«Les chiffres sont moins importants que les choix stratégiques qui sont faits. C’est de nous endetter pour sauver notre économie, voilà le choix qui a été fait. Plus de dette pour moins de faillites, plus de dette pour sauver le plus grand nombre d’entreprises», affirmait Bruno Le Maire le 14 avril.
Dévoilée le 9 avril à la rédaction des Échos, cette réévaluation portait à 100 milliards d’euros le plan de soutien à l’économie, contre 45 milliards initialement prévus. Bruno Le Maire annonçait alors un déficit public de près de 8%, ainsi qu’une dette du pays qui atteindrait les 112% du PIB en 2020. La croissance économique plongerait pour sa part de -6%, au lieu du -1% initialement envisagé.
Interrogé sur ce glissement, Bruno Le Maire défend un «choix de responsabilité» du Président de la République et du Premier ministre, soulignant que tous ces chiffres restaient à prendre «avec beaucoup de prudence.» «J’aimerais être certain que nous en restions à -8%», insiste le locataire de Bercy, énumérant les différentes incertitudes planant sur l’économie mondiale. Le jour même, Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, lançait à France Infole chiffre de 9% de déficit public.
«L’objectif des gouvernements, c’est d’éviter la faillite des entreprises. Il y a un bon calcul: cela coûte moins cher de dépenser 100, 200 voire 300 milliards maintenant pour éviter des faillites d’entreprises que de se retrouver dans un an avec la faillite totale du système bancaire, où là, il faudra dépenser non pas des centaines, mais des milliers de milliards d’euros… la BNP, c’est 2.000 milliards d’euros d’actifs», développe l’économiste David Cayla au micro de Sputnik.
Dépenser sans compter afin de sauvegarder au mieux le tissu économique, une démarche qu’approuve donc ce membre des Économistes atterrés et maître de conférences à l’université d’Angers. De son côté, il planche d’ailleurs sur une dette publique comprise entre 120% et 140% pour le «scénario le plus pessimiste». Chiffre qui «pourrait être atténué par un rebond économique à la sortie de crise», estime-t-il, rappelant que les perspectives de récession ne peuvent qu’aggraver mécaniquement le radio dette/PIB.
Vers une crise de la dette privée?
Éric Woerth, président LR de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale, a également salué ces mesures de sauvegarde de l’économie, début avril. Dans une interview au Figaro, celui qui avait été ministre du Budget au moment de la crise de 2008 avançait un coût budgétaire vraisemblablement compris «entre 75 et 120 milliards d’euros», considérant que les premières estimations de 45 milliards étaient loin de la réalité. Un premier chiffrage gouvernemental déjà mis à mal, le 30 mars, par l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), qui chiffrait les mesures d’urgence à 60 milliards d’euros (2,6 points de PIB annuel) par mois. La prise en charge du chômage partiel de millions de salariés devrait être la mesure plus coûteuse pour les finances publiques. Une crise «sans commune mesure avec les chocs que l’on a pu connaître» en 2008 ou en 1929, avait alors estimé le président de l’OFCE, Xavier Ragot.
Pour l’économiste, en revanche, «ce qui risque d’être un problème» à l’issue de la crise serait une possible contagion de la crise au secteur bancaire, «par nature assez fragile». Celle-ci pourrait être causée par un trop grand nombre de faillites d’entreprises, lesquelles ont lourdement emprunté ces dernières années grâce aux taux directeurs historiquement bas dans la zone euro.
«On risque de se retrouver avec des entreprises qui seront en situation de faillite et c’est ça qui va poser problème, car dans la gestion de faillite, les créanciers perdent de l’argent et les créanciers, ce sont les banques.»
Un scénario inverse à la crise de 2008, mais avec les mêmes conséquences: l’explosion de la note finale pour l’économie française, européenne et mondiale, d’où la nécessité de soutenir aujourd’hui les acteurs économiques afin d’éviter que s’amorce une réaction en chaîne.
«Il va se poser la question non pas de l’annulation de la dette publique, mais de la gestion d’une éventuelle crise bancaire. C’est ce qui, demain, risque de poser problème», insiste David Cayla.
L’économiste tient toutefois à se montrer rassurant sur le fait que bien que les «probabilités» soient «fortes» d’être confronté à un tel cas de figure, rien pour l’heure ne le laisse présager. David Cayla tient à se montrer d’autant plus rassurant que si ce scénario se présentait, les banques ne seraient pas abandonnées à leur sort, rappelant que ces dernières détiennent tant le contrôle sur nos moyens de paiement que l’épargne des Français. La perte de cette dernière est un risque systémique qu’aucun gouvernement ne saurait accepter de courir.
«Vous pouvez rassurer vos lecteurs, bien sûr qu’on va empêcher ça, il n’est pas question de laisser s’effondrer le système bancaire et que les gens ne puissent plus accéder à leur argent, ne puissent plus payer, sinon tout le système s’effondre. L’objectif n’est jamais de sauver les banques, l’objectif est de sauver l’épargne des ménages. C’est ça qui est menacé par la faillite du secteur bancaire.»
«Il va falloir trouver des solutions nouvelles»
Pour l’heure donc, si Bruno Le Maire parle d’efforts, «c’est surtout pour rassurer les marchés financiers, parce qu’aujourd’hui la France a besoin d’emprunter», estime l’économiste, qui rappelle ainsi le besoin «que les investisseurs aient confiance en la signature de l’État». Pour autant, reste à savoir quelles conséquences aura à moyen-long terme ce surplus de dépenses.
«Donc, le problème qui va se poser, c’est comment politiquement on gère cela [cette crise de la dette privée, ndlr.] et qui supporte les pertes? Sachant qu’on ne peut pas faire supporter au système bancaire des pertes énormes.»
Ainsi, à ses yeux ce qui s’est produit à Chypre en 2013– avec une ponction massive (60%) des montants allant au-delà de 100.000 euros d’épargne– est un mauvais exemple, notamment par la taille de cet État membre, les nombreux comptes d’étrangers fortunés, parce que Nicosie avait mis en œuvre une politique d’austérité ou encore parce qu’il faudrait dans un tel cas de figure selon l’économiste «sans doute être plus large que les [comptes de, ndlr.] 100.000 euros.»
Une option parmi d’autres, souligne David Cayla, estimant qu’il est «impossible de dire concrètement ce qui va sortir de cette crise», la réponse à la crise étant politique. Pour l’économiste, une chose est sûre, «il va falloir trouver des solutions nouvelles.»