Âgé de 52 ans et originaire de Lakota, dans le Sud-ouest de la Côte d’Ivoire, Martin Ozoukou a été pendant dix ans agronome à l’Agence nationale d'appui au développement rural (Anader), avant de démissionner en 2007 afin de «réaliser de plus grandes choses».
En 2012, il est contacté par un ami qui veut s’adonner à la culture de la carotte. L’agronome sait que le procédé usuel de culture de ce légume en Côte d’Ivoire est harassant. Il consiste à insérer trois graines précisément dans chaque trou préalablement creusé dans la terre. Le chercheur s’est alors penché sur cette problématique afin de faciliter la tâche de l’agriculteur et maximiser le rendement.
«Tout est parti d’un constat banal, celui que les graines de carotte se collent à un morceau de bois imbibé d’eau comme le fer à l’aimant. J’ai donc pensé à un outil à même de tirer profit de cette particularité», confie à Sputnik Martin Ozoukou.
C’est ainsi qu’il a conçu un semoir manuel non électrique –perfectionné depuis– composé de trois pièces, capable de semer plus de 3.000 graines par minute. Le concept lui semble si simple qu’il «n’a pas l’impression d’avoir accompli quelque chose d’extraordinaire». Cependant, aussi surprenant que cela puisse paraître, cet outil qu’il venait de créer était inédit non seulement en Côte d’Ivoire, mais aussi dans toute l’Afrique.
Selon les projections que Martin Ozoukou a réalisées, il est possible pour un cultivateur qui utilise son semoir d'accroître considérablement sa production de carottes au point de gagner jusqu'à huit millions de francs CFA sur un quart d'hectare (12.196 euros).
«On n'a vraiment pas besoin d'utiliser de grandes superficies pour multiplier la production», assure-t-il au micro de Sputnik.
À l’édition 2019 du Sara, il a de nouveau été récompensé, cette fois pour un double système. Le premier rend possible la culture du palmier à huile par des semis directs et non dans des pépinières (technique qui consiste à faire pousser la plante en un lieu avant de la replanter en un autre) comme il est de coutume. Le second permet, par l’usage combiné de feuilles d’aluminium et de plastique, de protéger pendant une dizaine d’années les palmiers à huile des rongeurs, du soleil et des mauvaises herbes.
Premier producteur mondial de cacao (la culture emblématique du pays) et de noix de cajou, premier producteur africain de caoutchouc naturel, deuxième producteur africain d'huile de palme, troisième producteur africain de café… La Côte d’Ivoire est depuis plusieurs décennies un grand pays agricole. Le secteur représente environ de 20% du PIB ivoirien et emploie près de la moitié de la population.
En croisade pour une «agriculture bio, innovante, intelligente, de précision et intensive» en Côte d'Ivoire, et de ce fait, en Afrique, Martin Ozoukou a conçu une vingtaine de produits agricoles et d’innovations dans le domaine du reboisement.
Martin Ozoukou est convaincu qu’avec ses inventions –qui ont fait leurs preuves sur diverses surfaces agricoles de la Côte d’Ivoire–, son pays pourrait faire mieux pour accroître le rendement de nombreuses cultures, vivrières notamment.
Cependant, l’innovation exige un prix financier que cet agronome émérite, mais en manque de reconnaissance nationale malgré quelques expositions médiatiques notables, est loin de pouvoir assumer tout seul.
Un état des lieux de l’invention en Côte d’Ivoire
En effet, faire breveter une invention a un coût qui n’est pas à la portée de nombre de concepteurs Ivoiriens. Martin Ozoukou, lui, n’a que deux produits brevetés. Pour le dépôt de brevet de ses créations auprès de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI), il a dû débourser la somme de 65.000 francs CFA (99 euros) et il doit en plus s’acquitter chaque année de 45.000 francs CFA (68,6 euros) pour leur maintien en vigueur.
Le secteur de l’innovation est particulièrement dynamique ces dernières années en Côte d’Ivoire, classée en 2016 deuxième pays ayant le plus grand nombre de brevets d’invention en Afrique. Il ressort par ailleurs d’un classement de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) que la Côte d’Ivoire occupe le 10e rang en Afrique et le 103e dans le monde en matière d’innovation.
Semoirs révolutionnaires, «Souris Mystère 7», broyeuse articulée pour l’agro-industrie, multiprise parasurtenseur, cartable équipé d’un panneau solaire pour les élèves des zones rurales sans électricité… les inventions foisonnent dans le pays et leur utilité n’est pas à prouver.
Mais l’accompagnement de leurs concepteurs, par les pouvoirs publics notamment, laisse encore à désirer en dépit d’initiatives louables, comme le Prix Alassane Ouattara du jeune inventeur ou encore le Fonds ivoirien de l’innovation (FII)) –annoncé par le gouvernement en 2016 mais dont la mise en place est attendue pour fin 2020.
L’industrialisation d’une invention étant onéreuse, et l’accès à un financement incertain, plusieurs inventeurs finissent donc par jeter l’éponge et retombent très vite dans l’anonymat.