«Le gouvernement ment aux citoyens français!»
Au sortir de son entretien au siège de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure), Benoît Muracciole n’y va pas par quatre chemins. Il est le président de l’ONG ASER (Action sécurité éthique républicaines), qui milite contre les ventes d’armes françaises employées dans la guerre au Yémen par la coalition menée par l’Arabie saoudite.
Il a ainsi porté plainte contre le gouvernement, utilisant des documents «confidentiel défense», diffusés en avril dernier par le média Disclose. ASER affirme que ces pièces démontrent que le gouvernement était au courant de l’utilisation d’armes françaises dans la guerre au Yémen, qui a occasionné de nombreuses attaques contre des civils et une situation humanitaire dramatique. Huit journalistes ont d’ores et déjà été entendus par les services de renseignement français à propos de la divulgation de ces documents. Ce mercredi 2 octobre, c’était au tour de Benoît Muracciole. Nous l’avons interrogé quelques heures après. Voici son témoignage.
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Une ONG devenu gênante?
Benoît Muracciole s’est donc rendu à Levallois, siège de la DGSI, pour y être interrogé en raison d’une suspicion «d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction de compromission du secret de défense nationale». Un entretien qui s’est, selon ses dires, déroulé cordialement avec les deux officiers, en présence de son avocat, Me Matteo Bonaglia. Reste que cette convocation est inquiétante.
Benoît Muracciole dénonce une «intimidation d’une ONG qui fait un travail qui reste dans le cadre des institutions en France, qui utilise les moyens de la justice française. C’est quelque chose de très grave.»
Les documents de Disclose, utilisés lors des référés et de l’appel, dans le cadre de la procédure judiciaire lancée par ASER, sont très sensibles. Selon Benoît Muracciole, ces documents qui ont fuité prouvent que le gouvernement est au courant de l’utilisation d’armes françaises dans le conflit au Yémen.
«Ce que Disclose révèle, c’est que le gouvernement aussi le sait, alors qu’il le nie depuis le début. L’importance de ces informations, c’est que le gouvernement ment aux citoyens français et ment aux parlementaires français.»
Une multitude de crimes de guerre
Le conflit au Yémen s’est développé à partir de 2015, quand une coalition militaire de pays arabes, menée par l’Arabie saoudite, a tenté de chasser les rebelles houthis du pouvoir. Ryad s’est notamment impliqué dans le conflit par des bombardements aériens. À de nombreuses reprises, les civils ont été pris pour cible par les belligérants, ce qui a fait dire à une commission de l’Onu en septembre dernier qu’une multitude de crimes de guerre ont été commis au Yémen. Tandis que l’attaque récente d’Abqaiq, le site pétrolier saoudien, a suscité une levée de boucliers internationale, pourquoi les civils yéménites n’ont-ils pas droit au même traitement? Benoît Muracciole est très clair là-dessus, Ryad mène une bataille de l’information très intense:
«L’Arabie saoudite a développé des moyens financiers énormes pour que l’on ne parle pas de cette guerre et surtout pas de leurs exactions. Ce n’est pas une guerre oubliée, c’est une guerre occultée. C’est une guerre de communication. Et ils ont mis l’argent.»
En attendant, le nombre de victimes civiles ne cesse de s’allonger et la crise humanitaire fait rage:
«La convocation de la DGSI ne doit pas faire oublier qu’aujourd’hui, la situation au Yémen, c’est plus de 90.000 personnes qui sont mortes directement suite à cette guerre. Save the Children parle de plus de 85.000 enfants de moins de cinq ans qui sont morts directement ou indirectement de la guerre. On est donc une situation absolument effroyable. Il y a une urgence absolue de cesser ces exportations d’armes.»