L’Afrique a besoin d’une «nouvelle race de dirigeants»

Figure respectée au Cameroun, l’écrivaine et universitaire Viviane Ondoua Biwole plaide pour un renouvellement de la classe politique et l’émergence d’une Afrique de la bonne gouvernance. Dans un entretien accordé à Sputnik, cette militante pour les droits des femmes revient sur ses différents combats.
Sputnik

En proie à la mauvaise gouvernance, écrasée par les inégalités et terrassée par les crises sociopolitiques, l’Afrique a besoin d’une «nouvelle race de dirigeants», plaide Viviane Ondoua Biwole. Dans un entretien à Sputnik, cette universitaire camerounaise fait le procès des worst practices qui ont la peau dure sous les cieux africains. Se référant au dernier rapport de la fondation Mo Ibrahim sur la gouvernance africaine, la professeure associée à l’université américaine de Yale décrit les différentes facettes que recouvre cette réalité.

L’Afrique a besoin d’une «nouvelle race de dirigeants»
«Dans le domaine de l’éducation, le décalage entre l’offre d’enseignement et les besoins du marché de l’emploi est un sujet de préoccupation croissant. Dans le secteur de la santé, l’urgence d’améliorer la disponibilité et l’accessibilité, notamment financière, des services de santé de base. En matière d’agriculture, on observe une détérioration des indicateurs en termes de sécurité alimentaire. Pour ce qui concerne l’économie, la prospérité est une préoccupation importante de même que la diversification des exportations, l’accès de tous à l’électricité, les infrastructures de transport, les investissements dans le secteur rural et l’intégration régionale», énumère Viviane Biwole.

La bonne gouvernance arrimée à la réalité

Concept fourre-tout, la bonne gouvernance conditionne les prêts accordés aux pays africains, en même temps qu’elle constitue, dans les classements pays, la base de notation des bons élèves (et de stigmatisation corrélative des derniers de la classe). Toutefois, elle peut s’avérer une réalité difficile à appréhender.

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Définie comme un ensemble d’éléments conditionnant une gestion efficace aux fins de produire des résultats utiles, la bonne gouvernance n’est pas, pour autant «un concept désincarné», avertit l’auteure camerounaise. Processus dynamique, la bonne gouvernance a besoin, au contraire, d’être arrimée à une réalité. À ce titre, elle s’apprécie différemment, selon le pays, l’époque et le contexte. Même si Viviane Biwole nuance encore:

«La bonne gouvernance s’appuie sur des principes de base tels que l’efficacité, l’efficience, la pertinence, l’équité, la durabilité, l’éthique, la transparence, l’inclusion et le respect de l’environnement.»

Dans son pays le Cameroun, «la croissance observée [de l’ordre de 4,1% en 2019, ndlr] ne s’est pas accompagnée d’une baisse significative de la pauvreté et les inégalités se sont plutôt accrues». Par ailleurs, les entraves à la bonne gouvernance sont légion, comme l’attestent, par exemple «des retards importants dans l’exécution des projets structurants», regrette cette auteure en 2015 de La budgétisation par programme en Afrique subsaharienne, entre balbutiements et résistances (Éditions Eburnie). 

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En novembre 2018, la Confédération africaine de football a même décidé de retirer au pays l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) en raison des nombreux retards accusés dans les infrastructures sportives. Un manque à gagner important pour le Cameroun, encore que certains observateurs n’aient pas manqué de corréler cette décision de l’organisation panafricaine à la crise séparatiste qui régnait en zone anglophone. Pour Viviane Biwole, le problème sécuritaire ne fait qu’empirer la situation, au regard de la gouvernance.

«C’est une situation qui ne laisse aucun dispositif de gouvernance sans impact. Tous les secteurs de la vie seront touchés, le dispositif de gouvernance est un système aux composantes interreliées. La gouvernance est un 'tout homogène' donc quand il y a une crise qui se déclenche, sans doute le dispositif de gouvernance dysfonctionne-t-il», décrypte Viviane Biwole.

Persistance des rapports de force et de pouvoir

Le contexte peut être différent ailleurs sur le continent et d’autres États africains peuvent se trouver mieux lotis. «Les pays de plus en plus cités en dehors de l’Afrique du Sud et du Nigeria sont le Ghana, le Rwanda, l’Éthiopie, le Kenya, la Côte d’Ivoire», compare la chercheure.

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Mais l’urgence d’«une nouvelle race de dirigeants, plus 'gender sensitive', plus humaine et soucieuse de l’inclusion sociale», vient surtout d’un constat. Celui de rapports entre les individus [s’assimilant davantage à] des rapports de force et de pouvoir, en Afrique, selon Viviane Biwole. C’est ce qui expliquerait la persistance des inégalités homme-femme dans le continent. Pis, «certains écarts entre les hommes et les femmes sont tout simplement renversants», s’insurge-t-elle. La chercheure concède, toutefois que si «dans certains cas, les statistiques ont baissé, pour la plupart, elles ont timidement évolué. C’est ce qui justifie notre indignation constante, relayée lors des festivités de la journée de promotion des droits de la femme», conclut-elle.

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