Après la publication d’un rapport de HRW, le Cameroun crie au complot

Le Cameroun n'a pas digéré le rapport de Human Rights Watch au sujet de la tuerie des civils dans le Nord-Ouest séparatiste. Alors que la controverse persiste autour du bilan, l’ONG accuse l’armée régulière d’être à l’origine du massacre d’au moins 21 civils. Yaoundé dénonce un «complot, une volonté de déstabilisation du Cameroun».
Sputnik

Les réactions n'ont pas tardé au Cameroun après la publication, mardi 25 février dernier, du rapport de Human Rights Watch (HRW) au sujet de la tuerie des civils à Ngarbuh, localité du Nord-Ouest séparatiste du Cameroun. Alors que la controverse persiste encore autour du bilan et des responsabilités dans cette tuerie, le rapport de HRW affirme que «les forces gouvernementales et des membres de l'ethnie peule ont tué au moins 21 civils, dont 13 enfants et une femme enceinte [...], dans des conditions horribles». Dans une déclaration cinglante, le 27 février, le gouvernement camerounais a «rejeté en bloc les allégations contenues dans ce rapport» de HRW. Yaoundé, par la voix de René Emmanuel Sadi, le ministre de la Communication, a riposté:

«Le gouvernement dénonce fermement cette démarche, qui illustre sans conteste toute la mauvaise foi de ces organisations, inlassablement déterminées à porter atteinte à l’image du Cameroun et à la stabilité de nos institutions», peut-on lire dans la déclaration du ministre qui souligne par ailleurs «les accointances avérées entre l’auteur dudit rapport et les milieux terroristes».

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En outre, René Emmanuel Sadi regrette l’empressement de l’ONG à publier un «bilan erroné» des incidents du 14 février, alors que l’enquête prescrite par le Président Paul Biya suit toujours son cours. Une sortie jugée suspecte par Yaoundé et qui s’interroge sur les raisons profondes de la démarche de HRW. L’ONG a-t-elle un intérêt à voir le Cameroun partir en éclats?

Pour Dalvarice Ngoudjou, spécialiste des relations internationales, les multiples rapports de ces organisations donnent «l'impression qu’elles tirent profit de l'affaiblissement des pays pauvres». Tout en fustigeant leur partialité:

«Un autre constat est que HRW met sous cape les exactions des sécessionnistes. Quand on regarde tout cela, on peut avoir raison de penser qu'il y a parti pris de la part de HRW. D'autant plus qu'il y a une commission d'enquête qui a été commise par le gouvernement camerounais, il aurait fallu en attendre les résultats», commente l’expert au micro de Sputnik.

Des ONG inféodées aux groupes de pression?

Si, dans son rapport, HWR dit s’être appuyé sur les témoignages de «25 personnes, dont trois témoins des meurtres et sept proches de victimes» pour en arriver à ses conclusions, de leur côté, les autorités camerounaises rejettent ce rapport, qu’elles jugent infondé. Elles reconnaissent la mort de cinq civils dans des échanges de tirs entre des militaires et des «terroristes», ayant entraîné l'explosion de conteneurs de carburants ou d'explosifs, stockés par les séparatistes.

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Depuis le début de la crise dans les régions anglophones du Cameroun, le fait est habituel. Très souvent accusé par des ONG locales ou internationales de commettre des exactions sur le terrain des opérations, le gouvernement, avec force communiqués et déclarations, riposte pour dédouaner l’armée et crier au complot.

Complot réel ou fantasmé ? Tout en émettant quelques réserves, Dalvarice Ngoudjou penche pour de possibles plans d’action contre les pays africains, tracés en amont.

«Ceux qui observent la géopolitique internationale peuvent avoir l'impression que les choses sont bien ficelées. Certains États utilisent les ONG pour atteindre leurs objectifs. Quand vous affaiblissez les gouvernements avec des rapports plus ou moins tendancieux, ils se mettent à genoux et en situation de faiblesse dans les négociations. Or, on sait à quel point ces négociations peuvent être importantes dans la sauvegarde des intérêts des grandes firmes multinationales, notamment au niveau des ressources minières dont regorge le continent africain –particulièrement le Golf de Guinée où se trouve le Cameroun», commente le spécialiste des relations internationales.

Tout en reconnaissant aux ONG l’utilité de leur mission dans la protection des droits de l’Homme, l’analyste affirme qu’elles sont pour la plupart inféodées aux groupes de pression, quand ce n’est pas «aux États extrêmement puissants» dont elles doivent protéger «les intérêts sous les oripeaux des missions humanitaires».

«De qui viennent leurs financements? Des grands donateurs internationaux qui sont liés à des gouvernements. Vous pensez sincèrement que leur point de vue peut être objectif? J'en doute un peu», commente-t-il.

Pour l’internationaliste, il y a lieu de s’inquiéter de cette démarche partiale qui ignore ailleurs dans le monde des exactions qui devraient pourtant soulever les mêmes rapports et la même indignation.

«On a l’impression que tout se passe seulement en Afrique. Quid du Moyen-Orient, notamment le Yémen et la Syrie. Pourquoi HRW ferme-t-elle donc l'œil sur ces parties du monde? Pourquoi les rapports les plus durs ne sont-ils généralement dirigés que contre les gouvernements africains?», s’interroge Dalvarice Ngoudjo.

Des inquiétudes pourtant réelles sur le terrain 

HRW a pourtant produit, le 22 janvier dernier, un rapport sur la Syrie dénonçant une attaque illégale contre une école ayant fait 12 morts le 1er janvier, et épinglé le Yémen dans son rapport mondial 2020 sur les violations des droits de l’Homme.

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Cependant, les gouvernements africains, y compris les plus controversés, ont pris habitude de crier au complot devant les rapports des ONG et les prises de position des dirigeants occidentaux dans les crises que traverse le continent. Une posture plutôt confortable pour des pouvoirs parfois en perte de légitimité, qui leur permet de surfer sur les théories concernant de présumées conspirations et les sombres desseins occidentaux qui ont la peau dure en Afrique.

Pourtant bien que contestés, ces rapports entrent souvent en résonance avec les inquiétudes réelles des acteurs sur le terrain. Dans une interview accordée à Sputnik, Maximillienne Ngo Mbe, militante camerounaise des droits de l’Homme, alertait déjà sur la «situation alarmante» dans les régions séparatistes du pays: «Lorsqu’on évoque la thèse du génocide, ce n’est pas une plaisanterie», s’inquiétait-elle.

Le massacre de ces civils au Cameroun continue d’alimenter l’actualité. Huit jours après les propos jugés condescendants du Président français à l’endroit de Paul Biya, les deux chefs d’État ont échangé dimanche 1er mars au téléphone sur la crise séparatiste en cours au Cameroun. «Ils se sont accordés sur la nécessité d'une enquête impartiale en réaction aux violences commises contre les populations civiles dans le village de Ngarbuh, dans la province du Nord-Ouest», a annoncé l’AFP.

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