement ce modèle qui avait été appliqué il y a quelques années à la Grèce pour la mettre à genoux et qui a totalement paupérisé la population. Ceci s’était notamment fait par le Mécanisme Européen de Stabilité (MES) qui sera à nouveau mis à contribution avec l’autre plan d’emprunt de 500 milliards d’euros décidé par l’Eurogroupe», précise-t-il, avant d’ajouter:

«Ceci aura des conséquences très claires pour la France, comme l’application de la réforme des retraites voulue par Bruxelles. Et cela pourrait même aller plus loin vu que les déficits se sont davantage creusés avec la crise du coronavirus. Ce que propose l’Allemagne, la France et Bruxelles en général n’est pas une politique de relance keynésienne et généreuse, mais bien de l’austérité exacerbée.»

Comme le souligne Henrik Enderlein, le projet d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel va vers plus de fédéralisme: «Ce qui compte le plus aujourd’hui, c’est que France et Allemagne sont d’accord pour que dans une crise, l’UE puisse émettre sa propre dette à grande échelle. Le signal politique est que l’UE est plus qu’un groupe d’États-nations et a sa propre identité fédérale. Nous avons peut-être assisté à un moment hamiltonien.»

Alexander Hamilton, ce n’est ni plus ni moins que l’un des fondateurs du fédéralisme étasunien, à l’initiative de la centralisation des dettes des États américains dans les années 1790.

Opposition des pays du nord?

Le 12 mars, Emmanuel Macron s’adressait aux Français et lançait d’un ton martial: «Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie, au fond, à d’autres est une folie. Nous devons en reprendre le contrôle, construire plus encore que nous ne le faisons déjà une France et une Europe souveraine.»

Deux mois plus tard, aux côtés d’Angela Merkel, il déclarait:

«Notre volonté est de doter l’Europe de compétences très concrètes en matière de santé. Avec des stocks communs de masques et de tests, des capacités d’achat communes et coordonnées pour les traitements et les vaccins, des plans de prévention partagés des épidémies, des méthodes communes pour recenser les cas. Cette Europe de la santé n’a jamais existé, elle doit devenir notre priorité.»

Est-ce sa définition du «souverainisme européen», raillé notamment par le philosophe Michel Onfray, qui qualifie l’expression d’«oxymore»?

«Tout ceci est l’inverse de ce qu’il faudrait faire. Cette crise du Covid-19 a démontré que la seule manière d’agir sérieusement est en tant qu’État-nation», insiste Charles-Henri Gallois, avant de poursuivre: «Les délocalisations sont inscrites dans le marbre des traités européens grâce à la libre circulation des capitaux. Au contraire, il faudrait relocaliser et retrouver de la souveraineté nationale.

La souveraineté au niveau européen ne sert à rien. Pour la France, à quoi bon relocaliser la production de médicaments en Allemagne ou en Roumanie? En cas de crise grave, nous n’y aurions pas accès. Qu’a fait l’Allemagne au début de la crise du coronavirus? Elle a interdit les exportations de matériel médical, car elle a veillé d’abord à ses intérêts nationaux.»

Coronavirus: «une gestion de crise catastrophique» de la part de Macron, selon Michel Onfray - exclusif

Sans surprise, du côté de l’Italie et de l’Espagne, la proposition d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel a été saluée comme «un pas dans la bonne direction». Son de cloche différent pour Sebastian Kurz, chancelier autrichien, qui s’est dit favorable à des «prêts», mais contre une augmentation du budget de l’UE. Il s’est d’ailleurs entretenu à ce sujet avec d’autres dirigeants susceptibles de s’opposer au projet franco-allemand, notamment des pays d’Europe du Nord.

«Il n’est pas dit que ce plan soit accepté. Des pays comme l’Autriche, les Pays-Bas, le Danemark ou la Suède vont être difficiles à convaincre. Il y a 25 autres pays dans l’Union européenne et je pense qu’ils ne seront pas tous ravis de savoir que leur voix compte moins que celle de la France ou de l’Allemagne», souligne Charles-Henri Gallois avant de s’en prendre une nouvelle fois à l’exécutif français:

«La France devrait veiller à ses intérêts nationaux en premier. L’attitude des dirigeants est criminelle vis-à-vis des intérêts de la France. Quand l’Allemagne arrive plus ou moins à préserver sa souveraineté sur un certain nombre de sujets, les dirigeants français jouent les idiots utiles de l’Union européenne. Ils sont toujours prêts à sacrifier les intérêts français sur l’autel d’une UE fantasmée.»
Discuter