Des milliers d’Américains bravant les interdictions et se rassemblant pour réclamer la fin du confinement: le phénomène continue de prendre de l’ampleur aux États-Unis, où chaque État conserve la prérogative d’imposer ou non le confinement pour faire face à la pandémie.
Preuve que pour une partie de l’opinion publique, le péril économique pourrait être plus grand que celui d’un coronavirus dont la létalité significative à l’échelle d’une population entière reste à démontrer, les manifestations contre les mesures de confinement ont fleuri dans plusieurs États, qui en gardent la prérogative face à Washington. Selon l’agence Reuters, ces mouvements se sont même répandus comme une «traînée de poudre» et des «milliers» de manifestants sont descendus dans la rue pour demander la fin des mesures de confinement. Et, surtout, la reprise des activités commerciales. Au moins 18 États sur les 50 que compte la République fédérale sont concernés par ces manifestations… qui bénéficient du soutien de Donald Trump.
Le Président américain n’a jamais fait mystère de son aversion pour le confinement, lui préférant dès le début de l’épidémie un contrôle des frontières et des transports –aériens notamment. Et il a préféré s’en prendre frontalement aux administrations locales. «Certains gouverneurs sont allés trop loin», a-t-il déploré le 20 avril.
Des frontières avec l’étranger plutôt que le confinement
Dans la foulée, le dirigeant américain a annoncé une mesure dans la lignée de son slogan fétiche, «America first» (l’Amérique, d’abord):
«À la lumière de l’attaque de l’ennemi invisible, et face à la nécessité de protéger les emplois de nos GRANDS citoyens américains, je vais signer un décret présidentiel pour suspendre temporairement l’immigration aux États-Unis», a tweeté Donald Trump.
Face au mouvement de contestation, plusieurs gouverneurs ont appelé la Maison-Blanche à ne plus soutenir les manifestants, évoquant au contraire, selon la BBC, un «phénomène d’ampleur nationale», apparemment à rebours de la comptabilisation faite jusqu’alors par les médias.
Et dans les États où la culture des armes et des milices est solidement ancrée, certains haussent le ton. Ainsi ce milicien, cité par la BBC, prévient-il: «Rouvrez et déconfinez mon État ou nous le ferons nous-mêmes» –«Reopen my state or we will reopen it ourselves», en anglais. Une référence explicite à l’échéancier de déconfinement que la Maison-Blanche a publié, en accord avec les préconisations des Centres de détection et de prévention des maladies (CDC), et intitulé «Opening up America Again», clin d’œil au slogan de Donald Trump de 2016.
Si certains y ont vu une résurgence de l’Amérique profonde et du mouvement conservateur antifédéraliste du «Tea Party», qui avait émergé avec la crise financière de 2008, relevons que les manifestations ont pour cible des gouverneurs aussi bien démocrates que républicains. Indice que la mobilisation pourrait avoir des motivations plus philosophiques que politiciennes, Jean-Éric Branaa, spécialiste des États-Unis à l’université Paris II, explique à France 24 qu’il s’agit, selon lui, de l’attachement aux libertés garanties par la Constitution américaine.
«C’est fondamentalement une question constitutionnelle: ces manifestations renvoient au rapport des Américains au confinement et illustrent la réticence de certains à abandonner leur liberté d’aller et venir pour protéger les plus fragiles, ceux qui sont les plus menacés par la propagation du virus», explique le chercheur.
Donald Trump, schizophrène?
Et pourtant, à en croire une presse française volontiers anti-Trump, le Président américain ferait tout et son contraire, sans aucune logique, sinon dans le but de se faire réélire. C’est, entre autres médias, la sentence de FranceInfo qui tranche, ce 20 avril: «Il y a deux Présidents américains. L’un a fini par comprendre que pour lutter contre la pandémie de coronavirus, il fallait essayer de confiner les Américains, et tient des conférences de presse. L’autre tonne et éructe sur Twitter à longueur de journée pour encourager les Américains à reprendre le travail et à ne pas accepter les mesures de confinement», explique ainsi le média public dans ce qui ressemble à un réquisitoire.
Bien que vivement critiqué par les tenants d’un monde sans frontières, le locataire de la Maison-Blanche s’en était vivement pris à Bruxelles.
«L’Union européenne a échoué à prendre les mêmes précautions et à restreindre les voyages vers la Chine et les autres foyers. De nombreux foyers aux États-Unis ont germé par le biais de voyageurs venant d’Europe.»
Le même jour, le directeur des CDC, le virologiste Robert Redfield, n’avait pas pris de gants: «La vraie menace pour nous, c’est désormais l’Europe, avait-il affirmé. C’est de là qu’arrivent les cas. Pour dire les choses clairement, l’Europe est la nouvelle Chine.» Dans le même temps, sur le Vieux Continent, le gouvernement français décidait de maintenir ouvertes les frontières avec l’Italie, où la gravité de l’épidémie aurait pourtant pu alerter les autorités hexagonales. Le 17 mars, quelques jours après la décision de Donald Trump, l’Union européenne annonçait à son tour la fermeture de l’espace Schengen au reste du monde.
Sauver l’économie, clé de l’élection de novembre 2020
De fait, une partie des Américains tombent d’accord pour dénoncer un confinement qui menace gravement l’économie nationale. Selon le Washington Post, le déficit budgétaire fédéral pourrait atteindre quelque 4.000 milliards de dollars, un record annuel depuis 1945. Dans ce même contexte, du côté du secteur privé, des poids lourds de l’économie comme le pétrolier ExxonMobil ou la chaîne de pharmacies Walgreens vont avoir recours à l’endettement pour tenter de franchir le cap. C’est évidemment le cas, a fortiori, des petites et moyennes entreprises, dont l’accès aux prêts bancaires est plus délicat.
Aussi, cette population –celle des petits entrepreneurs, celle de l’Amérique profonde– tout comme Donald Trump ont-ils un intérêt commun à mettre un terme à ce «lock down». Dans l’histoire récente des États-Unis, un Président sortant a toujours été réélu en cas de bons résultats économiques. Une règle empirique qu’un conseiller de Bill Clinton avait résumée en 1992 par une phrase restée célèbre: «It’s the economy, stupid.» («C’est l’économie, idiot!»). Avec 22 millions de chômeurs aux États-Unis à cause de la pandémie, tant les acteurs économiques que le candidat Trump considèrent sans doute qu’ils ne peuvent plus laisser filer l’addition.