La menace de la contagion au Covid-19 a fait prendre aux Algériens de nouvelles mesures de protection. Les consommateurs ont nettement limité l’achat de pain de peur d’une transmission via leur boulanger. Un véritable chamboulement pour le pays qui est considéré comme un des premiers consommateurs de baguettes au monde.
«Il n’y a pas de crise de la semoule. Les gens ont anticipé les mesures restrictives sur les déplacements à cause du confinement, ils en ont donc acheté de grandes quantités et les ont stockées. Toute celle qui était sur le marché a été absorbée. Pour faire face à la situation, l’État a mis en œuvre un programme d’approvisionnement en blé dur des minoteries pour leur permettre de fabriquer de plus grandes quantités de semoule. Les autorités tentent de parer au déséquilibre entre l’offre et la demande», souligne Mustapha Zebdi.
Spéculation
Ce dérèglement du marché a d’abord profité à certains grossistes qui ont stocké d’importantes quantités dans le but d’engager des opérations spéculatives. Le gouvernement a lancé une véritable guerre à ces commerçants dans le cadre de «campagnes de lutte contre toutes formes d'activités commerciales illicites».
Bombe à retardement
En parallèle, les autorités ont décidé de passer outre les circuits de commercialisation classiques en faisant en sorte que la semoule aille directement des minoteries vers les consommateurs. Cependant, en voulant bien faire, les pouvoirs publics ont créé un véritable problème sanitaire.
Chaque jour, dans de nombreuses wilayas, des milliers d’Algériens se pressent devant les points de vente du groupe minotier public Agrodiv dans l’espoir de repartir avec un sac de semoule. Les minotiers privés ont également été tenus de procéder à des opérations similaires. Les ventes se déroulent à même les bennes de semi-remorques et dégénèrent parfois en bagarre générale sous les yeux des forces de sécurité.
L’État a imposé des mesures de distanciation sociale mais paradoxalement, il organise des rassemblements qui risquent de provoquer une contagion majeure du Covid-19. Pour Mustapha Zebdi, ces regroupements «sont une bombe à retardement».
«Pourquoi fermer les mosquées, les écoles et les salles de sport si, d’un autre côté, on crée un phénomène de rassemblement? C’est admissible! Vu la forte demande, il était évident que les quelques points de vente allaient être submergés. Nous sommes face à une bombe à retardement. Des mesures concrètes doivent être prises pour permettre que les ventes de semoule se déroulent dans des conditions sanitaires correctes», regrette le président de l’APOCE.
Organisation
Alger a eu elle aussi ses clusters puisque des distributions ont eu lieu mardi 31 mars rue Didouche Mourad et rue Mohamed Belouizdad dans le centre de la capitale. Pour Mustapha Zebdi, les autorités doivent faire face à la forte demande en impliquant les mairies et les comités de quartier pour organiser des ventes ciblées. «Mais le consommateur doit être conscient de la situation et de la gravité de son comportement.»
«Les professionnels du secteur subissent des restrictions draconiennes. Notre groupe a construit, en 2016, une minoterie d’une capacité de 450 tonnes par jour de semoule et autant de farine à Oued Athmania (wilaya de Mila). Mais depuis, nous n’avons pas reçu de blé dur alors que la demande est très forte sur l’ensemble de la région est des Hauts-plateaux. Les services du ministère de l’Agriculture et de l’OAIC ne veulent pas nous attribuer de quotas de céréales pour des raisons qui restent floues. La situation est totalement incompréhensible puisque d’un autre côté, les walis (préfets) ne cessent de me contacter pour livrer des quantités de semoule à partir de cette minoterie», assure Abdelkader Djedei.
La situation décrite par l’homme d’affaires s’explique par un revirement des autorités algériennes qui s’est produit durant l’été 2019. Le gouvernement de Noureddine Bedoui avait estimé que le secteur de la trituration était arrivé à saturation et avait donc décidé de fermer une quarantaine de minoteries. Abdelkader Djedei se défend de faire partie de la catégorie des entreprises qui ont subi cette décision. «Pour preuve, le refus d’alimenter mon usine de Oued Athmania en céréales est antérieur à la décision du gouvernement. Je ne demande qu’une seule chose, mettre enfin les machines en route et produire de la semoule», dit-il.
Mardi 31 mars, lors d’une rencontre avec des journalistes, le Président Abdelmadjid Tebboune s’est pourtant montré rassurant au sujet de la disponibilité des produits alimentaires en cette période de crise sanitaire. Il a notamment indiqué que la production de semoule «a été multipliée dernièrement par trois grâce à l'augmentation à 100% des capacités des minoteries».