«Le dialogue avec le gouvernement sur la réforme des retraites est inexistant depuis pratiquement deux mois», se révolte Caroline Mécary, avocate au Barreau de Paris, membre de la Caisse de retraite du Barreau de Paris, que Sputnik a rencontré devant le Tribunal Judiciaire de Paris (TJI).
Une fois de plus, le bâtiment tout en verre du TJI est bloqué par les avocats en grève. Sous le ciel de plomb de Paris, l’ambiance est presque festive… Ou pour le moins enthousiaste. L’Union des jeunes avocats de Paris (UJA) y côtoie des membres du Barreau plus expérimentés, scandant à l’unisson «Avec nous! Avec nous!»
«Depuis deux mois, madame Belloubet et le Premier ministre font semblant de dialoguer. En réalité, ils nous invitent à une table pour annoncer “c’est ainsi, vous allez être supprimés, on va doubler votre cotisation”», s’insurge Caroline Mécary.
Pour l’avocate, «les conséquences [de ces procédés, ndlr] sont qu’un tiers de la profession va disparaître», puisque la moitié des 70.000 avocats français gagnent moins de 40.000 euros par an: «Si on double leurs cotisations, c’est la clé sous la porte». Le bilan de cette désertification du paysage judiciaire français ne serait pas innocent, elle priverait les gens plus modestes d’un accès à l’aide juridictionnelle, bref, «les avocats ne seront plus là pour défendre les justiciables».
«Au-delà de ça, on a un réel problème du financement de la justice en France qui est en voie de “clochardisation”: les avocats, les magistrats et les greffiers ne font que colmater les trous du navire, qui prend l’eau de toutes parts», affirme Caroline Mécary.
«L’action d’aujourd’hui est absolument nécessaire, insiste Caroline Mécary. C’est notre 49.3 à nous pour nous faire entendre une ultime fois. Nous sommes extrêmement calmes, nous ne faisons pas de violence.»
Le sentiment partagé d’être «face à un gouvernement qui n’entend absolument rien, qui monologue et refuse la négociation» est l’un de moteurs qui poussent les avocats à organiser des actions coup de poing encore et encore face à «la mort assurée d’un tiers de la profession» en cas de doublement de cotisation.
«Tout nouveau moyen d’action intelligent est nécessaire pour faire comprendre au gouvernement qu’il est dans l’erreur, qu’il nous maltraite et nous méprise depuis le départ», appuie Xavier Sauvignet, avocat au Barreau de Paris.
Systématiquement, les avocats refusent même des désignations en tant que commis d’office. «On refuse même les contentieux de la liberté [qui intervient à l’issue de la détention provisoire, ndlr]– une première dans l’histoire des avocats», assure le jeune avocat, sans cacher sa méfiance:
«La ministre est sourde à nos revendications. Elle nous envoie de la poudre aux yeux, en disant que “certains amendements pourraient passer” pour compenser les pertes. On n’y croit pas. On sait que ces amendements vont sauter dès que la loi passera», développe Xavier Sauvignet.
L’avocat insiste également sur l’universalité du combat, précisant qu’ils «demandent le retrait de la réforme pour les avocats, mais également pour tout le monde».
«Je ne milite pas uniquement pour ma paroisse, assure Xavier Sauvignet. Les avocats et les professions libérales étant écartés de cette réforme, le principe même de l’universalité de cette réforme [dont parle le gouvernement, ndlr] tombe».
Xavier Sauvignet prétend que «l’universalité est déjà fausse, parce qu’un certain nombre de métiers est sorti de cette réforme» tout en espérant que «pour une fois, les avocats seront en pointe de cette contestation sociale».
En considérant l’actuel mouvement social comme «le plus important depuis 1968», Xavier Sauvignet assure qu’une opposition, «un peu muselée», organise au Parlement le relais de ce mouvement de contestation, et profite de l’occasion pour attaquer le Président de la République.
«La démocratie, ce n’est pas une fois tous les cinq ans. Ce n’est pas parce qu’il est élu qu’il peut faire n’importe quoi: casser la Loi du travail, chambouler le Code pénal. Il faut qu’il écoute et qu’il recule. C’est son seul espoir de rédemption», conclut Xavier Sauvignet.
La situation aux abords du TJI s’est corsée vers midi, quand les policiers ont entamé l’évacuation des avocats qui bloquait les accès au palais. Pourtant, plusieurs interlocuteurs de Sputnik soulignent que l’action policière reflète plutôt «l’image de la solidarité des avocats avec les forces de l’ordre». En fin compte, l’accès a été libéré, mais les affaires du matin renvoyées.
Le pronostic des avocats contestataires s’est confirmé également dans le cadre du procès de François et Penelope Fillon, où la défense, en soutien à la grève des avocats contre la réforme de leur régime autonome de retraite, a demandé à ce que la première journée du procès soit renvoyée au mercredi 26 février.
«Même les plus riches de notre profession sont pleinement solidaires, parce qu’ils savent que nous sommes pris à la gorge par les cotisations, ils ont commencé comme nous, comme des avocats du quotidien, de “petits avocats”. Ils ont conscience que si cette tranche de l’avouerie [membres de la défense, ndlr] –environ 30%– venaient à disparaître, c’est la défense des plus faibles qui ne serait plus assurée. Ça serait dramatique pour la justice», assure Xavier Sauvignet au micro de Sputnik.