Contrecarrer le «séparatisme islamiste», mais éviter toute stigmatisation de l’islam. L’équation était périlleuse pour Emmanuel Macron. S’en est-il sorti? Nous avons posé la question à Céline Pina. Ancienne élue locale et conseillère régionale (PS), elle a fondé le mouvement Viv(r)e la République et publié l’essai Silence coupable (Éd. Kero, 2016).
Sputnik France: Si vous deviez noter le discours et le plan du Président de 1 à 10, quelle serait votre note?
«La photo dramatique à côté d’une femme intégralement voilée... est surréaliste
Deuxièmement, le discours n’a pas de colonne vertébrale. Il mélange des éléments très précis et des grandes lignes plutôt clichées. Or, soit Gérard Collomb avait raison et nous sommes en train de passer de communautés côte à côte à des communautés face à face, et le moment est solennel tant notre avenir collectif se joue, soit ce n’est pas le cas et alors cette mise en scène sur le séparatisme était inutile et anxiogène. Bien sûr, je pense que la première hypothèse est la bonne, mais lui semble pencher pour la seconde.
Troisièmement, ses exemples d’action sont souvent ambigus. Je pense à ce qu’il a dit quand il parle de se débarrasser de l’islam consulaire pour assurer en France la formation des imams. Quand on observe qui tient les structures de formation aujourd’hui, on voit bien que le Président n’a pas réfléchi. Ce sont les Frères musulmans qui tiennent ces formations pour la plupart, et ce sont de purs islamistes. Ils ont déjà noyauté en partie l’Association Musulmane pour l’Islam de France (AMIF), créée sous son regard bienveillant.
On voit bien en écoutant son discours que son diagnostic est flou, qu’il est dans le “mais en même temps” qui détruit la crédibilité de sa parole, qu’il ne maîtrise pas le sujet. Une fois encore, le Président pense que des mots peuvent remplacer des actes, ce qui montre les limites de cet exercice, c’est que maintenant, même les mots ne sont pas bien choisis.»
Sputnik France: Emmanuel Macron a avancé quatre axes et n’en a détaillé que le premier pour l’instant. Mais la stratégie vous semble-t-elle cohérente?
Céline Pina: «Un semblant de cohérence, oui, mais tout est dans le semblant. C’est au pied du mur que l’on voit le maçon, or Emmanuel Macron a eu il y a peu l’occasion de lutter en actes contre le séparatisme. L’exemple du séparatisme ultra-violent, c’était l’affaire de Mila, menacée de mort pour avoir usé de sa liberté d’expression. Il était très simple de prendre cette affaire emblématique, qui concerne une enfant du peuple, et de poursuivre très sévèrement les personnes qui l’ont menacée de mort. Il eut fallu aller dans le lycée et dire très clairement: “vous n’êtes pas du côté du respect et de la morale, vous êtes dans le camp des salauds, vous êtes en rupture avec la République.”
«Quand le réel arrive, il n’y a plus personne.»
Sputnik France: «Notre ennemi est à ce titre le séparatisme, phénomène que nous observons depuis des décennies.» Un «séparatisme islamiste, idéologie politique qui hystérise la société,» a déclaré le Président. Cette fermeté ne vous satisfait-elle pas?
Céline Pina: «Évoquer le séparatisme, c’est déjà un progrès. Mais force est de constater que lorsqu’il s’agit de parler, il n’y a aucun problème. Il y a déjà eu trois plans: deux contre la radicalisation, maintenant nous avons le séparatisme. Ce n’est jamais suivi d’action (je ne parle pas du travail effectué par la police pour empêcher les attentats).
«Il y a des marqueurs extrêmement forts du séparatisme, physiques et mentaux. Sur ces marqueurs-là, la lutte n’est pas menée.»
Depuis 2015, il y a eu 260 morts sur notre territoire. Avez-vous vraiment l’impression qu’être islamiste est pour autant devenu coûteux? Or, ce sont eux qui sèment l’idéologie qui génère le séparatisme et le passage à l’acte violent. Il s’avère difficile de licencier un homme pour avoir refusé de serrer la main d’une femme, pour le port d’une barbe salafiste ou des prières au travail. Et si on faisait évoluer la loi pour gérer ce type de cas? Voile intégral, barbe, nourriture halal, vêtement halal, loisirs halal, refus de la proximité des mécréants, remise en cause des enseignements, procès permanent en racisme fait à la France… Il y a des marqueurs extrêmement forts du séparatisme, physiques et mentaux. Sur ces marqueurs-là, la lutte n’est pas menée. Alors, excusez-moi si je ne crois pas vraiment à ses grandes déclarations lyriques!»
Sputik France: Emmanuel Macron, dit-on, veut éviter l’écueil de la stigmatisation: «la République n’a pas toujours donné des preuves d’amour», a-t-il concédé. Le Président n’a pas encore détaillé les mesures, mais acceptez-vous ce constat sur la discrimination des Français de confession musulmane?
Céline Pina: «Les discriminations existent, on ne va pas les nier. Pour autant, il faut sortir du discours de victimisation. Il est souvent faux, mais surtout il enferme dans l’échec. S’il y a des gens qui pourraient se plaindre de l’abandon de la République, ils ne sont pas dans les quartiers, ils ne sont pas forcément musulmans. Ce sont tous les gens qui vivent dans la France périphérique qui, eux, sont vraiment abandonnés. Les quartiers n’ont jamais été vraiment abandonnés. On a dépensé des milliards dans la politique de la Ville. On peut s’interroger sur les résultats, mais on ne peut pas parler d’abandon!
«Ce sont tous les gens qui vivent dans la France périphérique qui, eux, sont vraiment abandonnés.»
Les espaces où l’islamisation se développe le plus sont certes des espaces où les gens sont pauvres, mais aussi où la solidarité nationale est extrêmement active. Les trois quarts des gens dans les quartiers où Emmanuel Macron s’est déplacé vivent dans des logements sociaux et bénéficient de nombreuses aides. Et c’est très bien que le patrimoine public aide les gens qui n’ont pas de patrimoine privé. C’est même l’honneur de la République. Mais il faut arrêter de jouer les victimes: la République a investi ces espaces.
Mais ce qu’elle n’a peut-être pas fait, c’est qu’elle n’a pas été autoritaire, exigeante. Un parent qui aime vraiment son enfant ne cède pas à tous ses caprices. C’est à ce niveau-là que la République a été défaillante. Trop d’élus ont dit aux jeunes et moins jeunes: “vous êtes discriminés, vous n’y arriverez pas, quelques efforts que vous fassiez, parce que la France est raciste”. Ils ont récupéré des voix en les enfermant dans un statut de victime, ils ont construit leur carrière en envoyant ces personnes dans le mur.
Le vrai discours aurait dû être de dire: “vous avez plus de difficultés que les autres, c’est pour ça que nous investissons dans votre quartier et sur vous. Peut-être qu’il vous faudra vous battre plus que les autres, mais battez-vous. Nous construisons des écoles, des bibliothèques, il existe des bourses, des aides, des prises en charge périscolaires, des maisons de quartier… Vous avez des outils à disposition, emparez-vous d’eux. Faites votre part et nous serons là pour faire la nôtre.” Nous sommes l’un des pays qui a investi le plus sur ses citoyens, leur intelligence, leur santé. Certes, ce service public aujourd’hui va mal, mais il va mal pour tout le monde.»
Sputnik France: En finir avec les «imams détachés», provenant par exemple de Turquie ou d’Algérie, à l’horizon 2024, est-ce selon vous une mesure satisfaisante?
Céline Pina: «On est une République souveraine, qu’un gouvernement étranger ne nous envoie pas des personnes qui prêchent sur notre territoire sans que l’on sache qui ils sont me semble être la moindre des choses. La vérité, c’est surtout que l’État français n’est pas là pour administrer quelque religion que ce soit. Empêcher la religion de créer une contre-société est essentiel, mais ce n’est pas le rôle de l’État de s’investir pour créer un islam de France. Son rôle, c’est de transmettre ce que nous sommes en tant que culture et en tant que peuple. Je trouve qu’il est aberrant d’expliquer qu’on va contrer l’exaltation politico-religieuse avec la religion. Non, c’est en faisant vivre le projet républicain.»
Sputnik France: Supprimer des Enseignements en langue et culture étrangère, pour ouvrir des postes d’enseignants en langue étrangère, avec des enseignants qui maîtriseront le français, et contrôlés par l’éducation nationale, une bonne mesure?
Céline Pina: «La suppression est indispensable, c’est très clairement une manière pour les pays étrangers de garder la main sur ceux qu’ils estiment être leurs ressortissants. Or, les gens qui arrivent pour s’installer définitivement doivent devenir pleinement français. L’une des choses les plus importantes pour y parvenir, c’est la maîtrise de la langue. Celle-ci n’est pas qu’un outil de communication, c’est un imaginaire et une façon de voir le monde et de se projeter dedans.
«On est en train de briser des gens, parce qu’ils n’ont leur place nulle part, ni ici ni au bled...»
Il faut qu’au début de l’existence, on investisse dans cette maîtrise de la langue pour les enfants, pour qu’ils trouvent leur place. Ensuite, qu’au cours de leur enseignement, on leur propose des cours d’arabe, de turc, de russe, cela suffit. Ils feront leur choix. Mais qu’on arrête de maintenir les personnes le cul entre deux chaises. Il faut savoir à quelle sphère on appartient. On est en train de briser des gens, parce qu’ils n’ont leur place nulle part, ni ici ni au bled, parce que personne n’est clair sur la manière de trouver sa place dans un pays.»
Sputnik France: Emmanuel Macron a vanté le bilan mené depuis deux ans et demi dans 15 régions tests. Il a avancé des chiffres: en deux ans, 152 débits de boisson, 15 lieux de culte, 12 établissements culturels et de sport, 4 écoles fermées, 652 contrôles anti-fraude, 32 mesures de surveillance prises, via le Dispositif de cellules contre l’islamisme et le repli communautaire (CLIR). Est-ce encourageant?
Céline Pina: «Je vais croire ce bilan, mais je trouve qu’il est intrigant. Quand vous voyez le nombre de mosquées qui posent problème, en fermer seulement quinze peut surprendre. La mosquée de la cité de la Fauconnière à Gonesse, où a été radicalisée le tueur de la préfecture Mickaël Harpon, aurait semblé à mettre particulièrement sous surveillance. Aux dernières nouvelles, les imams de ce lieu de culte suspect n’ont pas été expulsés. Dans cette histoire, on est sur du réel.
«Si les sécessionnistes perdaient nombre d’aides ou n’avaient plus droit au logement social, je crois que nous découragerions beaucoup de vocations d’islamistes»
Quand vous revenez sur des affaires qui ont défrayé la chronique, comme ces écoles hors contrat qui voilaient intégralement des fillettes et dont les parents étaient dans une démarche séparatiste, il arrive souvent que l’on fasse le constat de la réouverture de ces lieux, à Toulouse par exemple. On est en train de faire le constat que les enseignements à la maison et hors contrat explosent. Je ne comprends pas que l’on n’interdise pas les dérogations et l’école à la maison, sauf cas particulier.