La crise sanitaire due au coronavirus met en lumière des métiers souvent sous-estimés. Des professionnels qui par solidarité et par sens du devoir ne se confinent pas chez eux. C’est le cas des travailleurs sociaux et notamment des personnels en foyers d’enfants placés, qui nécessite une attention toute particulière en cette période.
«La gestion est dramatique en ce qui concerne l’Aide sociale à l’enfance. Au moment où la France traverse une crise majeure, nous ne bénéficions pas de protocole d’urgence», s’insurgeait Lyes Louffok, membre du Conseil national de la protection de l’enfance et de l’association «SOS Enfants Placés», sur France Inter.
Interrogé par France Inter, Adrien Taquet a insisté sur la nécessité d’assurer l’encadrement des enfants placés en foyer ou famille d’accueil:
«D’habitude, ils ne passent pas leur journée dans les foyers. Ils vont à l’école, font du sport... Il faut s’assurer qu’il y ait une réorganisation de leur temps et qu’il y ait suffisamment d’encadrement.»
Alors, comment se passe l’encadrement des enfants placés pendant ce confinement? Mathilde, une psychologue pour enfants placés en foyer de la région toulousaine, répond au micro de Sputnik:
«Les enfants placés sont oubliés d’une part de la société, mais encore plus dans la situation actuelle», se désole-t-elle.
La première directive du département a été de suspendre les droits de visite. Certains enfants internes en semaine, mais qui pouvaient rentrer chez leurs parents le week-end, ont dû rester au sein du foyer. De fait, le nombre d’enfants a augmenté, tandis que les effectifs d’encadrants sont restés stables, voir ont chuté dans certains départements. Afin de désengorger les groupes, des décisions ont été prises, comme le retour de certains enfants chez eux:
«Selon une évaluation hyper-rapide, puisque le confinement est tombé assez vite, certains jeunes ont été renvoyés chez leur parents ou autre ressource familiale; par exemple, on a un jeune qui est chez sa tante. C’est dans le but d’alléger le groupe, mais aussi de ne pas les mettre en difficulté, notamment les grands», explique la psychologue.
Une décision qui n’a bien évidemment pas concerné les enfants victimes de maltraitances ou d’abus. «En sachant que s’il y a le moindre problème là-bas, ils reviennent chez nous», insiste Mathilde.
Des enfants déstabilisés
Des débuts difficiles pour cette psychologue, qui a été mutée à poste d’éducatrice au bout de la seconde semaine de confinement, le suivi psychologique ne pouvant plus être assuré du fait des gestes barrières. Mais l’absence de suivi psychologique, indispensable pour certains enfants souffrant de troubles liés à leur passé, les désoriente complètement et augmente le risque de fugue. Des fugues qui représentent un danger, non seulement pour les jeunes eux-mêmes, mais aussi pour tout le foyer, personnel compris, durant cette pandémie.
«Ils ont beaucoup de mal à l’entendre, parce que le danger, on ne le voit pas, sauf qu’ils peuvent revenir et nous contaminer. Initialement, on nous avait dit que ces jeunes ne seraient pas réaccueillis dans le groupe, mais ils sont revenus. On nous avait promis des solutions de confinement individuel, et puis finalement, rien non plus.»
«Là, on est dans un entre-deux où il y a un peu d’école, mais pas vraiment, et ça les petits, c’est évident que ça les déstabilise complètement. Donc nos enfants placés, qui ont vécu des traumatismes ou des maltraitances, leurs angoisses se fixent sur certains éléments, notamment sur le changement d’organisation, ça les perturbe complètement, donc c’est compliqué.»
Pour le moment le personnel tient bon, assure Mathilde, mais pendant encore combien de temps, telle est la question.
Des personnels solidaires
Si des roulements entre éducateurs sont assurés afin de respecter au mieux les mesures d’hygiène, le manque de masques, les fugues et les déplacements des soignants augmentent les risques de contaminations. Des conditions de travail difficiles et un temps de travail qui s’est rallongé jusqu’à 12h par jour: le personnel se retrouve surmené.
«Que ce soient les angoisses des jeunes ou notre situation personnelle, il y a des choses qui montent et il n’est pas impossible que certains se mettent en arrêt. Mais on passe au-delà des risques pour pouvoir être là et remplir notre mission de protection de l’enfance. Entre la solidarité et le sacrifice, il n’y a qu’un pas.»
Afin de tendre au mieux vers un retour à la normale pour ces enfants et aider les travailleurs sociaux, Adrien Taquet, en association avec Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, ont annoncé la possible mobilisation des professeurs d’EPS, aujourd’hui en arrêt de travail forcé, afin de renforcer l’encadrement d’une part, mais aussi de proposer des activités sportives de l’autre. Et un appel national aux bénévoles a été lancé par les Associations Départementales d’Entraide des Personnes Accueillies en Protection de l’Enfance (ADEPAPE), 2.500 volontaires ont ainsi pu proposer leur aide aux travailleurs sociaux.