Covid-19: au Cameroun, la catastrophe pourrait venir des prisons

Alors qu’ailleurs en Afrique, des mesures ont été prises pour décongestionner les prisons, au Cameroun, ce n’est pas encore le cas. Pourtant réputés surpeuplés, les établissement pénitentiaires risquent, de l'avis de plusieurs observateurs, d'être des foyers de propagation du Covid-19. Face à la menace, les détenus multiplient les cris d’alerte.
Sputnik

Un mouvement d’humeur a été enregistré à la prison centrale de Yaoundé ce lundi 13 avril : des détenus ont manifesté pour dénoncer l'absence de mesures contre la propagation du coronavirus au sein du pénitencier. Ils ont également alerté sur la présence de cas présentant des symptômes qui pourraient être assimilés au Covid-19.

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Si, pour l’instant, aucune information officielle ne confirme la présence des cas suspects ou de décès dû au coronavirus dans le milieu carcéral, pour nombre d’observateurs, dont David Eboutou, analyste politique, les détenus ne devraient pas être ignorés dans le dispositif de lutte contre la pandémie.

«La lutte contre ce virus n'est pas une banale affaire qui devrait seulement concerner une partie des Camerounais», s’insurge-t-il au micro de Sputnik.

Pour Hilaire Kamga, expert des questions de droit de l’Homme, «il est inadmissible, aujourd'hui, de faire semblant de ne pas voir le danger qu'il y aura à laisser le virus s’installer dans les prisons».

Prisons surpeuplées

Depuis la détection des premiers cas de Covid-19 au Cameroun, de nombreux acteurs de la scène publique formulent des inquiétudes sur le risque de propagation de la maladie dans les prisons de Douala et de Yaoundé, réputées les plus surpeuplées du pays. Prévue pour moins de 1.000 personnes, la prison de Kondengui à Yaoundé en accueille, par exemple, plus du triple, selon des estimations des organisations des droits de l’Homme. Des voix s’élèvent pour appeler à la décongestion des prisons.

«Il est urgent pour le gouvernement de mettre ce problème sur la table et de voir dans quelle mesure on peut libérer de manière urgente des personnes qui, en réalité, sont en attente de jugement. Certains prévenus n'ont pas de raison d'être là, au moins pour 72%, comme le montre la dernière étude qui a été réalisée par l’ONG Nouveaux droits de l'Homme sur la justice pénale au Cameroun», alerte Hilaire Kamga.

Selon des statistiques récentes, le Cameroun compte près de 31.000 prisonniers et quelque 4.600 employés. Une population carcérale qui évolue dans un milieu vétuste où la promiscuité peut s’avérer un terreau fertile à la propagation de l’épidémie.

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Décongestionner les prisons

Dans une récente déclaration, la Haut-Commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU Michelle Bachelet a appelé à la libération urgente de détenus à travers le monde pour éviter que la pandémie de Covid-19 ne fasse des ravages dans les prisons souvent surpeuplées. Emboîtant le pas à  l'Organisation mondiale de la santé (OMS), elle a exhorté:

«Les gouvernements et les autorités compétentes doivent travailler rapidement pour réduire le nombre de personnes en détention en libérant, par exemple, les détenus les plus âgés et les malades, ainsi que les délinquants présentant un risque faible.»

Dans le même sillage, Maximilienne Ngo Mbé, directrice du Réseau des défenseurs des droits de l’Homme en Afrique centrale (Rhedac), a écrit aux chefs d’État de l’Afrique centrale –dont le Cameroun– pour exiger la libération de certains prisonniers.

«Nous nous sommes saisis de cette déclaration de la Haut-Commissaire aux droits de l’Homme avec les constats qui sont les nôtres, c’est-à-dire: les conditions de détention inadéquates, la surpopulation carcérale», précise-t-elle au micro de Sputnik

Depuis fin mars, de nombreux pays ont libéré des prisonniers pour éviter qu’ils ne soient contaminés par le coronavirus. David Eboutou,pense que le Cameroun ne devrait pas être en marge de cette mesure au regard de sa réalité carcérale.

«Les autorités judiciaires doivent s'atteler à mettre en urgence des mécanismes pour désengorger les prisons camerounaises, dont la triste notoriété vient justement de la surpopulation carcérale», poursuit l’analyste.

Si, au Cameroun, les autorités n’ont pas réagi publiquement à ces différents appels, rechignant encore à franchir le pas, Maximilienne Ngo Mbé entend «continuer à faire le plaidoyer avec d’autres institutions pour que le gouvernement fasse preuve de volonté politique». 

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La défenseure des droits de l’Homme suggère, par exemple, de procéder par sélection sur la base des critères qu’elle décline ici:

«On peut libérer les prévenus qui sont en prison depuis fort longtemps et qui n’ont jamais pu voir le juge. Les petits délinquants, les personnes âgées et les femmes ayant une faible capacité de nuisance», suggère-t-elle.

En attendant que Yaoundé prenne des mesures pour éviter le pire dans ses prisons déjà mal loties, la pandémie continue de faire des victimes. Un mois après le premier cas confirmé, le Cameroun est désormais le deuxième pays le plus touché en Afrique subsaharienne après l’Afrique du Sud, avec un peu plus de 800 cas officiels.

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