Le Conseil national des barreaux (CNB) se montre ferme. Les 70.000 avocats français qu’il représente sont «déterminés à continuer» à se battre pour leur régime autonome qui «ne coûte pas un euro» d'argent public et qui est mis en danger par la réforme des retraites.
En grève depuis quatre semaines, les avocats français multiplient les actions à travers le pays. Ils se sont donnés rendez-vous en masse ce 3 février place de la Bastille, à Paris, pour une nouvelle journée de mobilisation alors que débutait l’examen du projet de loi sur la réforme des retraites par la commission spéciale de l'Assemblée nationale.
Certains manifestants portaient des masques de Guy Fawkes, célèbre activiste anglais qui a voulu faire sauter la Chambre des lords en 1605 et qui est devenu un symbole des contestations sociales à travers le globe.
«Les avocats ne se sont jamais mobilisés comme c’est le cas en ce moment. Cela veut dire quelque chose. Si le gouvernement est sourd à cela, alors c’est très grave», a confié à Sputnik Me Rodriguez.
«Cette réforme des retraites n’a pas été conçue dans des conditions satisfaisantes. Nous sommes avocats, nous avons une caisse autonome, autofinancée et on veut nous inclure dans un régime universel dont le Conseil d’État a dit qu’il n’était pas si universel, pas totalement financé et qu’il existait encore de nombreuses zones d’ombre l’entourant. C’est un non-sens de mélanger dans un même régime des salariés et des libéraux. Nous avons des modes de fonctionnement totalement différents et des statuts totalement différents», a-t-il poursuivi.
#SputnikVidéo | «Ce que nous demandons, c’est de garder la spécificité de notre régime des #retraites», affirme une participante à la #grève3fevrier des robes noires en expliquant de quoi il s’agithttps://t.co/ARc9s4P86p#reformesdesretraites #AvocatsEnColere #SOSretraites pic.twitter.com/KbOyP8GvJJ
— Sputnik France (@sputnik_fr) February 3, 2020
Patricia Lyonnaz, bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau d’Annecy et qui dénonce «la surdité imprévisible du gouvernement», a expliqué à Sputnik pourquoi les avocats se battent pour conserver leur spécificité:
«Le régime de retraite des avocats est particulier. Chaque avocat cotise pour percevoir une retraite de base qui sera totalement égalitaire que l’on soit homme ou femme, que l’on ait eu des accidents de parcours ou des pauses nécessaires pour élever ses enfants. C’est 1.400 euros pour tous. C’est un régime solidaire. Avec la réforme ce ne sera plus le cas. Ceux qui auront dû arrêter momentanément leur carrière ne percevront plus le même montant. De plus, les cotisations vont augmenter de telle manière qu’un tiers des avocats de France mettront la clé sous la porte.»
Les jeunes avocats sont particulièrement inquiets comme l’a expliqué à Sputnik Me Cyril Tardivel qui portait une tête de squelette, «symbole de ce que risque d’être mon avenir». Il craint de devoir mettre «la clé sous la porte».
Éric Coquerel, député La France insoumise et présent dans le cortège, lui emboîte le pas: «Les gens ne supportent pas que l’on casse le système de retraite à la française et ils ont compris qu’il ne s’agit pas d’attaquer tel ou tel régime soi-disant privilégié mais bien de procéder à un nivellement par le bas. Concernant les avocats, ce sont les moins fortunés et les plus jeunes qui vont être touchés en premier lieu et par ricochet ceux qui sont susceptibles de se faire défendre par eux. C’est tout le système de la justice qui est dégradé avec cette réforme».
«Les plus démunis qui sont défendus par les avocats percevant les honoraires les plus faibles n’auront plus de défense», lance à Sputnik Me Rodriguez.
Les représentants des robes noires de France rencontreront le Premier ministre Édouard Philippe le 4 février alors que beaucoup d’entre eux dénoncent le manque de dialogue avec le gouvernement.
«Cette profession n'a jamais été aussi proche de la rupture avec le gouvernement», assure Christiane Féral-Schuhl, présidente du CNB.
Les avocats assurent qu’ils ne sont pas entendus par le gouvernement malgré des «réunions techniques» à la Chancellerie.
«On ne perd pas espoir mais les discussions passées ne nous incitent pas à l’optimisme. Nous espérons toujours que le gouvernement comprenne. Cela fait un moment que nous l’interpellons pour lui dire que cette réforme n’est pas bonne. Le Conseil d’État lui-même l’a jugée mal ficelée», souffle Me Tardivel.
La réforme de la justice portée par la Garde des Sceaux Nicole Belloubet est également un sérieux motif d’inquiétude pour les avocats de France. «Avec cette réforme, au civil, on renverse un principe séculaire en imposant l'exécution provisoire des décisions de première instance», tempête l’avocate Lara Morel. D’après elle, le but est de décourager le droit d’appel. En effet, si la réforme passe, une personne condamné à, par exemple, payer une facture litigieuse, sera obligée de le faire même si elle gagne en appel par la suite.
#SputnikVidéo | @ericcoquerel parle de ses espoirs à propos des résultats de la grève
— Sputnik France (@sputnik_fr) February 3, 2020
Pour en savoir plus: https://t.co/ARc9s4P86p#greve3fevrier #reformesdesretraites #AvocatsEnColere #AvocatsEnGreve #SOSretraites pic.twitter.com/vKf29tZBVo
Des #avocats continuent leur manifestation dans les rues de Paris
— Sputnik France (@sputnik_fr) February 3, 2020
Suivez en direct: https://t.co/ARc9s4P86p#greve3fevrier #reformesdesretraites #AvocatsEnColere #AvocatsEnGreve #SOSretraites pic.twitter.com/d50UalYUIy
Beaucoup de conseils dénoncent une volonté du gouvernement de «privatiser» la justice. La tentative de conciliation, procédure obligatoire avant de faire appel à un juge pour les litiges d’un montant inférieur à 5.000 euros, pourra désormais se faire via un médiateur payant et non plus seulement avec un avocat.
«Tout dans ces réformes répond à une logique comptable. On favorise l'émergence de médiateurs privés, on laisse des banquiers ou des assureurs pratiquer du conseil juridique: on affaiblit le corps intermédiaire qu'est la profession d'avocat», explique Xavier Autain, membre du CNB.
Le gouvernement et le Président Emmanuel Macron sont dans le viseur des robes noires. Mathieu Oudin, avocat à Pau, se dit stupéfait du «mépris affiché» par les autorités qui estiment qu'«il [nous] appartient de changer de métier si [nous] ne sommes pas capables de payer [nos] nouvelles cotisations».
Maître Rodriguez dénonce quant à lui auprès de Sputnik un certain paradoxe entre le candidat et le Président Macron:
«On peut être en colère contre Macron dans le sens où ce dernier a fait campagne en disant qu’il allait permettre aux entrepreneurs d’avancer en étant libérés d’un certain nombre de contraintes. Il se trouve que les avocats sont des entrepreneurs. Or, aujourd’hui, on leur explique qu’ils vont devoir cotiser deux fois plus pour 30% de retraite de base en moins. Il y a une distorsion entre les promesses du candidat Macron et la proposition qui nous est faite aujourd’hui. C’est insupportable pour la moitié de la profession qui gagne moins de 40.000 euros par an. Dit comme cela, c’est une somme importante mais cela signifie que certains gagnent beaucoup moins.»