Sénégal: Sur les flancs du coronavirus, un escroc dépisté «positif» par la police

Faux médecin, vrai faussaire, le «docteur» Amadou Samba, militant du parti au pouvoir, a obtenu des marchés de dépistage du coronavirus avec de grandes sociétés d’État. Un entregent qui pose la question de ses relais occultes.
Sputnik

Audacieux pour les uns, téméraire pour d’autres, escroc sans foi ni loi pour le plus grand nombre. L’histoire du «docteur» Amadou Samba a ému et choqué les Sénégalais. Dans un pays en état d’urgence pour endiguer le coronavirus, ce faux médecin d’à peine 32 ans s’était trouvé une spécialité en or: le dépistage du Covid-19. Un terrain délaissé par les pouvoirs publics faute de moyens.

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C’est dans les locaux de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) qu’il a été piégé par les policiers de la Sûreté urbaine (SU) de Dakar. Il était venu empocher un chèque bancaire après avoir procédé à des tests de dépistage sur deux employés de la CDC revenus de Paris. Des prestations facturées 100.000 francs CFA (150 euros) l’unité. En détention depuis le 27 mars, il a été inculpé le 1er avril par un magistrat instructeur et transféré à la prison centrale de Dakar, en attendant son procès.

​Avant son arrestation, «Dr Samba» avait obtenu plusieurs marchés relatifs non seulement au dépistage du coronavirus mais aussi à d’autres spécialités médicales, dont il avait usurpé le titre et la qualité. De médecin généraliste, il pouvait devenir cancérologue, gynécologue, cardiologue suivant les opportunités qui s’offraient à lui. Son entregent et des complicités présumées lui avaient ouvert les portes de prestigieuses entreprises dont la société pétrolière d’État Petrosen, la Société des brasseries de l’ouest africain (SOBOA), le Centre national de transfusion sanguine, des hôpitaux, des cliniques et même jusqu’à l’hermétique média public la Radiotélévision sénégalaise (RTS). Le fait qu’il détenait avec lui une «carte professionnelle» ainsi que des documents estampillés «Institut Pasteur de Dakar» lui avait facilité la tâche.

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C’est justement à ce niveau que «Dr Samba» est devenu une affaire d’État au cœur de la lutte contre le coronavirus. Sur les réseaux sociaux sénégalais circule une photo où on le voit aux côtés d’Abdoulaye Diouf Sarr, le ministre de la Santé et de l’Action sociale. Ce dernier, proche collaborateur du Président de la République, est le patron de la cellule des cadres du parti présidentiel (Alliance pour la république, APR). Il est surtout la cheville ouvrière politique du plan national de lutte contre l’épidémie. Pour beaucoup d’internautes, cela fait désordre, d’où la nécessité pour les pouvoirs publics d’apporter des clarifications. Se sentant visé par les interrogations, Abdoulaye Diouf Sarr a réagi ce 2 avril après que son ministère a porté plainte contre le faussaire présumé.

«Je l’ai [Dr Samba, ndlr] connu à travers des photos sur le net. Dans tous les secteurs, il existe des faussaires. De la même manière que nous avons de faux douaniers, de faux policiers, de faux gendarmes, on peut aussi rencontrer de faux médecins. Le secteur de la santé ne peut échapper à cela. […] Je n’ai aucun lien avec lui. Je ne le connais pas personnellement. Combien de personnalités se font photographier avec des gens sans connaître l’utilisation qu’ils vont faire des images? Qu’on ne nous divertisse pas outre mesure car nous sommes en face d’une équation trop sérieuse… Le combat contre le coronavirus nécessite l’apport de tous.»

Le ministre de la Santé du Sénégal Abdoulaye Diouf Sarr avec, à sa gauche, le faux médecin.

Le faux médecin à l’histoire particulière, militant du parti au pouvoir à Rufisque (à une trentaine de km de la capitale), aurait eu pour «mentor Abdourahmane Seck Homère, le beau-père du président» de la République, assure un membre du parti présidentiel qui a parlé à Sputnik en off. Seck Homère étant le président du conseil d’administration de Petrosen, certains ont trouvé l’explication au fait que «Dr Samba» ait pu obtenir un marché de dépistage du coronavirus dans cette société d’État. Mais selon la source de Sputnik, «il ne peut y avoir de désordre».

«Cet individu n’appartient ni à la cellule des cadres ni à aucune autre instance de notre parti. Il a juste travaillé dans une des commissions mises sur pied à l’occasion du Panel de Haut niveau présidé en janvier dernier par le chef de l’État.»   

Cette affaire est d’autant plus troublante aux yeux de certains que, avec l’apparition du coronavirus, l’Institut Pasteur de Dakar avait l’exclusivité du dépistage du Covid-19. 

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C’est lorsque les contaminations ont pris de l’ampleur que l’Institut de recherche, de surveillance épidémiologique et de formation (IRESSEF) du professeur Souleymane Mboup a été intégré au dépistage. Comment le «Dr Samba», sans qualifications professionnelles avérées, a-t-il pu donc être associé aux opérations de dépistage dans des structures étatiques sur un sujet aussi sensible? Hamadou Tidiane Sy, journaliste et directeur de l’école de journalisme Ejicom, ne se fait pas d’illusions.

«Je ne sais pas ce que l’affaire va révéler, mais la toute première impression est qu’au-delà du "faux", c’est le trafic d’influence qui a fonctionné. Facile dans un pays où l’on vous donne un marché en fonction de vos relations en haut lieu, de votre militantisme dans tel ou tel parti, de vos amitiés, etc. Et non en fonction de votre expertise et de vos compétences. Voilà le résultat.»

Dans l’opinion publique, la tendance penche en faveur d’une enquête transparente et indépendante avec pour objectif essentiel de retrouver toutes les complicités qui ont pu appuyer Amadou Samba dans une entreprise aussi dangereuse. De nombreuses personnes dénoncées par le faux médecin ont déjà été arrêtées par la police. Mais celle-ci touchera-t-elle aux personnalités politiques potentiellement complices? À Dakar, tout le monde en doute.

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