La décision du 22 avril dernier de la Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples (CADHP) ordonnant la suspension du mandat d’arrêt émis en décembre contre l’ancien président de l’Assemblée nationale ivoirienne n'aura pas suffi à le sauver de la justice de son pays.
Au terme d’un procès expéditif de trois heures boycotté par ses avocats, Guillaume Soro, actuellement en exil en France et accusé d’avoir frauduleusement acquis fin 2007, lorsqu’il était encore Premier ministre, sa luxueuse résidence dans la commune de Marcory à Abidjan, a été condamné par contumace à 20 ans de prison ferme pour recel de deniers publics détournés et blanchiment de capitaux, par le tribunal correctionnel d'Abidjan.
Il a également écopé de cinq ans de privation de ses droits civiques et politiques, ainsi que d’une amende de 4,5 milliards de francs CFA (environ sept millions d’euros), et devra verser deux milliards de francs CFA (trois millions d’euros) de dommages et intérêts au Trésor public. En outre, sa résidence a été confisquée au profit de l’État et un nouveau mandat d’arrêt a été émis contre lui.
Sitôt le verdict prononcé, la réaction du condamné ne s’est pas fait attendre sur les réseaux sociaux.
«Je reste candidat à la présidentielle et je gagnerai. C'est une sentence qui ne nous émeut absolument pas. La parodie de procès à laquelle nous avons assisté ce jour est la preuve ultime que l'État de droit est définitivement enterré par Alassane Ouattara. Cet homme qui porte aujourd'hui avec beaucoup d'aisance les habits de dictateur, qui soumet la justice à sa botte et commande des sentences de mise à mort politique contre ses rivaux afin de les exclure de la compétition électorale, incarne la pire version du dirigeant africain […]. Je lui dis que cette décision ne nous ébranle pas. Je considère ce verdict comme un non-événement», a posté Guillaume Soro sur Facebook.
Un procès à l’issue attendue de longue date
Avec ce jugement, Guillaume Soro rejoint les rangs d’illustres opposants présidentiables comme Laurent Gbagbo et Blé Goudé, condamnés eux aussi par contumace à 20 ans de prison, par la justice ivoirienne.
Pour nombre d’observateurs, la condamnation de Guillaume Soro, qui se présente comme une réponse à la décision de la CADHP, «est tout sauf une surprise». Interrogé par Sputnik, l’analyste politique Sylvain Nguessan, directeur de l’Institut de stratégies d’Abidjan, revient sur ce jugement.
«Tout ceci n’est en rien surprenant. Depuis le 23 décembre, date à laquelle Guillaume Soro a été empêché de regagner Abidjan, on s’attendait à ce procès et à une condamnation. Mais la véritable question à se poser est la suivante: vu que le pouvoir affirme avoir depuis longtemps des preuves de sa culpabilité, pourquoi avoir attendu la veille de la présidentielle d’octobre 2020 pour engager toute cette procédure?»
Il estime que «le contexte qui entoure ce procès lui confère une nature politique».
Des organisations comme Amnesty International considèrent également comme «très suspecte» la période des poursuites judiciaires contre Guillaume Soro.
«Les accusations semblent être motivées par des considérations politiques», avait déclaré l’ONG internationale.
Si, du côté de la défense et des partisans de Guillaume Soro, on dénonce volontiers une «parodie de procès», pour les avocats de l’État de Côte d’Ivoire, le verdict «hautement salutaire de cette audience qui s’est tenue dans des conditions régulières, sonne comme un avertissement sévère contre les agissements des cadres et agents de l’État qui s’adonnent allègrement à de honteux actes de corruption».
Une affaire «purement judiciaire», se défend le pouvoir ivoirien
Au niveau du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le parti présidentiel, on s’insurge contre la thèse du procès politique. Se prononçant au micro de Sputnik, Joël NGuessan, cadre du RHDP, assure que «l’affaire Soro est purement judiciaire, contrairement au relent politique que certains veulent lui donner».
«La question qui se pose est de savoir si oui ou non Guillaume Soro a acquis une maison avec des deniers publics. Si cela est avéré, cela signifie qu’il y a eu détournement d’argent public. Si ce n’est pas le cas, les avocats de la défense gagneraient à interjeter appel et à apporter la preuve que l’argent qui a servi à acheter la maison appartient bien à leur client», a-t-il déclaré.
Par ailleurs, Joël NGuessan s’est indigné de ce que Guillaume Soro se «soit autorisé à proférer des injures» à l’encontre du chef de l’État ivoirien qu’il a traité de «pire Président africain et de dictateur».
«C’est une faute grave que ses partisans et lui ont commise en insultant le Président de la République de Côte d’Ivoire. Nous pouvons concevoir leur désarroi, mais qu’ils restent sur le terrain purement judiciaire. Le Président Alassane Ouattara, dont il fut le Premier ministre, aurait pu être son père. En Afrique, on n’insulte pas un aîné, au risque de s’attirer des malédictions», a prévenu l’ancien ministre des Droits de l’Homme.
Évoquant l’annonce de Guillaume Soro de maintenir sa candidature à la présidentielle et de la remporter, Joël NGuessan estime que «c’est son droit de continuer à faire rêver ses partisans».
Guillaume Soro, victime du «karma politique et judiciaire»
Pour Sylvain NGuessan, Guillaume Soro, ex-chef de la rébellion armée de 2002, «ne récolte en réalité que les fruits de ses actions passées».
«Quand, à l’époque, des proches de Laurent Gbagbo, dont Simone Gbagbo [condamnée en 2015 à 20 ans de prison pour infractions contre la sûreté de l'État, et finalement graciée en 2018, ndlr], avaient été jugés sans qu’on ne lève leur immunité parlementaire, Guillaume Soro était le président de l’Assemblée nationale. On a tous vu sa réaction approbative. Voilà qu’aujourd’hui, c’est à son tour de subir et il s’aperçoit subitement qu’il a affaire à une justice aux ordres. Mais le fait est qu’il a justement contribué à mettre cette justice sous ordres», a rappelé l’analyste.
Une vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux ivoiriens, rappelant le soutien apporté, il y a plusieurs années, par Soro à de précédentes décisions de justice, jugées pourtant «politiques» par les partisans de l’ancien président Laurent Gbagbo.
La condamnation de Guillaume Soro, faut-il le souligner, est survenue six jours après que la Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples a ordonné la suspension des poursuites judiciaires contre lui, ainsi que la libération de ses 19 proches actuellement en détention.
Mais surtout, elle est tombée un jour avant que le gouvernement ivoirien n’annonce son retrait de la déclaration de compétence prévue au protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples.
Ce retrait, qui sera effectif dans un an, implique qu’à l’avenir, tant les individus que les organisations non gouvernementales n’ont plus le droit de saisir directement cette juridiction africaine.
Selon le porte-parole du gouvernement Sidi Touré, «cette décision fait suite aux graves et intolérables agissements que la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples s’est autorisés dans ses actions et qui non seulement portent atteinte à la souveraineté de l’État de Côte d’Ivoire, à l’autorité et au fonctionnement de la justice, mais sont également de nature à entraîner une grave perturbation de l’ordre juridique interne des État et à saper les bases de l’État de droit, par instauration d’une véritable insécurité juridique».