Le Covid-19 entraînera-t-il le Québec dans un grand processus de «démondialisation»? C’est du moins une perspective qu’a évoquée François Legault, le Premier ministre de cette province francophone de l’Est canadien:
«Évidemment, il y a des choses qui vont avoir changé [après la crise, ndlr]. Il y a des secteurs où, bon, on va avoir une... certains disent une démondialisation. Moins d’importation, ça suppose plus de production locale», a déclaré M. Legault en conférence de presse, le 31 mars.
Selon Roméo Bouchard, l’un des leaders du mouvement démondialiste au Québec, la crise actuelle révèle les lacunes du système international de libre-échange. Ancien prêtre catholique, auteur, militant souverainiste et écologiste, M. Bouchard intervient régulièrement dans les médias de la Belle province.
«La première évidence qui ressort est que nous sommes dépendants des autres pays dans le système globalisé. Au moindre accident, nous risquons de subir des conséquences graves. Les gens réalisent que c’est important d’avoir un solide ancrage chez soi. [...] Il y a une prise de conscience: à tout moment, nous pouvons être largués par les Américains ou les Chinois. Nous n’avons plus l’autonomie que nous avions autrefois», souligne-t-il au micro de Sputnik.
Promouvoir l’achat local
Roméo Bouchard salue ces initiatives de Québec, mais considère que le gouvernement devra aller beaucoup plus loin. Les Québécois doivent rapidement retrouver leur souveraineté alimentaire, estime-t-il, pour des raisons d’identité comme de sécurité.
«François Legault redonne de l’espoir à tous ceux qui travaillent dans le sens de la démondialisation depuis des années. La crise est l’occasion de revenir à la souveraineté alimentaire. Il y a déjà des centaines, voire des milliers de paysans qui attendent seulement qu’on redémarre l’agriculture locale. [...] Maintenant, ce ne sera pas facile. Il faudra nous assurer de lever tous les mécanismes qui favorisent les gros joueurs au détriment de la relève agricole locale. [...] La chaîne d’approvisionnement est menacée: le danger est sous-estimé», précise-t-il.
Quelques jours après sa déclaration très commentée, François Legault est revenu à la charge en affirmant que le Québec devrait développer son «autosuffisance en biens essentiels» au sortir de la crise.
Comme d’autres chefs d’État à travers le monde, le Premier ministre québécois envisage surtout de restaurer la souveraineté de son État en matière de nourriture et de médicaments. Encore une fois, Roméo Bouchard salue le projet, mais considère qu’il restera insuffisant sans revoir les ententes de libre-échange entre le Canada, d’autres pays et l’Union européenne.
«Le libre-échange domine. Les produits agricoles sont désormais presque prioritaires dans les ententes commerciales. [...] Je voudrais quand même nuancer un peu l’enthousiasme des partisans de la démondialisation. Ce ne sera pas simple, car c’est tout le mécanisme du libre-échange auquel nous allons faire face. [...] On pourra commencer par entamer quelques réformes, par exemple en facilitant l’accès à la terre aux jeunes paysans», poursuit l’écologiste.
Réduire la dépendance alimentaire du Québec
«Avec la pandémie qui sévit, le gouvernement semble reconnaître enfin la vulnérabilité de la chaîne d’approvisionnement de certains secteurs de l’industrie québécoise et le rôle qu’il peut jouer», peut-on lire dans le rapport de cet institut publié le 13 avril dernier. Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres, selon le militant souverainiste et écologiste:
«Si on ne peut pas protéger nos productions, nos prix ne seront pas compétitifs par rapport à ceux des produits qui arrivent de partout ailleurs. L’alimentation est tellement intégrée à l’identité et à l’environnement d’une nation qu’il serait normal d’en faire une exception. C’est impossible avec le libre-échange. La production nourricière du Québec ne dépasse pas 30%. Même si on l’augmentait, le dumping des produits alimentaires étrangers va se poursuivre», avertit Roméo Bouchard.