«C’est épuisant!» dénonce un journaliste surveillé par la DGSI

À la suite de la parution de son livre «Les guerres de l'ombre de la DGSI», le journaliste Alex Jordanov a été convoqué le 27 février par la police, qui le soupçonne de violation du secret-défense. Sputnik a recueilli son témoignage.
Sputnik

Alex Jordanov avait été l’invité de Sputnik en mai 2019 à l’occasion de la publication de son livreLes guerres de l’ombre de la DGSI (Ed. du Nouveau Monde). Celui qui a dévoilé le quotidien cru des agents de la sécurité intérieure, les détails d’opérations comme leurs échecs lors du 13 novembre 2015 devant le Bataclan, a des ennuis avec les services. Soupçonné de violation du secret-défense dans cet ouvrage, il a été entendu le 27 février en audition libre par la brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP) de la police judiciaire parisienne. 

«Atteinte au droit d'informer»

Dans un communiqué, son avocat William Bourdon dénonce une audition qui porte «directement atteinte au droit d'informer mais également au secret des sources». Il fustige ainsi une procédure qui «s'inscrit dans une logique d'intimidation à l'égard des journalistes d'investigation en France depuis plusieurs années». Le défenseur du journaliste fait ainsi référence à de précédentes convocations de journalistes par la DGSI. En mai 2019, des rédacteurs du site Disclose, de Radio France, et de l'émission «Quotidien» de TMC avaient dû subir le même sort, consécutivement à des révélations sur la vente d’armes françaises à l’Arabie saoudite dans le conflit au Yémen. Cette enquête pour «compromission du secret de la défense nationale» a finalement été classée sans suite par le Parquet de Paris au mois de janvier.

Ventes d’armes françaises au Yémen: un lanceur d’alerte convoqué à la DGSI
Joint au téléphone, Alex Jordanov dénonce des «techniques d’intimidation» afin de limiter les fuites internes. Il révèle notamment qu’une caméra sans carte mémoire a été fixée devant son domicile.

Sputnik France: Comment expliquer cette convocation par la DGSI?

Alex Jordanov: «C’était prévisible que la DGSI allait vouloir savoir qui sont les gens de chez eux qui ont parlé alors qu’ils n’ont pas le droit de le faire. Il y a eu plusieurs articles cet été selon lesquels ils avaient lancé une enquête interne. Visiblement, ils ne sont pas arrivés à grand-chose. Donc ils ont saisi un magistrat. Ce sont des techniques d’intimidation.»

Sputnik France: Comment cette convocation s’est-elle déroulée?

Alex Jordanov: «J’ai d’abord été convoqué par la brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP) qui est saisie par un magistrat. L’audition a été ensuite transmise au procureur qui s’appelle Guedes et lui, ensuite, doit normalement décider s’il classe l’affaire sans suite ou s’il me met en examen. Au bout d’un moment, c’est épuisant! Ils sont quand même venus ici à la maison.»

«Ils sont quand même venus ici à la maison.»

Sputnik France: Vous avez même repéré une caméra dans un couloir devant votre domicile. 

Alex Jordanov: «Il y a un petit couloir sur mon palier qui mène à ma porte d’entrée, avec de petits espaces de ventilation au mur. Je ne sais pas quand ils l’ont posé là. Je ne peux pas le relier au fait qu’ils soient venus, il y a un mois et demi ou deux. Il n’y a pas de carte mémoire. Ils l’ont sans doute enlevée pour que leur technicien de la section R l’analyse. Je sais que c’est très compliqué juridiquement de mettre des caméras chez les gens. Pour les journalistes, c’est carrément interdit. Ils se font taper dessus. Je pense que le fait de l’avoir mise dans le couloir, c’est pour savoir qui rentre et qui sort, qui sont mes petits copains au cas où. C’est quelqu’un d’autre dont c’est le métier qui l’a trouvé.»

Choix politiques, lourdeurs administratives, les boulets des espions français
Sputnik France: Que dévoiliez-vous de si important, de si secret dans votre ouvrage?

Alex Jordanov: «Le livre est censé raconter la vie et le travail des agents secrets. Il est divisé en chapitres par opération. À travers ces opérations, on voit les succès, on voit l’organigramme, on voit comment fonctionne cette énorme machine qui d’ailleurs, au niveau des grades intermédiaires, marche hyper bien. Je me suis aperçu au bout de deux ans que la problématique se situait tout en haut de la pyramide. C’est une partie permanente de chaises musicales, de course aux postes, aux primes de fin d’année. Cela n’a rien à voir avec la sécurité de la France.

Je ne révèle rien qui puisse nuire aux opérations en cours puisqu’on a retiré au livre un tiers de ce qui concernait les sujets et opérations sensibles. Les agents l’ont relu, les avocats l’ont relu. Techniquement, juridiquement, il n’y a pas de faute. Ce qui gêne la DGSI, c’est que des gens de chez eux [puissent parler, ndlr]. Après, c’est la porte ouverte, tout le monde peut aller raconter la vie de la DGSI à des journalistes ou à des écrivains et ça, ce n’est pas possible. Ils n’aiment pas ça.»

Sputnik France: Être journaliste vous protège-t-il vraiment?

Alex Jordanov: «Il existe la loi sur la protection des sources dont l’article 2 est très clair. Il définit jusqu’où peut aller la presse et ses responsabilités, tout en imposant un cadre juridique. Elle protège effectivement les sources. Si le travail est réalisé dans le but d’informer le public, on a tout à fait le droit de protéger ses sources.»

Discuter